Le 15 août 2019


- Scénariste : Guy Delisle>
- Dessinateur : Guy Delisle
- Collection : Ciboulette
- Genre : Document
- Editeur : L’ASSOCIATION
- Date de sortie : 15 novembre 2002
Un petit tour dans le meilleur des mondes ? Delisle tombe les masques et jette avec talent anecdotes et satire sur le pays le plus fermé du monde.
Saviez-vous que pour assurer la distraction de nos chères têtes blondes à l’heure de la biscotte ou du goûter, certains studios de dessins animés passaient commande à des ateliers nord-coréens de dessinateurs à la chaîne ? Et oui, business is business, et la France (elle n’est pas la seule) a signé des accords commerciaux avec un des plus grands régimes tortionnaires du monde. Et devinez qui assure la bonne livraison du produit fini ? Delisle, pardi.
Il y avait déjà eu Shenzen, ou les avantages de la délocalisation du travail en zone franche asiatique. Motivation, organisation, production, flexibilité horaire, quatre huit et dodo. Et rebelote jusqu’à dimanche. C’était l’expérience professionnelle chinoise de Guy Delisle. Le voilà aujourd’hui envoyé dans la charmante bourgade de Pyongyang. Décidément, l’homme a le chic pour les voyages d’affaires singuliers.
Pyongyang est une succession d’anecdotes. Des moments de vie croqués par ce dessinateur canadien, qui peuvent se classer en deux catégories. D’une part, une catégorie "choc culturel". Des scènes hilarantes ou décalées, qui nous apprennent que les Coréens du Nord ne sont pas très reggae, que la chaussette sur bas nylon est à la mode, ou que le jogging se fait là-bas à reculons. D’autre part, une catégorie "propagande", où l’omniprésence de Kim Il-Sung et Kim Jung-Il, les figures tutélaires de la nation, ferait passer le culte de Saddam Hussein pour une promotion sur le fromage dans une épicerie de Lozère. Là, les situations sont grotesques un jour, inquiétantes le lendemain. Delisle lui, enregistre tout. Il se représente sous des airs candides, souvent sans bouche, comme si une seule chose importait : voir, voir et voir. Et raconter. Raconter ce guide, qui ne vous laisse seul qu’aux toilettes. Ces volontaires si dévoués, qui tondent le gazon au sécateur ou repeignent en blanc les cailloux des chaussées. Ce pays que l’on appelle l’Amérique, qui tue les enfants en leur faisant boire du pétrole. Ce type talentueux qui travaillait au studio hier, mais qui a arrêté depuis. Pourquoi ? Sans raisons. Personne ne veut savoir. C’est comme ça. Et non, les camps de travail n’existent pas. Raconter aussi le 1984 d’Orwell, prêté au traducteur officiel et rendu en tremblant. Et cette dévotion exacerbée envers Kim Jung-Il le super dirigeant, fils de l’autre et deuxième père de chaque Coréen. Ou ce monumental musée hommage, creusé dans la montagne. Et encore tant et tant de choses. On rit, on frémit, on enrage, on s’apitoie.
Puis, d’un coup, ça fuse. La réflexion qu’on attendait. Parce qu’on savait que ce masque était de crayon. Que cette bouille semblait trop naïve pour ne pas être maligne. Et la question, comme une explosion : "Est-ce qu’ils y croient eux, à toutes les conneries qu’on essaie de leur faire avaler ?". On ne saura pas. Rideau. Il reste des nounours à dessiner pour la télé.
152 pages - 24 €