Thriller givré
Le 2 mars 2019
Le nouveau film de Hans Petter Moland aurait pu être une simple histoire de vengeance s’il n’y avait pas insufflé un humour désopilant, une galerie de personnages stupides et hauts en couleur, des dialogues savoureux et une atmosphère envoûtante.
- Réalisateur : Hans Petter Moland
- Acteurs : Stellan Skarsgård, Bruno Ganz, Tobias Santelmann
- Genre : Thriller
- Nationalité : Norvégien
- Distributeur : Jour de Fête / Chrysalis Films
- Durée : 1h56mn
- Box-office : 7.967 entrées France / 3.296 entrées P.P.
- Titre original : Kraftidioten
- Date de sortie : 24 septembre 2014
- Festival : Festival du film Policier de Beaune
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Le nouveau film de Hans Petter Moland aurait pu être une simple histoire de vengeance s’il n’y avait pas insufflé un humour désopilant, une galerie de personnages stupides et hauts en couleur, des dialogues savoureux et une atmosphère envoûtante glacée à souhait, quelque part entre Fargo et Headhunters, de par ce mélange de violence exacerbée et d’absurde.
L’argument : La Norvège, l’hiver. Nils, conducteur de chasse-neige, tout juste gratifié du titre de citoyen de l’année, apprend le décès de son fils par overdose. Réfutant cette version officielle, il se lance à la recherche des meurtriers, et va se forger une réputation de justicier anonyme dans le milieu de la pègre. Si la vengeance est un plat qui se mange froid, la sienne sera glacée !
Notre avis : Présenté en compétition dans le cadre de la troisième édition du Fifigrot à Toulouse, Refroidis figure à n’en pas douter parmi les favoris. Le film tourne en grande partie autour de la performance de Stellan Skarsgård, un habitué du cinéma de Moland. Citoyen modèle conducteur de chasse-neige, son personnage nommé Dickman (un jeu de mots assumé) coule une existence tranquille et isolée. Son travail voué à l’éphémère en fait un petit héros. Il exerce cette tâche rébarbative de nettoyer les routes pour aider les gens à aller à destination, puis recommence encore et encore. Son existence bascule quand on lui annonce le décès de son fils, Ingvar, soi-disant victime d’une overdose. Il sait que son enfant n’est jamais tombé dans la drogue malgré l’attitude des policiers locaux qui le prennent pour un vieux père crédule et ignare. Quand il obtient la preuve que sa seule descendance a été tuée, il se lance dans une vengeance sanguinaire à la quête des responsables au grand désarroi de sa femme qui peine à le reconnaître. A l’instar d’Ernest Borgnine dans Self Défense (Sunday in the Country, John Trent, 1974), il prend peu à peu goût à ce jeu sadique et passe du statut de simple sexagénaire à celui de machine à tuer. Pour le coup, il devient un "nettoyeur" au sens propre. Le récit s’apparente donc à un vigilante mais nous sommes pourtant bien loin des films de Clint Eastwood ou Charles Bronson. En effet, et comme le titre l’indique (Kraftidioten dans l’original, et le bien senti In Order of Disappearance pour la version anglaise), il y a beaucoup de second degré ici, et la fable tourne vite à l’absurde, avec des dialogues hilarants, des situations saugrenues et des seconds rôles qui valent le détour.
Copyrights : Paradox, Paradox Film 2, Det Danske Filminstitut
Le film lui même est ponctué par des cartons faisant le décompte des personnages qui meurent tout au long du métrage (plus d’une vingtaine). Leurs noms apparaissent, avec un symbole religieux pour signifier leur obédience religieuse. Tragique et comique fonctionnent ainsi main dans la main, les scènes les plus dramatiques pouvant aussi être les plus drôles. Entre guerre des gangs et western hivernal, le film possède aussi une atmosphère très singulière, baignant certains plans dans une mélancolie contemplative appuyée par un thème musical à la guitare. Mais le point fort, du moins le plus marquant, est sa galerie de personnages, essentiellement masculins, même si l’ex-femme du Comte, le chef des trafiquants de drogue, et l’épouse asiatique remontée du frère de Dickman valent leur pesant de cacahuètes (cette dernière ira jusqu’à cracher sur la tombe de son conjoint). Nous avons d’abord deux figures de meneurs. Ce fameux Comte, joué par Pal Sverre Hagen, est une sorte de dandy fan d’art contemporain (le décor de sa maison laisse pantois), grand enfant capricieux, végan et psychotique, toujours à la limite de la dépression nerveuse, excessif en permanence. De l’autre côté, Pa, interprété par Bruno Ganz, n’en est pas moins cruel mais plus retenu et sombre. Il dirige le clan rival. Norvégiens et Serbes s’affrontent sans savoir que le semeur de troubles n’est autre qu’un petit Suédois lambda qui a du mal à digérer la perte de son fils unique. Comme sortis d’un film des frères Coen, ces personnages s’appellent par des surnoms absurdes (Wingman inspiré de Top Gun, Chinaman pour désigner un tueur à gages danois d’origine japonaise, etc.) et ont un avis arrêté sur tout : le système de sécurité sociale norvégien ("Le soleil ou le social, il faut choisir !") ou encore l’obsession des Nordistes pour l’environnement (la séquence de ramassage de crottes de chien). Ils en sont tous réduits à une pantomime bestiale et tirent avec leur flingue avant de réfléchir.
Copyrights : Paradox, Paradox Film 2, Det Danske Filminstitut
Dans une autre scène comique, le Comte enseigne à son fils qu’il faut riposter avec les poids, ce dernier lui répond que ça ferait de lui quelqu’un d’aussi stupide que son agresseur, ce que son père ne semble pas comprendre. Tous ces personnages sont à cette image : des idiots armés et dangereux, dont la vie ne vaut pas grand-chose si ce n’est cet infime moment de silence quand le carton avec leurs noms apparaît à l’écran. Mais même s’ils sont dégommés comme dans un jeu de quilles, un amour passionnel, forcément de courte durée, peut voir le jour, comme entre ces deux hommes de main, accessoirement baby-sitters. Vous l’aurez compris, Refroidis n’est pas un film sérieux, à rapprocher de Headhunters (Morten Tyldum, 2011) de par ce mélange déjanté de styles et de tons. On pourra même y voir une référence au Duel de Steven Spielberg ou à la scène de la moissonneuse-batteuse dans Prime Cut de Michael Ritchie quand le chasse-neige de Dickman se transforme en broyeuse mortelle. Le film est rythmé, divertissant, une comédie d’action à l’humour bien méchant comme les Scandinaves savent si bien le faire ces derniers temps, avec en prime un très beau travail de la photographie, des paysages enneigés superbement filmés (Moland a tout de même plus de vingt ans de métier derrière lui, son premier long métrage datant de 1993) et des dialogues qui font mouche. Que demander de plus ?
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Des tueurs qui s’entretuent, un père en deuil transformé en bourreau, un décompte macabre, des divorcés en crise, un regard satirique sur la Norvège et sur la stupidité des hommes et leur désir de domination, Refroidis c’est tout cela à la fois et bien plus encore.
Box-office verdict : Malgré de séduisantes critiques, la perle noire sur fond blanc est passée totalement inaperçue avec moins de 8.000 entrées sur toute la France. Un remake américain avec Liam Neeson en est toutefois ressorti en 2019, Sang-Froid
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