Le 24 octobre 2019
- Réalisateurs : Charlotte Leloup - Marie Drucker
- Date télé : 24 octobre 2019 20:30
- Chaîne : LCP/Public Sénat
Isolés jusque dans leurs témoignages, des enseignants évoquent les difficultés qu’ils rencontrent dans l’exercice de leur métier.
Notre avis : Dès les premières interventions des enseignant(e)s, une petite musique s’élève, qu’on a déjà entendue : "il faut être passionné", "c’est un métier difficile", "on va tous être abîmés, tant physiquement que psychologiquement". Tenus au devoir de réserve, les professeurs de l’école primaire et du secondaire témoignent pourtant de leurs difficultés, liées à un système scolaire qui leur en demande beaucoup. Nous suivons d’abord Emmanuelle, professeure de français dans un collège de la banlieue parisienne, qui rend des copies en pestant sur le niveau général et repère en particulier une faute insupportable, relative à l’homophonie des termes "ton" et "thon", qu’elle prend bien le soin d’écrire au tableau.
Cette éducatrice avoue qu’elle n’avait pas a priori la vocation, a surtout passé le concours pour l’avoir, pas forcément pour enseigner. Elle reconnaît qu’au départ les élèves lui faisaient peur. Tout au long du documentaire, son discours sera très largement disciplinaire, puisque, contrairement à ses autres collègues, Emmanuelle ne semble pas accaparée par des problèmes de comportement. Elle peut donc se lamenter sur la baisse générale du niveau, soupirer lorsqu’un élève se trompe au tableau, le morigéner. Cette même enseignante a décidé de scolariser ses enfants dans un établissement privé sous contrat, parce qu’on n’y a pas renoncé aux savoirs fondamentaux, dit-elle en somme.
Elle peut aussi formuler une interprétation sur les larmes de ces jeunes élèves qui ont eu un mauvais résultat, en les reliant uniquement à un défaut d’acquisition de compétences essentielles. A aucun moment, il ne sera question de la réalité de la note elle-même, ni de sa posture en classe face aux élèves. Les séquences qui la montrent dans l’exercice de son métier appelleraient pourtant bien des commentaires.
D’autres professeurs ont à gérer des problèmes largement impactés par des facteurs extra-scolaires. Ainsi, David, un professeur des écoles filmé avec sa classe de maternelle du Val d’Oise, constate les inégalités sociales au sein du groupe qu’il gère et témoigne de son rapport à sa propre scolarité, pas forcément idyllique, se rappelant qu’une enseignante s’était moquée de lui, un jour, lorsqu’il avait pris la parole. Ce témoignage introduit déjà un contraste saisissant avec la première intervenante : David parle du droit à l’erreur, de bien-être de l’enfant, ancre son propos dans une vision pédagogique qui correspond originellement à une préoccupation des enseignants de l’école primaire, dont les figures tutélaires, comme Célestin Freinet ou Maria Montessori, ont réfléchi aux moyens de favoriser l’épanouissement des élèves.
Le documentaire s’attarde ensuite sur un lycée professionnel de Nantes où l’on forme de futures aides-soignantes : Karyne, la professeure interrogée, explique son désir de réussir, dès son plus jeune âge, pour qu’on l’aime à proportion du travail accompli, qu’il s’agisse de son maître ou de ses parents. Forgeant ses convictions sur une binarité bien schématique (on traîne son passé douloureux ou alors on se projette vers l’avenir), elle développe un propos qui fait fi d’un certain nombre de déterminismes psycho-sociaux, pourtant bien à l’œuvre. Il suffit de lire ou relire Pierre Bourdieu.
Le parcours se poursuit dans une école élémentaire du Var, où Céline enseigne à l’école primaire et dirige l’établissement. L’origine de sa vocation, largement induite par des stéréotypes de genre (je suis une petite fille, je joue à la maîtresse), se conjugue à une volonté de favoriser l’épanouissement de l’enfant, comme son collègue David. Son mari exerce le même métier qu’elle, au même niveau, recruté comme contractuel par Pôle Emploi.
La parole circule entre tous ces acteurs et actrices du monde éducatif, évoquant l’impact des situations personnelles sur l’attitude des élèves, expliquant la difficulté de gérer au sein même de l’école les conséquences de ces données contextuelles : l’une des enseignantes reconnaîtra, tout en mettant une note, les causes justifiées d’un résultat insuffisant à un devoir. La misère sociale qui est constatée par cette intervenante en lycée professionnel nous rappelle que les élèves de ces établissements appartiennent à des catégories socio-professionnelles plus défavorisées que celles de leurs camarades du lycée général et technologique. Les difficultés pour les professeur(e)s de ces établissements en sont d’autant plus grandes, quand on sait que l’échec scolaire est largement indexé sur la précarité sociale et économique.
Au niveau de l’école primaire, la gestion du manque d’autonomie, le bruit ambiant, les sollicitations permanentes créent un surcroît de fatigue chez les enseignants : preuves à l’appui, on voit Céline et David gérer des groupes très mobiles, qui supposent une attention de tous les instants. Les problèmes engendrés par le comportement plus difficile de certains élèves suscitent des propos sur les carences dans l’éducation donnée par les parents, ainsi que le manque de soutien dont les enseignants se plaignent, lorsqu’ils gèrent des situations compliquées. Pourtant, certains demeurent fidèles aux zones sensibles, comme Emilie, la femme de David, parce que ces fonctionnaires ont l’impression d’être utiles, même si les conditions de travail se dégradent, même s’ils sont victimes de la réaction violente de certains élèves. Motivés, mal payés, souvent épuisés, les professeurs de l’Education nationale ont aussi l’impression de ne pas être à la hauteur de la mission qu’on leur confie et avouent des sentiments de culpabilité, tout en se positionnant de manière ferme vis-à-vis de certains parents, lorsque ceux-ci s’avisent de s’immiscer dans leur pédagogie. Bref, l’école de la confiance est sapée par la réalité du terrain, à tous les niveaux.
Les témoignages eux-mêmes ne soulignent pas une grande solidarité dans l’adversité, parce qu’ils cloisonnent les acteurs en fonction des niveaux où ils enseignent. Professeurs des écoles, de collège, du lycée pro sont juxtaposés selon des réalités bien différentes, bien qu’ils aient tous le même statut vis-à-vis de l’Etat. On aurait aimé qu’à défaut de les rassembler dans le champ, le commentaire prenne acte de ces situations d’enseignement bien hétérogènes, qui éclairent des préoccupations dissemblables et des discours sur l’école bien désaccordés. Quand une professeure parle de résistance aux nouveaux programmes, un autre souligne l’importance de la mixité sociale, fondement de l’école publique, pilier de la réforme Haby.
En fait, ce documentaire, d’une facture classique, manque d’une perspective plus globale, plus théorique sur tous les propos que l’on entend.
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