River of grass - la critique du film

Notre avis : 1995 : La grande cinéaste américaine indépendante, Kelly Reichardt, signe son premier long métrage, empreint de ses propres souvenirs (elle avait notamment un père policier) et de son regard si particulier, qui caractérisera notamment ses œuvres plus connues Old boy ou Night Moves, choisissant à chaque fois, pour planter ses histoires, une Amérique désolée et rurale, hantée par des personnages mélancoliques et atypiques. Un jeune homme édenté et paumé, un flic qui perd son arme de service, une jeune mère mélancolique et désinvolte : voilà trois des personnages qui habitent ce drôle de film, où transparaît déjà le symptôme d’une Amérique décadente et en perte de sens. Le lieu même qui donne le titre au long métrage ressemble à un espace de transition, entre la mer peuplée l’été par les touristes et les vastes campagnes à perte de vue.

Copyright Splendor Films

La caméra qui s’invite dans cette ville isolée et étrange, rappelle sans cesse le talent photographique de la réalisatrice. Les objets, les intérieurs des maisons sont balayés par la caméra, comme pour donner un écrin quasi romanesque aux personnages du film, d’une consternante tristesse. Le monde semble au bord du gouffre, malgré les petits airs jazzy qui égayent l’existence ennuyeuse de ces gens. Les personnages subissent leur destin, et les événements se succèdent sans qu’ils ne les aient choisis. Un flic perd son revolver, un ami de Lee le trouve et le lui confie, Lee rencontre Cosy dans un bar, et tous deux tirent malencontreusement contre un homme, chez lequel ils se sont introduits, en pleine nuit, pour profiter de la piscine. Bref, le drame s’abat sur ces existences, comme la preuve d’un destin qui les condamne déjà à devenir des ombres errantes et sans but. La provocation n’est jamais loin chez la cinéaste qui, non sans humour, oblige le couple de Lee et Cosy à écraser avec une Bible un cafard qui jonche le sol du motel sordide où ils se sont réfugiés.

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River of grass revisite le mythe célèbre de Bonnie and Clyde dans une Amérique rurale et profonde. On pense sur un mode moins trash à l’immense Sailor et Lula de David Lynch, avec cette ribambelle de personnages atypiques et perdus et la fuite désespérée du couple dans un hôtel tenu par une patronne antipathique. Les quiproquos, à la limite de la comédie, traversent ce récit d’errance psychologique et sociale. La réalisatrice dénonce un individualisme cynique, dans un univers capitaliste, où l’espoir d’une vie meilleure semble bien mince, notamment pour la jeunesse dont elle est partie prenante. Finalement, presque vingt-cinq ans plus tard, la reprise du film paraît d’une formidable actualité dans un pays où les classes moyennes ont voté en masse pour Donald Trump, plus par perte de confiance que conviction politique véritable. La jeunesse espère trouver un sens à l’existence, l’indifférence générale hante les villes et même l’amour semble avoir déserté les paysages.

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River of grass est un grand film prometteur, au style absolument original. Il ne faut pas attendre beaucoup de joie dans ce road movie poétique, mais pour autant, le plaisir cinématographique est indéniable. Cela fait de cette œuvre une création attachante et prenante, comme un morceau de jazz qu’on ressortirait des cartons et qu’on écouterait en buvant un bon vin.