Le 10 juillet 2021
- Acteur : Matt Damon
- Festival : Festival de Cannes 2021
Matt Damon, c’est Jason Bourne, le soldat Ryan, Will Hunting. Ce sont des films avec Spielberg, Soderbergh, Eastwood, Nolan, Liman, Gus Van Sant, Coppola. C’est trente ans de carrière souvent pour le meilleur, des souvenirs à la pelle, alors qu’il a désormais cinquante ans. C’est aussi une masterclass cette année à Cannes, que nous vous proposons de revivre.
News : Vendredi 09 juillet 2021, 15 h, salle Luis Buñuel. L’excitation est palpable. Ceux qui n’ont pas encore de billet une heure avant le début de la masterclass font la queue. Ceux qui ont déjà un billet… font la queue aussi. Pour aVoir-aLire, je serai au fond de la salle Luis Buñuel, tout à fait en face de Matt Damon. Heureusement, l’endroit n’est pas grand. Aussi, je verrai tout. J’essaierai aussi de tout comprendre, l’audace me bornant à refuser la traduction instantanée d’anglais à français. On aura Matt Damon en version originale. Tout se prépare, tout s’agite, et soudain…
Thierry Frémaux, délégué général du Festival de Cannes. Sans lui faire offense, il n’est pas celui qu’on attendait. Mais il le sait, et refuse de faire durer le suspense plus longtemps. Il nous accueille, fier de nous présenter l’invité du jour. Matt Damon ne donnera pas de leçon, il discutera simplement. Le fameux Didier Allouch, Monsieur cinéma américain de Canal +, animera les débats. On l’applaudit. Mais on attend, enfin, Matt Damon.
Il vient à Cannes pour présenter Stillwater, de Tom McCarthy, tourné en France et qu’il porte sur ses épaules. Il vient surtout en tant que scénariste, producteur et bien sûr acteur d’immense renommée. Au cinéma, il a fait la guerre, l’amour, il a massacré deux, trois méchants et sauvé le double de gentils. Il a déjoué des plans terroristes et campé seul sur Mars. Celui qui est probablement l’un des dix acteurs les plus identifiables de Hollywood, et même du monde, a pris plus d’une heure de son temps, devant une salle comble, pour nous livrer sa masterclass.
Sous un tonnerre d’applaudissements, Matt Damon, tout en sobriété, débarque. Il nous glisse quelques mots en français. Il poursuivra en anglais. C’est sa quatrième présence au Festival. Sa plus significative. L’année qui vient de s’écouler l’a marqué. Aussi, la projection, la veille, de Stillwater devant un public conquis et nombreux, l’a ému. Il n’avait jamais ressenti, assure-t-il, un tel besoin de partager un film.
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Tout au long de l’entretien, il n’aura de cesse de rappeler son profond amour pour le métier. Si on lui demande ce qui le motive, il répondra tout simplement qu’il aime ça. Il avait livré à l’université un essai, qui tenait ce langage en ouverture : « For as long as I can remember, I’ve always wanted to be an actor. »
D’aussi longtemps qu’il se souvienne, il a toujours voulu être un acteur.
Il commence son essai de fin d’étude comme les affranchis entament un film de Scorsese, qu’il retrouvera pour The Departed (Les Inflitrés), en 2006. Il conviendrait d’ailleurs de le revoir pour en apprécier la grandeur, parfois discutée.
Mais Matt Damon, jusqu’à ses vingt-sept ans, est un jeune inconnu, totalement fauché. Avec son ami de toujours, un certain Ben Affleck, il galère, d’appartements miteux en petits jobs. Il veut simplement s’en sortir, animé par son amour du septième art. Pas de rôle pour eux ? Ils vont se l’écrire, ce scénario. Inspirés par Tarantino et Reservoir Dogs, ils remarquent que ce dernier a pu se monter uniquement sur le nom de Harvey Keitel, et que le reste de l’équipe a pu jouer et travailler. C’est ce qu’il faut faire ! Alors le rôle pour « Robbie » (Robin Williams, inoubliable) est écrit. Il leur fallait un acteur tellement bon qu’ils pourraient jouer à côté, sans se soucier du financement. C’est le début.
La galère l’a défini en tant que comédien. Il a toujours décidé de rester fidèle à son clan, à ses amis, Affleck en tête. Ensuite Clooney, Soderbergh. Comme il dit, il vaut mieux être avec ses amis que rester seul sur Mars ! Damon sait ce qu’est une vie et tient à circuler incognito, autant que faire se peut. Pas comme Brad (on précise vraiment le nom de famille ?). Brad, c’est un autre monde. Pour la promo d’Ocean’s Eleven, la folie autour de son collège le marque profondément. Il sait qu’il est taillé pour subir cette pression. Pas lui. C’est aussi cela qui est particulier chez Damon : i est ultra-connu, a obtenu plein de réussites, mais conserve une forme de distance avec les médias et un système au potentiel destructeur. Il avoue que s’être tenu loin des scandales et avoir connu la vie d’anonyme l’aura bien aidé.
Mais alors, quand Matt Damon choisit un rôle, qu’est-ce qui le motive ? Depuis qu’il est en mesure de décider, ce qui est arrivé assez tard, il demande un film au réalisateur. Tout simplement. Il veut travailler avec le meilleur réalisateur. The better the director, the better the movie. Alors, il place toujours l’art au centre du jeu, de ses motivations. Chaque décision est animée d’un esprit créatif et artistique, pour aimer ce qu’il fait. Trop de jeunes écrivent pour faire ce qu’ils pensent que les gens vont aimer. Non, définitivement, il faut faire ce qu’on a envie de voir. Prenez note.
Dès lors, il peut parler longuement de Boston, capitale du Massachusetts, son État de naissance. Il y a un parfum, là-bas. Un esprit. Une attitude. Tout ce qu’on retrouve dans les films de son ami Affleck The Town ou encore Gone Baby Gone. C’est cet esprit qu’il a tenté d’insuffler à « Marty » Scorsese pour Les Infiltrés. Certes, quand on appelle Scorsese « Marty », on avoue sans le dire à quel niveau on se situe. Pourquoi parler autant de Boston ? Car Marseille, où a été tourné Stillwater, lui a beaucoup rappelé Boston. Cette attitude, cet esprit. Les gens « un peu fous ».
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Mais on en revient à ses débuts, au premier très grand film qu’il tourne, en 1998. Saving Private Ryan. Il faut sauver le soldat Ryan. Il y joue ce soldat d’une fratrie de quatre, qui ne sait pas encore que tous ses autres frères sont morts au combat. L’escouade de Tom Hanks est chargée de le retrouver. Et Damon se confronte à l’exigence ultime de Steven Spielberg. Il pourra difficilement trouver un plus haut niveau, à tous les plans. Réalisez : Spielberg tourne avec dix caméras en même temps ! Il pose alors mille questions au metteur en scène, et ne cessera d’apprendre sur chacun de ses projets.
Mais tous ne fonctionnent pas de la même manière. Et tout le talent pour l’anecdote de Matt Damon permet de saisir les quelques moments de flottement qu’il a pu connaître au cours de sa carrière. Clint Eastwood, l’immense Clint Eastwood, lui, ne prenait qu’une prise la plupart du temps. Sur Invictus (2009), Damon est dérouté. Lorsque Eastwood annonce « Cut, move on », Damon répond « Can I have another one ? ». Damon imite alors la voix grave et profonde du metteur en scène : « Why ? You want to lose everybody’s time ? ». Encore une fois, il apprend. A diriger un jour ?
Il réalisera un film un jour. Il le sait. Tout le monde le sait. Il est capable de prendre autant de plaisir sur une minuscule production comme Gerry (Gus Van Sant, 2002), que sur une énorme production comme Ocean’s Eleven (Steven Soderbergh, 2001). Il sait de quoi il parle : il enchaîne Gerry juste après Ocean’s. Il sera donc capable de réaliser des long métrages de toutes les dimensions.
Cela vient du fait qu’il essaie de ne jamais se prendre trop au sérieux. Il n’a jamais voulu laisser la célébrité corrompre les relations qu’il avait déjà construites avant ses vingt-sept ans. Au point de prendre du recul et tourner en dérision certaines décisions pour le moins mal senties.
Il se présente comme le seul acteur au monde à avoir refusé plus d’argent qu’on ne pourrait l’imaginer. En effet, James Cameron vient le chercher pour Avatar. Ce dernier lui présente le projet, et lui affirme qu’il peut se monter sans lui. La star, c’est le film. En revanche, s’il veut jouer dedans, aucun problème, Damon recevra 10 % des recettes. 10 %. Mais il est engagé. Pour des impératifs d’engagement qui reviendront souvent dans sa carrière, il ne peut accepter. En effet, il veut rester proche de la production de son dernier Jason Bourne. John Krasinski (récent réalisateur de Sans un bruit) en parle parfaitement. Alors qu’il apprend que Damon a refusé Avatar dans sa cuisine, il lui affirme : « Matt, rien ne serait différent dans ta vie si tu avais fait Avatar. A part qu’on n’aurait pas cette conversation dans ta cuisine, mais dans l’espace ! »
Reste la sensation que cet homme n’a pas encore apporté tout ce qu’il pouvait au cinéma. Aujourd’hui, il est fier d’avoir fondé avec Ben Affleck la maison de production Pearl Street Films. Ils produisent notamment Manchester By the Sea (Kenny Lonagan, 2016), que Damon a failli réaliser. Damon a d’ailleurs failli réaliser beaucoup de films.
Ce n’est que partie remise.
On gardera donc le souvenir d’un homme la tête sur les épaules, qui a beaucoup de recul – au moins autant que de charme –, très drôle, et n’a pas encore tout dit au cinéma. On a hâte.
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