Les entretiens aVoir-aLire
Le 26 janvier 2005
Les nouveaux réalisateurs espagnols semblent décidés à suivre leur chemin, hors des sentiers balisés par leurs illustres aînés.
- Réalisateur : Teresa de Pelegri
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Teresa de Pelegri vient de signer, avec son complice Dominic Harari, une comédie survoltée, Tellement proches !, qui nous arrive comme une nouvelle preuve de la bonne santé du cinéma espagnol. Les nouveaux réalisateurs semblent décidés à suivre leur chemin, hors des sentiers balisés par leurs illustres aînés !
Pendant très longtemps, le cinéma espagnol que l’on connaissait en France se limitait à Buñuel et Carlos Saura, comme si la comédie était un genre mineur qui ne méritait pas de passer les frontières. Comment se porte la comédie espagnole, aujourd’hui ?
Au niveau national, très bien. Malheureusement, la comédie un peu "lourde" fait beaucoup plus d’entrées que la comédie "intelligente" et par conséquent passe mieux au niveau international. Quant à la popularité de certains auteurs, je crois que c’est surtout le fait des festivals, de la critique, de la presse. La comédie n’est pas prise au sérieux. Almodóvar a ouvert grand les portes pour que la comédie espagnole devienne un genre en soi.
Mais il y a tout de même un danger, c’est que la comédie espagnole se limite à Almodóvar !
Oui, c’est vrai que pendant un moment, le public ne voulait que ça, ou ce même genre de cinéma. Mais c’est mieux que rien ! Almodóvar est devenu une référence et c’est à double tranchant. D’un côté, on classe les films dans des cases, mais d’un autre côté, je crois que c’était alors quelque chose que les gens comprenaient immédiatement, et qui les poussait à sortir de chez eux pour aller au cinéma. Aujourd’hui, nous avons dépassé cette étape Almodóvar. Les films s’exportent et les réalisateurs commencent à se faire des noms.
Tellement proches ! est un film bavard, avec des personnages nombreux, et au bord de la caricature. De plus, pendant presque tout le film, on respecte un lieu unique et toute l’action se déroule en une nuit. Avez-vous été influencée par le théâtre ?
Je suis influencée par l’idée de la simplicité du théâtre. C’est à dire l’idée de ne pas avoir à s’inquiéter des déplacements, des lieux, pour pouvoir se centrer sur les acteurs. Mais plus qu’au théâtre, je trouve mon inspiration dans les comédies screwball des années 40-50 qui se déroulaient généralement dans un lieu unique et c’était justement ce qui permettait cette accélération, ce qui transformait tout en une spirale infernale.
Vous évoquez un thème grave sur le ton de la comédie. Pensez-vous que la dénonciation est plus efficace quand elle se teinte d’humour ou votre objectif n’a rien à voir avec une quelconque dénonciation ?
Notre objectif n’était pas de faire un pamphlet politique. Mais la comédie sert à montrer le côté absurde des choses, sans prendre parti. Les meilleures comédies montrent que tout le monde a ses faiblesses, que tout le monde est humain. Alors oui, je pense que c’est la meilleure arme pour montrer. Pas dénoncer. Montrer. Billy Wilder disait qu’il faut donner au spectateur une cuillerée de cyanure, mais enrobée de chocolat !
Vous exploitez un humour très visuel, presque de cartoons et certaines scènes peuvent évoquer Tex Avery ! C’était une volonté délibérée ?
Tout cela s’est fait avec l’idée que nous étions totalement dans la réalité et c’est tout le contraire que les gens nous ont renvoyés ! Cela prouve peut-être que notre vision de la vie est un peu tordue ! Tout ce qui se passe, ce sont des choses que nous avons vécues dans notre entourage familial. Alors soit nous sommes entourés de caricatures, soit la vie est un cartoon ! Nous faisons de la comédie, et la comédie il faut la mener jusqu’aux limites. Mais toutes les situations sont plausibles. Les objets tombent par la fenêtre, les gens se prennent des portes et tout ça, c’est la vie ! Notre référence, c’était la réalité, et des anecdotes familiales. C’est sans doute la concentration de l’espace et du temps qui donne cet effet d’exagération.
Le film met aussi en scène l’absence des hommes. Pensez-vous que ce schéma matriarcal existe toujours en Espagne ?
Je crois que oui. Même si à la maison les rôles s’équilibrent, l’homme, les années passant, a tendance à fuir et réduire son influence familiale tandis que la mère l’étend. En ce sens, la figure du père absent est presque une constante dans les familles méditerranéennes. Mais l’ambiguïté, c’est que le père doit avoir le dernier mot. Il faut attendre qu’il le prononce, mais c’est comme une faveur que les femmes lui font. En réalité, ce sont elles qui sont omnipotentes.
Dans le film, il s’agit d’une famille juive, mais ce pourrait être un fonctionnement familial méditerranéen. Y a-t-il vraiment une différence ?
La culture juive est inséparable de la Méditerranée. Donc, on parle de la même chose. Je crois que le rôle de la mère est encore plus important dans la culture juive justement parce qu’ils n’ont pas ce personnage du macho espagnol qui doit toujours avoir le dernier mot. Cela rend le rôle de la mère encore plus important.
Que serait pour vous la famille idéale ?
Je crois que "famille" et "idéale" sont deux mots incompatibles ! On pourrait dire que l’idéal serait d’avoir à la fois la liberté individuelle et l’appui de la famille. Mais c’est impossible. Si on veut le soutien de la famille on consent à une perte de liberté. La famille modèle serait celle qui respecte chacun dans son espace et qui en même temps s’aime. Mais ce serait terriblement ennuyeux. C’est cette relation d’amour et de haine que nous avons voulu montrer dans le film.
Propos recueillis à Paris le 13 janvier 2005 - Traduits de l’espagnol par Catherine Le Ferrand
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