Présumés coupables
Le 7 avril 2004
Sur une page méconnue et peu glorieuse de l’histoire américaine, un récit tout en fureur contenue. Implosif !
- Auteur : Julie Otsuka
- Editeur : Phébus
- Genre : Roman & fiction
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Sur une page méconnue et peu glorieuse de l’histoire américaine, un récit tout en fureur contenue. Implosif !
"La pancarte avait fleuri du jour au lendemain". Ainsi s’ouvre ce roman où la dénonciation puissante, efficace, ne se fait que par le regard - celui de l’enfant qu’était Julie Otsuka au moment des événements - et le constat dépouillé de toute émotion ; une caméra braquée sur un monde qui vacille. Ces pancartes, qui poussent donc tels des champignons hautement vénéneux, annoncent à la population américaine d’origine japonaise que, pour raison de sécurité en ces temps de guerre, elle devra quitter les lieux - ici, la Californie et sa douceur de vivre - dans les jours à venir. Qu’elle se prépare... Ainsi il faut partir, tout laisser même si l’on a construit depuis des décennies un bonheur tranquille et intégré, même si l’on n’a rien d’une menace. Aucune explication n’est donnée aux familles qu’on transporte des jours durant dans des trains bondés où flottent des odeurs d’orange et d’angoisse mêlées. Avec le recul, on a bien là la preuve éclatante qu’il s’agissait de punir, de faire peur et non de simplement garantir la sécurité des citoyens américains. Sinon pourquoi maintenir le secret sur la destination et le sort réservé aux déportés ? Les "bridés", hommes femmes enfants confondus, étaient un danger qu’il fallait mater au moins sur ses terres en attendant mieux et plus radical : la solution atomique.
Nous sommes en 1942 ; la mise à l’écart durera plus de trois ans. Et ce n’est rien d’autre qu’un temps volé, des années écrabouillées au nom de la raison d’état. Dans le camp où la "fille", le "garçon" son frère, et la "mère" (pas de prénoms dans ce récit clinique) sont enfermés avec des milliers d’autres familles, les hivers sont aussi implacables que les étés ; c’est qu’on est en plein désert et une chaleur de hauts fourneaux succède inlassablement au froid qui perce jusqu’à l’os et fige même les esprits. Mais on tient, parce qu’on rêve au retour, parce qu’arrivent régulièrement les lettres du père emprisonné ailleurs, dans un lieu "sans arbres".
Or le plus dur reste à venir. Ces familles là, marquées une fois pour toutes comme ennemies dans les mentalités, ne réintègreront jamais leur vie d’avant. Leurs maisons garderont la trace de présences brutales, injurieuses. Les voisins, qui pour beaucoup portent le deuil d’un des leurs ou se remettent comme ils peuvent de leur lot d’horreur, accueilleront ces "Japs" à coups d’insultes, de fuite, au mieux d’indifférence. Les portes du travail, de la communauté autrefois accueillante demeureront résolument closes.
Et ceux qui l’ont vécu savent qu’on meurt plus sûrement encore de ce rejet que des mauvais traitements ou de l’hostilité ouverte. L’auteur y a perdu un père adulé, passé du panache et de la joie de vivre au silence, à la honte, au renoncement. Elle lui rend, par ce livre écrit les mâchoires serrées, un magnifique hommage. Un beau monument de pierre froide.
Julie Otsuka, Quand l’empereur était un dieu (When the emperor was a divine, traduit de l’américain par Bruno Boudard), Phébus, 2004, 181 pages, 14,50 €
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