Les entretiens aVoir-aLire
Le 4 mars 2004
Rencontre avec un sculpteur d’émotions.
- Réalisateur : Peter Webber
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Coup d’essai, coup de maître pour Peter Webber, réalisateur de La jeune fille à la perle. Monteur de documentaires et de fictions, puis réalisateur pour la télévision britannique, l’homme est un grand cinéphile et amateur d’art devant l’éternel. Inutile de préciser que le charme à l’anglaise a une fois de plus opéré...
Aviez-vous lu le roman de Tracy Chevalier avant ce projet d’adaptation ?
J’ai lu le scénario d’abord. Et délibérément, je n’ai lu le livre que vraiment tout près du tournage lui-même, parce que pendant six mois, j’avais travaillé avec Olivia [Hetreed], la scénariste, pour changer, adapter, renforcer certaines choses, en rejeter d’autres, pour être beaucoup plus proche du film que j’avais dans ma tête et que j’avais envie de faire. Une fois que j’ai senti que je le possédais bien, à ce moment-là, j’ai lu le livre, pour me remplir différemment de cet univers. Mais au départ, c’était vraiment le scénario.
Avec Eduardo Serra, votre directeur de la photographie, concrètement comment cela a fonctionné ?
Nous avons tous les deux fait des recherches de notre côté. Il faut savoir qu’Eduardo avait étudié l’histoire de l’art, pendant quatre ans à la Sorbonne, et que moi-même, j’avais étudié cette discipline pendant trois ans en Angleterre, donc on parlait la même langue et je trouvais que c’était un homme qui avait définitivement une forme de courage puisque la première fois que nous nous sommes vus nous avons dîné dans un restaurant de poissons, et il a commandé de l’anguille en aspic c’est-à-dire, vraiment en gelée, qui est un plat typique cockney. Un homme courageux, donc ! (rires)
Et que s’est-il passé lorsque vous avez franchi le seuil de la fameuse pièce de montage ?
On espère toujours des miracles, comme vous l’imaginez, mais une fois qu’on a la première mouture, on veut se jeter par la fenêtre. On se dit : "Mon Dieu quel horreur, jamais je ne ferai un bon film !", enfin c’est terrible ! Et à partir de cet état où l’on est plus du tout amoureux de son travail, on peut finalement passer à la seconde phase, qui est essentielle et extrêmement violente, qui consiste à reformer le film : le courber et le forcer pour qu’il soit quelque chose que le public puisse accueillir dans une salle de cinéma. Ce qui est important finalement, c’est de ne pas se dire "j’espère trouver ceci" mais avoir la lucidité de voir ce que l’on a vraiment. Si j’usais d’une métaphore ici, ce serait plutôt la métaphore du sculpteur, celui qui devant un morceau de bois, a une idée préconçue de ce qu’il veut sculpter, et à un moment il tombe sur un nœud dans le bois et il doit forcément travailler autour de cela. C’est un petit peu comme Tarkovski qui parlait du cinéma comme sculpture du temps, sculpture de l’émotion. Donc ce que j’aime moi, c’est trouver la force dans ce que j’ai, éliminer les choses les plus faibles, et finalement arriver à quelque chose de fort. Donc, je dis merci au montage ! (rires)
J’aimerais que vous me parliez de la scène du piercing, il y règne une sorte de perversité latente...
Oui, c’est ma scène préférée, c’est normal je suis anglais, c’est ce qu’on appelle le "vice anglais"... (rires)
Quelle pourrait-être selon vous l’importance de cette scène, par rapport à l’intrigue et par extension par rapport à ce qu’on a l’habitude de voir au cinéma ?
Je ne pense pas être à la bonne place pour en parler, faisant partie de la matière même du film. Mais à un certain degré, bien sûr c’est la métaphore du dépucelage. Je crois que cela montre que la seule façon que ces deux êtres ont de communiquer et de vivre leur relation, c’est à travers la douleur, douleur qu’elle accepte car tous deux se sentent investis d’une mission qui est de participer à l’œuvre et de la créer. Je crois donc intimement que la douleur émotionnelle et la sexualité se mélangent et c’est un courant à la fois pervers, sombre et fascinant.
Et celui qui incarne le plus ce mystère, c’est bien le personnage de Vermeer [joué par Colin Firth]. Comment avez-vous travaillé sur cet aspect du rôle avec Colin Firth ?
Dieu merci, j’ai pu travailler avec un acteur qui aime le minimalisme, si je puis dire, du jeu et qui acceptait d’être cette espèce de présence fantomatique. Il n’était pas égoïste ou plutôt égotiste au point de vouloir s’imposer, car finalement tout le travail de Colin, là-dedans, était à la fois de créer le mystère et l’ombre, la présence et l’absence.
En somme, garder ce mystère présent autour de Vermeer - personnage dont les détails biographiques restent confus pour les spécialistes de l’histoire de l’art-, tout au long du film, n’était-ce pas surtout une forme d’hommage à ce génie de la peinture flamande ?
Tout à fait. Dans les tableaux de Vermeer, il y a toujours cette forme de transcendance qui crée ce sentiment même de mystère. Ma ligne directive, finalement, c’était de capturer l’essence de sa magie, de travailler avec ce "filtre Vermeer" qui me poussait à couper, couper et toujours couper, pour atteindre l’essentiel, l’essence même de son art.
Propos recueillis le 6 février 2004
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