Le 15 mai 2020
- Genre : Documentaire
- Nationalité : Burkinabé
- Distributeur : Météore Films
- Editeur vidéo : La Vingt-Cinquième Heure
- Durée : 109 minutes
- Titre original : Sankara n'est pas mort
- Date de sortie : 29 avril 2020
Nous entamons une série d’entretiens autour du film Sankara n’est pas mort, sorti en e-cinéma le 29 avril et disponible jusqu’au 25 mai sur la plateforme La Vingt-cinquième heure. La réalisatrice Lucie Viver évoque aujourd’hui les conditions de tournage et le propos général de son premier long métrage.
Comment avez-vous rencontré Bikontine, le personnage principal du film ?
Lucie Viver : Je suis allée pour la première fois au Burkina Faso en 2012, sur l’invitation d’une amie française qui enseignait dans un village. C’était mon premier voyage en Afrique et ça m’a beaucoup marquée. L’atmosphère était assez bouillonnante, puisque Blaise Compaoré était au pouvoir depuis 25 ans, on pouvait sentir une sorte de révolte sourde. C’est à ce moment-là que j’ai découvert la figure de Thomas Sankara que je ne connaissais pas. J’ai aussi rencontré par hasard Bikontine, qui intervenait comme conteur dans l’école où enseignait mon amie. On a sympathisé rapidement. On parlait surtout de politique : la politique au Burkina et plus largement en Afrique. Bikontine est un fin connaisseur de la politique française, comme d’ailleurs de nombreux Burkinabè, bien plus que nous Français ne connaissons la politique intérieure burkinabè (rires). On parlait aussi beaucoup de littérature. Au bout d’un moment, il m’a fait lire ses poèmes que j’ai trouvés très beaux. C’était vraiment un cadeau, parce qu’il ne faisait pas lire ses poésies, c’était quelque chose qu’il faisait seulement pour lui-même. Puis, je suis rentrée en France. L’idée de faire un film n’est venue que plus tard, après l’insurrection populaire de 2014. J’ai échangé en direct avec Bikontine qui vivait les événements sur place. On s’interrogeait par rapport à l’avenir du Burkina après l’insurrection : nous étions à la fois enthousiastes, pleins d’espoir et en même temps nous ne pouvions pas nous empêcher d’être inquiets. Ç’a été le moteur du film du début à la fin.
Bikontine entreprend alors une traversée du Burkina Faso d’ouest en est. De quelle manière aviez-vous préparé ce voyage ?
LV : Après que l’idée du film a germé, en 2014, il y a d’abord eu un long travail d’écriture et de développement. J’ai obtenu quelques aides (comme Brouillon d’un rêve de la Scam et l’Aide à l’écriture du CNC), notamment pour financer deux allers-retours au Burkina qui m’ont permis de rester en phase avec ce qui se passait concrètement dans le pays. En 2016, j’ai pu partir avec une caméra pour effectuer des repérages filmés. On a alors fait quelques tests avec Bikontine pour déterminer comment on allait s’y prendre, surtout comment on allait aborder les gens pour que les choses soient le plus fluides possible, pour nous comme pour eux. Une fois tout ce travail de préparation effectué, Bikontine et moi sommes partis pour trois mois de tournage en 2017.
Quelle a été la réaction des gens que vous filmez ?
LV : On a été très bien accueillis, surtout parce qu’on prenait le temps avant de filmer quoi que ce soit. Nous commencions par nous faire connaître, expliquer pourquoi on était là et c’était aussi un temps consacré à écouter et regarder ce qui se passait dans le village. Au moment où je sortais la caméra, les personnes nous avaient déjà identifiés, une relation de confiance s’était déjà établie : c’était donc plus facile de proposer des entretiens. Souvent même, nos interlocuteurs nous suggéraient des situations particulières à montrer dans le film comme le match de football, la récolte du coton ou la cérémonie dansée à Zamo par exemple.
© Lucie Viver
Le documentaire a des aspects très fictionnels dans la narration, comme si les personnes que l’on voit n’avaient pas conscience de la caméra. Était-ce quelque chose de volontaire de votre part ?
LV : Oui, mon intention était de faire oublier la caméra et d’offrir la possibilité au spectateur de rentrer dans le film comme si on lui racontait une histoire, sans forcément être perturbé par un regard caméra ou une adresse verbale à la caméra. Il y a plusieurs choix de réalisation qui ont permis d’atteindre cette forme quasi « romanesque ». D’abord, comme je le disais, nous prenions le temps à chaque étape et les gens étaient habitués à notre présence, ils étaient à l’aise. Et puis, les conversations filmées se faisaient par l’intermédiaire de Bikontine : ce sont principalement des Burkinabè qui parlent à un autre burkinabè, ce qui donne souvent des échanges très naturels, sincères, intimes. Cela n’aurait sans doute pas été la même chose s’ils me parlaient à moi ou à la caméra.
Quand est venue l’idée d’articuler le film autour de la voie de chemin de fer ? En quoi est-elle si importante pour comprendre le Burkina Faso d’aujourd’hui ?
LV : Cette idée est arrivée assez vite, suite à mes premiers séjours de repérage. C’est en discutant sur place et en faisant des recherches que j’ai décidé de suivre la voie ferrée, pour plusieurs raisons. D’abord, parce que c’est la seule ligne de chemin de fer du pays. Cette grande diagonale de 600 kilomètres permet d’accéder à une grande variété de paysages, de cultures et d’activités économiques différents. C’est également une trace historique de la colonisation française. Enfin, il y a un rapport très fort avec Thomas Sankara, qui a initié le prolongement de la voie ferrée de 100 kilomètres entre Ouagadougou et Kaya. Il avait demandé l’aide financière de plusieurs organisations internationales, mais celle-ci lui a été refusée : cette portion du chemin de fer a donc été construite par les Burkinabés eux-mêmes. Comme il n’y avait pas vraiment de machines sur place, la majorité des travaux s’est faite à la main : des équipes d’ingénieurs passaient de village en village pour poser les rails par tronçon, avec l’aide des villageois. Les travaux se sont arrêtés brusquement après la mort de Thomas Sankara. Le train a roulé quelques années sur cette portion, et puis quand les chemins de fer ont été privatisés il a été décidé de la fermer. Aujourd’hui elle est totalement abandonnée. C’est un décor incroyable, très impressionnant.
© Météore Films
Le Nord du pays est aussi confronté à la menace terroriste…
LV : Tout se passe principalement au Nord de Kaya, là où le chemin de chemin de fer ne circule pas. L’idée de Sankara était justement de désenclaver cette région pour l’inclure dans le développement économique et social du pays. Avec l’interruption du projet de voie ferrée cette région est restée un lieu isolé et mal équipé. La jeunesse qui vit là-bas n’a pas beaucoup de perspectives. On peut imaginer que cela favorise son recrutement par les groupes djihadistes.
Est-il prévu un jour de réhabiliter la dernière portion du chemin de fer ?
LV : La voie ferrée elle-même appartient toujours à l’Etat. En revanche, l’exploitation du chemin de fer, c’est le Français Vincent Bolloré qui l’a récupérée, comme beaucoup d’autres infrastructures routières, ferroviaires, portuaires sur tout le continent africain. En échange de cette concession, il s’est engagé à rénover les voies et les trains et même à réhabiliter la portion entre Ouagadougou et Kaya. Mais les travaux de rénovation [prévus par le Traité d’amitié et de coopération (TAC) signé en 2008 entre Blaise Compaoré et l’ex-président ivoirien Laurent Gbagbo, ndlr] n’ont toujours pas commencé.
Le film a-t-il été projeté au Burkina ? Quelle a été la réaction des Burkinabè ?
LV : On a montré le film plusieurs fois, à Bobo-Dioulasso, Ouagadoudou et dans le village de Zamo, c’est-à-dire principalement dans les zones où nous avons tourné. En voyant le film, le gens ont été surpris d’abord, parce que ce n’est pas du tout le genre de films qu’ils ont l’habitude de regarder.
Ils étaient aussi très surpris et heureux de voyager ainsi dans leur propre pays, car il y a très peu de déplacements « touristiques » au Burkina. Ce qui leur a plu en particulier c’est le fait qu’on donne la parole à tout le monde, pas seulement à des grands cadres, des intellectuels, des responsables ou des militants politiques. Chaque spectateur burkinabè peut s’identifier facilement aux personnes que l’on voit dans le film. Enfin, ils étaient très étonnés et attristés bien sûr de voir les rails abandonnés après Ouagadougou. Cette « bataille du rail » est quelque chose dont ils ont entendu beaucoup parler et dont ils sont très fiers, parce qu’ils ont réussi à construire la voie ferrée par eux-mêmes sans l’aide de l’Occident ni des organisations internationales. Alors voir que maintenant tout est en ruine, c’est pour eux un choc.
© Météore Films
On voit dans le film des individus très pauvres, parfois sans travail ou sans ressources, mais pour autant vous les filmez avec beaucoup de dignité. Aviez-vous la volonté de montrer ce pays sous un angle d’espoir ?
Je voulais éviter tout misérabilisme. C’est un travail de chaque seconde qui dépend de beaucoup de choses : comment on montre les personnes, comment on se comporte avec elles, comment on fait le montage… La plupart des Burkinabè que l’on voit dans le film sont extraordinaires de dignité, même dans des situations qui paraissent complètement absurdes et désespérées. Par exemple, il y a les chercheurs d’or qui continuent à creuser un trou dans lequel ils perdent de l’argent et s’abîment la santé. Et pour autant, on n’a pas du tout envie de les condamner, de les juger, parce qu’ils sont tellement investis de cet espoir que c’est éminemment respectable. J’ai été frappée par la sincérité que mettaient les gens dans tout ce qu’ils entreprennent et de la lucidité dont ils font preuve par rapport à leur situation. J’ai tout fait que le film restitue cette force-là.
Pourquoi selon vous Thomas Sankara est-il toujours si présent dans l’esprit des burkinabés, 30 ans après ?
Cela tient à plusieurs choses je pense. D’abord sa personnalité : Sankara était quelqu’un de très charismatique et de très simple à la fois, comme on peut le voir dans ses discours. Il y a aussi son action parce que pendant ses quatre ans au pouvoir beaucoup de choses ont été faites, notamment des infrastructures, des routes, des dispensaires. Le pays a réussi à atteindre l’autosuffisance alimentaire alors qu’il ne l’avait jamais eue auparavant et qu’il ne l’a jamais retrouvée depuis. Et puis il était moderne dans son approche des choses parce qu’il tenait beaucoup à l’émancipation de la femme, qu’il avait une conscience environnementale et luttait contre la déforestation… Les Burkinabè sont conscients de tout cela. Il existe une archive audio dans laquelle Sankara explique que le plus important d’après lui est que les Burkinabè aient pris confiance en eux, et je pense c’est en effet la plus belle chose qui puisse être donnée à un peuple. La figure de Sankara est donc restée gravée dans l’esprit des personnes qui ont connu la période de la révolution puis elle a été transmise à toutes les jeunes générations.
Pour trouver les séances près de chez vous, rendez-vous sur le site de la Vingt-cinquième heure : https://www.25eheure.com/
Certaines séances sont suivies d’une rencontre avec la réalisatrice Lucie Viver et le poète Bikontine.
Galerie Photos
aVoir-aLire.com, dont le contenu est produit bénévolement par une association culturelle à but non lucratif, respecte les droits d’auteur et s’est toujours engagé à être rigoureux sur ce point, dans le respect du travail des artistes que nous cherchons à valoriser. Les photos sont utilisées à des fins illustratives et non dans un but d’exploitation commerciale. Après plusieurs décennies d’existence, des dizaines de milliers d’articles, et une évolution de notre équipe de rédacteurs, mais aussi des droits sur certains clichés repris sur notre plateforme, nous comptons sur la bienveillance et vigilance de chaque lecteur - anonyme, distributeur, attaché de presse, artiste, photographe. Ayez la gentillesse de contacter Frédéric Michel, rédacteur en chef, si certaines photographies ne sont pas ou ne sont plus utilisables, si les crédits doivent être modifiés ou ajoutés. Nous nous engageons à retirer toutes photos litigieuses. Merci pour votre compréhension.