Les entretiens aVoir-aLire
Le 5 avril 2006
Rencontre avec le trio infernal qui a imaginé cette perle d’humour et de poésie qu’est L’iceberg.
- Réalisateurs : Dominique Abel - Fiona Gordon - Bruno Romy
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Il y a quelques jours, Le Titanique était amarré quai de Seine. Un tableau modeste mais suffisamment insolite pour qu’on ait envie d’en savoir plus sur le trio infernal (Dominique Abel, Fiona Gordon, Bruno Romy) qui a imaginé cette perle d’humour et de poésie qu’est L’iceberg. A vos cirés !
Vous définissez votre film comme un "sea movie". Vous avez inventé le genre ?
On a inventé le mot, en tout cas ! En réalité, on a cherché une histoire hyper simple avec une ligne droite parce qu’on pensait que c’était comme ça que notre jeu avait le plus de chances de s’épanouir.
Et sur la mer, il y a moins de possibilités de se disperser...
Ce n’est pas pour ça qu’on a choisi la mer. Il y avait une quête, des métaphores, la glace, la fonte des icebergs... Tout ce qui représente l’obsession de Fiona. Mais en réalité, c’était très difficile. Dans notre style, on a besoin de dominer les éléments parce qu’ils jouent aussi dans le film, et évidemment, on ne domine pas la mer.
Au début on a filmé le bateau avec un autre bateau, et ça faisait documentaire, et ce n’était pas du tout notre style. Après on a trouvé l’idée de la rétro-projection comme dans les vieux films d’Hitchcock, et ça donne un côté beaucoup plus artisanal qui correspondait à ce qu’on avait envie de dire, dans la mesure où la forme et le fond ont la même couleur, la même fragilité. C’est un travail sur la maladresse.
Quand on sort de la projection, on a vraiment l’impression d’être trempés et glacés ! On est contaminés. On ressent le malaise physique du froid et de l’humidité !
L’eau était rarement au dessus de 16°, donc, quand on était dans la mer , c’était dur. Il y a des moment où on ne se souvenait plus du texte. C’était comme si les fusibles de la tête s’éteignaient. Mais toute l’équipe y a participé, et on a survécu !
Selon vous, le ressort comique provient-il du huis clos que constitue le bateau, ou justement de l’élément liquide, qui peut apporter une dimension qu’on ne peut pas atteindre sur la terre ferme ?
Chaque instant du film donne des possibilités poétiques et drôles. Il y avait aussi un plaisir de jouer avec l’eau, c’est à dire ne pas faire semblant d’être vraiment dans la mer : jouer avec des seaux d’eau, pour faire les embruns, par exemple, c’est un vieux truc burlesque, mais ça nous attirait vraiment. On essaie de trouver une complicité avec le public dans la manière d’être un peu idiot, de ne pas nous présenter sous notre meilleur jour, et la mer, c’est porteur, à ce niveau-là.
En même temps, c’est de l’humour de situation, très basique, très tarte à la crème, mais ça marche. En plus, vous avez joué sur le décalage, les situations humoristiques, mais on en voit les ressorts. On est en même temps des deux côtés de la caméra.
On cherche cette complicité. On cherche à créer une connivence avec les gens. Ce n’est pas crédible, mais on y croit quand même. Le public est complice des astuces.
C’est un registre qu’on emploie beaucoup au théâtre, parce qu’on n’a pas accès à la réalité. Donc, forcément, on utilise l’imagination, et il faut que les gens nous accompagnent, sinon, c’est foutu, ça ne va jamais marcher. Nous, on amène cet univers-là au cinéma, et c’est assez rare.
L’iceberg ressemble très fort à une BD. On a l’impression que les plans sont faits comme des cases... Revendiquez-vous cette influence ?
C’est belge !
On part d’idées simples et on ne va pas beaucoup plus loin dans l’écriture. On sait que c’est sur la scène, en improvisant, qu’on va trouver. On construit nos cases, sans bulles, et on remplit après. C’est vrai que c’est la façon de fonctionner du burlesque. Mais comme disait Hergé, avec la ligne claire, il n’y aura jamais un téléphone sur une table si ce téléphone ne sonne pas. Par rapport à la BD, on essaie d’amener le sentiment par ce qui entoure le personnage, et pas seulement par le jeu. On essaie de faire de la psychologie par la matière, comme Fiona, quand elle rentre toute mouillée, toute seule, elle a un bol, où c’est marqué "Maman", et elle n’a plus que les miettes qu’on lui a laissées sur la table. C’est le contexte qui fait qu’on souffre pour elle, mais elle ne joue pas la tristesse.
Les regards sont étonnants. Ils se croisent peu. On a l’impression que les spectateurs regardent derrière les comédiens en même temps que les comédiens regardent derrière nous. Et on en arrive presque à se demander s’il n’y a pas aussi des choses qui se passent dans notre dos ! Dans ces jeux, vous avez recherché une proximité avec le cinéma muet ?
Ce n’est pas qu’on recherche, mais on partage le même désir, celui d’exprimer les choses avec le corps, et cette complicité avec le public. Il y a des gens qui utilisent l’image comme langage, je pense à Kusturica, ou Kaurismaki. Mais c’est plutôt rare. C’est rare aussi parce que quand on présente à des financiers un scénario sans dialogue, ils sont un peu perdus !
Par rapport au cinéma muet, on ne s’empêche pas d’écrire des dialogues. Mais quand on travaille, on improvise, on trouve un geste qui remplace les paroles, et c’est beaucoup plus satisfaisant. Parfois, le dialogue est là pour terminer, pour mettre un point final sur une émotion.
Votre collaboration est-elle une aventure au long cours ?
On a commencé il y a quinze ans avec un court, et nos agendas se croisent régulièrement. On a un goût commun. On ne fera pas toujours tout ensemble, mais en tous cas, le prochain film se fera à trois.
Propos recueillis à Paris, le 21 mars 2006
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