Le 2 décembre 2019
- Dessinateur : Hyacinthus
- Famille : Roman graphique
- Editeur : Rue de l’échiquier
Hyacinthus propose dans Les Cosmogoniales un voyage onirique et poétique depuis la création de la Terre jusqu’au développement de la faune.
Artiste graveur et dessinateur, Hyacinthus a réalisé cette année sa première bande dessinée, Les Cosmogoniales, un album original et ambitieux qui met en images la création de la Terre avec beaucoup de poésie. Son album confronte le récit de la création du monde d’après les auteur de l’Antiquité, regard qui s’exprime à travers les citations de l’ouvrage, avec nos connaissances contemporaines sur la cosmogonie, qui sont rapportées par le dessin très expressif de l’auteur. Hyacinthus propose ainsi un voyage onirique sur les origines de notre planète et du vivant. L’artiste nous a accueilli dans son atelier pour échanger sur ce qui l’a poussé à réaliser un tel projet et de ses inspirations, mais aussi sur sa techniques et ses projets futurs.
Àvoir-àLire : Quelle est l’origine de votre projet ?
Hyacinthus À l’origine, je souhaitais réaliser quelque œuvre mythologique empruntée aux Métamorphoses d’Ovide, que j’avais acquises lorsque j’étais encore en classe préparatoire – mon dossier d’entrée aux Arts décoratifs portait sur le Minotaure – et dans lesquelles je n’avais en fait guère pris le temps de me plonger. Je craignais toutefois de me lancer dans une œuvre par trop illustrative et songeais, pour pallier cela, à présenter les divinités primordiales telles des forces cosmiques, ouraniennes ou telluriques de la nature. Très vite, ce choix semblait devoir m’imposer de ne conserver que la portion cosmogonique des Métamorphoses, aussi je résolus de m’ouvrir à d’autres sources mythologiques de sorte à pouvoir narrer les origines de notre monde selon divers auteurs d’expression grecque et latine. C’est un concours de circonstances qui me fit dépasser ce cadre initial mythologique et ouvrit mon corpus de textes à ceux de la philosophie matérialiste et stoïcienne :
– d’une part, une note de fin d’ouvrage de mon édition des Métamorphoses (Garnier-Frères, 1966) indiquant l’influence du stoïcien Poseidonius d’Apamée sur la conception ovidienne du Chaos primordial ;
– plus encore des entretiens rapportés dans La plus belle histoire du monde (Seuil, 1996).
Dans cet ouvrage, le journaliste Dominique Simonnet devise avec Hubert Reeves, Joël de Rosnay et Yves Coppens de l’histoire de nos origines, et de nombreuses allusions sont faites aux pensées antiques, médiévales, modernes et contemporaines, parmi lesquelles celles, fulgurantes, de l’épicurien Lucrèce, exprimées dans De la nature des choses.
On retrouve en effet beaucoup d’extraits de Lucrèce dans votre bande dessinée… De manière générale, comment avez-vous opéré pour choisir les textes des Anciens ?
Les intuitions de Lucrèce m’ont fortement impressionné par la logique qui les sous-tend. Par exemple : alors qu’il observait la mer et voyait croiser au loin des navires, Lucrèce se remémora les innovations techniques maritimes survenues de son vivant ; or malgré celles-ci, les navires demeuraient imparfaits. Il en conclut que le monde était encore dans sa prime jeunesse, car si le monde était éternel, la perfection serait de ce monde. C’est par lui que cette bande dessinée s’est ouverte aux textes philosophiques.
De manière générale, j’ai privilégié les textes qui convenaient le mieux à mon propos, c’est-à-dire dont les théories étaient proches de ce que me semblent être les théories scientifiques contemporaines. La pensée héliocentrique d’Aristarque de Samos, minoritaire est, dans ce contexte mis en lumière au détriment des théories géocentriques majoritaires en son temps.
Enfin, et peut-être surtout, des ponts se sont créés au fil de mes recherches entre les différents auteurs, m’orientant vers des textes que je ne connaissais pas et que je découvrais parfois même par hasard, telles Les Églogues de Virgile.
- Hyacinthus / Rue de l’Échiquier
Comment passe-t-on d’une bande dessinée inspirée des Anciens à une interprétation contemporaine de la création ?
J’ai également lu divers livres de vulgarisation scientifique abordant ce sujet et ce sont ces livres qui m’inspirèrent mes dessins, non ceux de la littérature classique.
Les Cosmogoniales sont constituées de six livres. Lorsque je dessinais chacun d’entre eux, dans l’ordre chronologique, je n’avais aucune idée des textes qui les accompagneraient. Je laissais simplement des cases blanches que justifiait l’importance du moment représenté ou le rythme de lecture. Ce n’est qu’après avoir achevé un livre que je m’autorisais à rechercher les textes classiques qui devaient lui faire écho.
J’espère ainsi avoir permis à la vision contemporaine, par les images, et à celle antique, par les textes, de se rencontrer sur un pied de relative égalité. Nulle n’illustre l’autre : les dessins furent exécutés avant même que je sache quels textes pourraient les accompagner, et les textes furent rédigés de nombreux siècles avant les dessins. Pourtant les deux considèrent un événement similaire à travers des prismes distincts mais relativement convergents. De ces décalages naît la poésie des Cosmogoniales.
Avez-vous aménagé la traduction ? Est-ce que vous maîtrisez le grec ou le latin ?
Je n’ai pas de connaissance significative de ces langues anciennes. Je sais lire l’alphabet grec – ce qui me permet de repérer quelques mots clefs dans un texte – et ai quelques notions grammaticales et lexicales du latin, ce qui m’a permis de repérer quelques expressions.
Il m’a fallu recourir à des traductions déjà existantes appartenant au domaine public, rédigées pour l’essentiel d’entre elles au xixe et au tout début du XXe siècle, qu’il me fut nécessaire de retravailler pour trois raisons :
– primo parce qu’il fallait harmoniser les traductions : un même mot employé dans un même sens devait être traduit d’une même façon, quel que soit le texte et qui que soit son traducteur ;
– secondo parce que l’idée même de ce qu’est une bonne traduction a fortement évolué depuis le xixe siècle. Les traductions se voulaient souvent alors didactiques. Plutôt que de traduire cynthius par « [le dieu] du Cynthe » – figure bien connue de l’auditoire éduqué de Virgile, qui baignait dans la culture mythologique antique, mais peu connue de nos jours – nombre de traductions optèrent pour rendre ce mot d’un plus accessible « Apollon ». Or le choix de conserver les textes originaux m’interdisait une telle liberté… Il me fallait, je pense, rester fidèle à la lettre du texte original ;
– tertio il me fallait parfois, tout de même, dans le respect de la lettre du texte, prendre quelques libertés avec son esprit afin que l’association du texte et de l’image produise son meilleur effet, en choisissant parmi les acceptions d’un mot ou d’une tournure de phrase celle qui conviendrait le mieux.
Passons au dessin : quelles techniques graphiques avez-vous utilisé pour Les Cosmogoniales ?
Les planches sont dessinées à l’encre sur papier. La technique précise a évolué au cours du processus. Mes premières planches étaient des feuilles A4 communes, les dernières des feuilles A3 de plus important grammage.
Je dessinais initialement au feutre et peignais mes aplats au pinceau et à l’encre de chine. Mais j’ai épuisé tant de feutres que les poubelles s’en souviennent… Afin de réduire ces déchets inutiles j’ai adopté le simple usage de la plume et de l’encrier.
- Hyacinthus / Rue de l’Échiquier
Quelles sont vos inspirations graphiques ?
Elles sont multiples, mais ne sont pas nécessairement conscientes. Ma pratique d’artiste-graveur taille-doucier, ainsi que les gravures en taille-douce que j’admire ont indubitablement contribué à mon trait de dessinateur. Les hachures et croisillons viennent très certainement de là : il n’est pas possible, en gravure, de réaliser des aplats, ceux-ci doivent être suggérés par des croisillons et hachures ou par une forte densité de points.
Les artistes que je fréquente, notamment mes camarades d’atelier ; ceux dont les œuvres s’offrent parfois à mes yeux ; mes enseignants et la nature m’inspirent.
Parmi eux je pense que Boulet et le dessin tout en traits de ses Notes constituent une influence aussi involontaire que réelle. Bien plus inconsciente est celle d’Ernst Röttger et Dieter Klante, dont j’ai redécouvert Point et Ligne (Dessain et Tolra, 1982) que j’ai lu enfant, plus ou moins oublié depuis, retrouvé très récemment alors que Les Cosmogoniales étaient achevées et dans lesquels je reconnais certains des systèmes graphiques que j’ai mis en place dans ma bande dessinée.
Beaucoup trouvent, enfin, ma représentation graphique des amas gazeux évocatrice de celle des nuages d’Akira Toriyama. Compte tenu de l’appétit qui fut le mien, enfant, adolescent et jeune adulte, à lire et voir Dragon Ball et Dr Slump, l’influence me semble, là encore, indéniable.
Comment avez-vous procédé pour dessiner les atomes, visibles dans les premières pages de votre livre ?
Le dessin des particules élémentaires est venu assez naturellement : points, ronds, ou formes issues de l’amas de ceux-ci.
Mes doutes sur la façon de représenter des formes plus complexes, telles les atomes, furent dissipés par un ami, docteur en astrophysique, qui me dit qu’aucune représentation juste n’existait : ces particules sont imperceptibles à l’œil nu ou au microscope optique. Les représentations scientifiques de ces particules sont conventionnelles.
Je m’en suis, en conséquence, tenu à des considérations graphiques pour choisir la façon dont je représenterais les atomes et – bien que ce ne soit pas ce qu’il y a de plus correct pour figurer l’infiniment petit – j’ai dessiné ses formes d’une façon très proche, je pense, dont on se les imagine habituellement.
Quel lien faites-vous entre votre activité d’artiste graveur et cette bande dessinée ?
Le lien le plus évident est le dessin : la gravure, telle que je la pratique, est du dessin ; l’autre lien que l’on peut faire entre mes estampes et Les Cosmogoniales touche à la thématique de la nature qui leur est commune.
Au-delà de ma pratique de la gravure, cette thématique de la nature se retrouve, alliée à celle des sciences, dans plusieurs de mes œuvres personnelles ou de commande.
La construction du scénario ne vous a pas posé de difficultés ?
Il n’y a pas, à proprement parler, de scénario dans Les Cosmogoniales – j’entends par là un type de plan détaillé et méthodique. Les Cosmogoniales s’offrent plutôt comme une narration contemplative invitant le lecteur à se laisser porter à travers une succession de scènes. L’écriture et le découpage qui en résultent me semblent plus aisés à réaliser que ne le seraient ceux d’une bande dessinée réellement scénarisée.
- Hyacinthus / Rue de l’Échiquier
Comment êtes-vous arrivé chez rue de l’Échiquier ?
Rue de l’Échiquier, qui souhaitait élargir ses collections à des publications de jeunesse ou illustrées, m’a contacté en 2014 pour m’inviter à publier quelque chose chez eux, inspiré peut-être de mes estampes sylvestres. À l’époque, je ne me sentais pas capable de produire ce que je m’imaginais devoir être une bande dessinée didactique et, après quelques atermoiements, ai décliné cette proposition, non sans leur recommander mon camarade Nathanaël Mikles qui publia la première bande dessinée de cette maison d’édition : Tout le monde veut sauver la planète, mais… qui descendra les poubelles ? (Rue de l’échiquier, 2016).
Les prémisses du dessein des Cosmogoniales me sont venues en 2015 et, lorsque mes idées furent plus claires sur la direction que je souhaitais prendre et que mes toutes premières planches furent dessinées, je leur ai soumis ce projet. L’enthousiasme de l’éditeur, la simplicité et la sympathie de nos premiers échanges m’ont conduit à leur faire confiance.
Il faut dire que Rue de l’Échiquier a particulièrement soigné la fabrication de votre livre…
Les dimensions que nous imaginions initialement, l’éditeur et moi, étaient environ de moitié plus petites que ce qui est finalement sorti des presses. On doit les dimensions finales à Nicolas Finet, arrivé entre-temps pour diriger la collection « Rue de l’échiquier BD » qui a, avec clairvoyance, poussé à ce que l’ouvrage soit aussi grand que mes planches originales le permettaient, tout en conservant le rapport que j’avais défini originellement.
Fidèle à ses valeurs, Rue de l’échiquier fait imprimer ses livres en France. Les Cosmogoniales sont sorties des presses de la Sepec, dans le département de l’Ain, où j’ai pu me rendre pour le calage. Je suis très satisfait du façonnage.
Avez-vous d’autres projets de bande dessinée ?
J’en ai deux, très flous, l’un est très ambitieux, d’un esprit proche des Cosmogoniales, mais nécessitant probablement un scénario plus structuré ; l’autre serait une histoire poétique sans paroles, contemplative également.
Mes prochains projets, toutefois, sont des projets de gravure taille-douce desquels Les Cosmogoniales m’ont, un peu, éloigné.
Je trouve que votre trait serait parfaitement adapté pour un récit de science-fiction. Cela ne vous tenterait pas ?
Pourquoi pas ? Je me souviens avoir songé, par le passé, adapter une nouvelle de Philip K. Dick, peut-être en partie parce que je ne me sens guère capable de rédiger un scénario solide. En travaillant avec un scénariste peut-être ?
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