Le 13 octobre 2015
Les Éditions Doki-Doki publient un artbook de Monsieur Boichi, mangaka coréen vivant au Japon. L’occasion pour l’auteur de la série multi-vitaminée Su-Ken Rock de faire un détour par la Japan Expo afin de rencontrer ses fans. Et du coup, l’occasion pour nous d’interviewer ce dessinateur précis et posé.
Heureusement pour nous qui ne parlons ni Japonais ni Coréen, un traducteur est présent pour résoudre tous les problèmes linguistiques.
Voici donc une interview détendue placée sous le signe de l’humour.
L’artbook événement !
AvoirAlire : Bonjour Boichi, nous sommes ravis de vous rencontrer.
Boichi : Merci. Je suis également ravi de vous rencontrer.
AvoirAlire : Vous expliquez dans votre artbook que vous avez commencé à dessiner très très tôt, depuis tout petit. Quand avez-vous décidé que votre passion deviendrait votre métier ?
Boichi : Effectivement, je ne me souviens pas exactement depuis quand j’ai commencé à dessiner. Mais je me rappelle que tout petit, j’attendais devant la porte de ma mère qu’elle se réveille. Elle déchirait une page du calendrier et je dessinais derrière. Ça, c’était quand j’avais deux ans. A la fin des années soixante-dix, je voulais être président de la république. Je me suis rendu compte quel le président de la république, il n’y en avait qu’un seul, alors que des mangakas, il y en avait beaucoup plus. (rires) Depuis ce jour-là, je me suis donc consacré à devenir mangaka.
AvoirAlire : Par quelle formation êtes-vous passé en Corée pour apprendre ce métier de dessinateur, de mangaka ?
Boichi : Lorsque j’étais jeune, dans mon pays, il n’y avait pas véritablement de structure ou de formation à proprement parler, alors qu’aujourd’hui, il y a beaucoup d’écoles qui enseignent cela. C’est à la fin du lycée, par des connaissances à droite et à gauche que j’ai appris de manière autodidacte à faire ce métier. Par contre, j’ai beaucoup réfléchi à ce que je devais faire pour devenir mangaka. Jeune, je lisais beaucoup de mangas humoristiques. Pour essayer de devenir drôle, le seul moyen que j’ai trouvé était de faire des bêtises, comme s’accrocher derrière le bus de l’école (rires), ce genre de choses. Ou encore réfléchir à ce que je ne devais pas faire, comme l’alcool et les cigarettes. J’avais entendu quelque part que les mangakas buvaient et fumaient beaucoup, et comme les hommes de ma famille, déjà, fumaient et buvaient beaucoup, et que je n’étais pas très très costaud, j’avais l’impression que j’allais mourir très très vite et que je ne pourrais pas réaliser mes mangas. Mais concernant l’alcool, vu que j’en mets dans tous mes plats, je pense que j’ai quand même pas mal bu.
En parlant de cuisine, vous connaissez Marie-Antoine Carême ?
AvoirAlire : Non, pas du tout.
Boichi : Il travaillait avec Talleyrand. Au lycée, j’avais entendu dire que les mangakas buvaient beaucoup de café. Donc je me prenais des bols entiers de café, mais avec le ventre plein, ça me faisait dormir. Le métier de mangaka, je le vois comme le métier de cuisinier. Je voudrais développer ce côté créatif, cette volonté de faire plaisir aux autres, comme Carême, qui était le chef cuisinier de Talleyrand. Cet homme et son métier sont donc à l’origine de l’arrivée d’un mangaka des siècles après leur passage sur terre.
AvoirAlire : Dans vos mangas, vous mettez votre passion de la cuisine mais également vos combats sociaux, avec des messages engagés, avec aussi de l’action, et de l’humour. Comment parvenez-vous à penser, à doser tout cela pour réussir une histoire solide ?
Boichi : Il existe plusieurs sortes de mangas, et certains sont des mangas à la carte, avec un thème bien précis. Je compare mon travail, surtout dans Su-Ken rock, à un menu dégustation, où l’on développe tous les caractères à petites doses. Pour vous donner une idée de comment je dose les choses, je travaille à peu près comme un cuisinier, je cherche les saveurs, les aliments, pour établir le menu le plus équilibré possible. C’est un peu comme cela que je vois mon travail.
AvoirAlire : Dans ce dosage, cette recherche, est-ce que c’est la création de l’histoire qui est influencée par le reste, ou dès le début, y a-t-il aussi des recherches graphiques ou encore est-ce que tout se mélange au fur et à mesure ?
Boichi : Lorsque je dessine, j’accorde beaucoup d’importance à la création. Lorsque j’étais jeune, tout devait être prévu. Mais au Japon, j’ai appris que même le meilleur des plans ne suffisait pas. On ne pouvait pas tout planifier. Tout simplement car lorsqu’on travaille, qu’on fait des efforts tous les jours, l’être humain fait des progrès, et le plan n’inclut pas ce progrès humain. C’est la chose la plus importante que j’ai apprise au Japon. Du coup, aujourd’hui, je planifie beaucoup moins les choses. J’essaye de donner plus de flexibilité à ma manière de travailler.
AvoirAlire : Justement, comme vous êtres à la rencontre de la culture Coréenne et Japonaise, comment s’équilibrent ces deux cultures en vous ?
Boichi : Lorsque je dessine, je n’oublie pas que le manga c’est l’âme de l’artiste, qui n’existe que parce qu’il y a des lecteurs. Aujourd’hui, mes lecteurs principaux sont des japonais. La part de ma culture Coréenne et Japonaise n’a pas beaucoup d’importance car j’essaye surtout de donner le meilleur de moi-même pour mes lecteurs. Comme ils sont plutôt Japonais, j’essaye de mettre beaucoup de références japonaises.
AvoirAlire : Vous racontez dans votre artbook que quand vous êtes arrivé au Japon, un magazine japonais vous a demandé une histoire. Savez-vous ce qui les a amenés à vous contacter ?
Boichi : Je ne sais absolument pas pourquoi ils m’ont contacté (rires). Au Japon, il y a les meilleurs mangakas du monde, alors pourquoi moi ? Je ne sais pas. Si je devais donner un élément de réponse, ce serait le suivant : Peut-être se sont-ils rendus compte que j’étais au quotidien travailleur et régulier, et aussi ont-ils vu l’amour que j’ai pour mes lecteurs.
AvoirAlire : Vous expliquez dans votre Art-Book votre rythme de travail, en précisant que pour tenir sur le long terme vous évitez de rentrer dans des rythmes complètement décalés, de dessiner le jour et de dormir la nuit. Est-ce quelque chose que vous avez appris en travaillant, ou êtes-vous organisé ainsi depuis le départ ?
Boichi : Depuis le début, il semble que j’étais assez organisé. Depuis tout petit, je dessinais quotidiennement. Mon corps est un peu habitué, je fais tout de même des efforts, pour devenir comme les grand mangakas et les grands cuisiniers japonais que j’ai connu depuis mon arrivée au Japon. L’attitude d’une personne envers sa création, j’en suis encore loin. Par exemple, à Tokyo, il y a un petit restaurant de tenpuras, de fritures, tenu par un cuisinier et sa femme. Il ne fait que cela pendant toute la journée. Il m’a expliqué que lui, il ne suait pas du visage car lors de sa formation, on lui a appris que d’avoir en face de soi un cuisinier qui sue du visage, ça peut couper l’appétit des clients. Il s’est vraiment entraîné depuis. Il peut avoir tout le corps qui transpire, mais pas son visage. Par contre, dès qu’il rentre chez lui, il sue à flots ! C’est cette attitude là, cette manière d’aborder la profession, que je veux apprendre
AvoirAlire : Vous expliquez dans l’artbook, que vous savez comment Su Ken Rock va finir. En avez-vous parlé avec votre éditeur, ou est-ce pour l’instant juste pour vous que cette fin est pensée ?
Boichi : Comme pour tous les mangakas au Japon, les idées viennent mais ne sont pas travaillées seuls. Je suis à l’origine de comment Su-Ken Rock va se terminer, mais sans l’aide des scénaristes, ça ne pourrait pas être de cette qualité là. C’est comme un enfant, il ne grandit pas seul, il a besoin de l’aide de sa mère. Faire un manga, c’est aussi un travail d’équipe.
Je voudrais ajouter que la chose la plus importante pour les mangakas du monde entier, ce qu’ils doivent comprendre par rapport au travail au Japon, la différence, c’est le travail des éditeurs et des gens qui s’occupent du montage, souvent plus compétent que les artistes eux-même. Ils ont un savoir-faire extraordinaire que le monde entier devrait apprendre. Ce serait très intéressant car on aurait de meilleurs mangas partout sur la planète. Travailler avec des gens de cette qualité et de ces compétences, c’est une des choses qui me rend le plus heureux. C’est le plus que j’ai eu en travaillant au Japon. Et ce n’est pas du tout parce que Su-Ken rock touche à sa fin et que j’ai peur du chômage que je dis cela (rires) ! C’est vraiment très sincère.
AvoirAlire : Merci beaucoup pour ce moment.
Boichi : Merci à vous. Au revoir.
Boichi, devant son héros, lui-même devant la bannière de la Japan !
Et c’est ainsi que se termine ce petit moment en compagnie de ce grand auteur.
Nous avons réalisé seul cette interview mais les questions ont été établies en collaboration avec Christelle Guibert de Ouest-France.
Galerie photos
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