Le 13 juin 2019
Montrer un documentaire d’actualité sur la révolution islamique d’Iran en France, quarante après ans après l’événement, est stupéfiant. Le public sort de cette séance d’ouverture du Festival Cinéma(s) d’Iran interrogateur, sidéré, malmené… Est-ce que cette révolution est si particulière ? Est-ce que les images qui l’illustrent et que l’on découvre pour la première fois sont si exceptionnelles, en comparaison avec des images d’autres révolutions, d’autres formes de révoltes de masse ? Qu’est ce que le recul historique nous apprend en prolongement de ce témoignage filmique ? Reformulation de la question montesquienne : "Comment peut-on être persan ?"


- Réalisateur : Hossein Torabi
- Durée : 1h56mn
- Reprise: 12 juin 2019
- Titre original : Baraye azadi
- Plus d'informations : "Pour la liberté" au Festival Cinéma(s) d’Iran 2019
- Festival : Festival Cinéma(s) d’Iran

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Notre avis : Les images seraient parlantes… Cette révolution en images est l’œuvre d’Hossein Torabi, qui témoigne de ce chaos en refusant tout commentaire. Le documentariste s’emploie à neutraliser les effets d’angle et de partis pris. Il donne à deviner, sinon à voir, différents courants et différentes mouvances à l’œuvre dans cette révolution, qui porta l’ayatollah Khomeiny à la tête du pays. Tout en ayant pleinement conscience de l’importance de ce qui se passe, il n’a pas la distanciation qui rend possible une interprétation juste de l’ensemble du contexte historique. Ainsi, il y a des amnésies qui confinent au négationnisme, mais qui sont aussi révélatrices de la façon tous azimuts d’écrire l’histoire qui se fait « en direct »… Le titre du film s’avèrera mal choisi et trompeur.
Pour autant, il n’y a pas de tentative d’euphémisation des faits. La violence de certaines images est réelle. Les charniers sont montrés. Loi de talion et prix du sang sont revendiqués. La vision des mouvements de foules nous dérange. En dépit des bousculades et des violences qui en résultent, la frontière symbolique entre femmes voilées et barbus est rigoureusement respectée, donnant à certaines images de ce chaos une composition et une structuration formelle « au cordeau ». Une séparation à ce point incorporée dans la chair des femmes et des hommes ne peut paraître que violente. Pourtant, tout porte à croire que ce culte du guide suprême, dont les femmes témoignent corps et âme, est un choix volontaire de leur part. Même les prières et acclamations de l’ayatollah sont ordonnées dans une répartition hommes femmes, où les unes ne s’expriment que quand les autres ne parlent pas.
Le réalisateur nous livre un témoignage qui sans doute se réclame d’une neutralité vis-à-vis de toutes les forces en présence. Cela le conduit à se débrouiller pour illustrer des moments marquants de cette révolution, sans qu’il soit possible d’avoir des images ou d’avoir recours à l’analyse critique de celles-ci. Par exemple, en l’absence de commentaire ou de texte incrusté sur l’écran, seul un rembobinage arrière d’une séquence du couronnement du Shah, sert à mettre en image la chute du régime.
Ainsi, ce documentaire est un objet particulièrement intéressant pour s’interroger sur l’histoire et ses images. En le rapprochant du film de montage de Chris Marker, Le fond de l’air est rouge, qui retrace en 1977 une décennie de « scènes de troisième guerre mondiale », ce sont les meurtrissures et les zones d’ombre des histoires nationales, devenues des histoires mondiales, que Hossein Torabi met en lumière. On sort de ce film avec une idée du trouble que doit ressentir la diaspora iranienne à Paris et en France. Quelles que soient les raisons de l’exil, cette révolution qui laisse penser à des risques de guerre civile en germe, nous saisit. A ce moment-là, on n’a pas une claire conscience de ce qu’est une république islamique. Si des citoyens iraniens alors interviewés, estiment avoir des raisons de croire que le régime des mollahs est leur salut, certains affichent leurs doutes et leurs craintes quand d’autres aveuglés et fanatiques expriment ouvertement leur intolérance.
Projection le 14 juin à 18h au cinéma Le Palais à Créteil et le 18 juin à 14h au Nouvel Odéon à Paris, dans le cadre du Festival Cinéma(s) d’Iran.