Le 25 mai 2024
L’irradiante beauté de Gene Tierney illumine ce chef-d’œuvre vénéneux.
- Réalisateur : John M. Stahl
- Acteurs : Gene Tierney, Jeanne Crain, Vincent Price, Cornel Wilde, Ray Collins, Gene Lockhart, Chill Wills, Darryl Hickman, Reed Hadley, Mary Philips
- Genre : Drame
- Nationalité : Américain
- Distributeur : Park Circus France, Twentieth Century Fox France
- Durée : 1h50mn
- Date télé : 9 avril 2023 21:00
- Chaîne : OCS Géants
- Reprise: 18 mai 2022
- Box-office : 1.798.915 entrées France / 247.802 entrées P.P.
- Titre original : Leave Her to Heaven
- Date de sortie : 9 juin 1947
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– Année de production : 1945
Résumé : L’histoire d’amour entre Richard Harland et Hélène Berent avait tout pour être un véritable conte de fée... Hélas, une fois mariée, la belle jeune femme commence à se comporter d’une manière très inquiétante. En effet, elle devient très possessive, irrationnelle et maladivement jalouse, jusqu’à en arriver à commettre l’irréparable.
Critique : Tout commence par l’arrivée de Dick, sur le ponton d’un lac et les habitants qui baissent la tête, gênés ; on apprend vite qu’il a fait de la prison et son avocat raconte son histoire, qu’il est censé mieux connaître que quiconque. Vient alors le flash-back, procédé traditionnel du film noir (voir, exemplairement, Assurance sur la mort ou Les tueurs), ici vaste explication de la condamnation. La mise en scène est encore discrète et l’image relativement neutre. Mais dès la rencontre entre Dick et Ellen à bord d’un train, Stahl utilise des couleurs opulentes qui semblent exploiter au maximum les possibilités du Technicolor. La suite est une véritable ode à la couleur et à la lumière (et donc aux ombres), dans un déluge d’images pétaradantes. Criard, kitsch, sans doute, mais à la mesure de cette histoire excessive, à la mesure de la jalousie sans limites d’Ellen.
Revenons au début : Dick remarque une jeune femme dont il ne voit pas le visage et qui lit le livre qu’il a écrit. Retard classique de l’apparition désirée, comme dans Laura. Dès qu’elle se détache du roman, elle le fixe au-delà d’un temps raisonnable et s’en expliquera peu après : il ressemble à son père, dont on apprendra plus tard qu’il est décédé et qu’elle lui a voué un véritable culte l’éloignant de sa femme. Œdipe, bien sûr, tel qu’Hollywood le traitait dans son approche de la psychanalyse (La maison du Dr Edwardes est contemporain).
S’ensuit une romance qui semble verser dans la comédie sentimentale à peine troublée par une séquence magnifique où Ellen disperse les cendres de son père en chevauchant dans un cadre somptueux. Et pourtant, quelques indices comme des réflexions qui semblent anodines (« Ellen ne perd jamais ») ou le fait qu’elle prenne très tôt l’initiative jusqu’à lui imposer un mariage surprise, mettent la puce à l’oreille des spectateurs les plus avisés : car dans ce scénario cousu main, chaque élément est porteur d’une signification potentielle et les moindres remarques sont calculées, même si, et heureusement, l’artifice d’un tel procédé se noie dans la vigueur d’une narration efficace.
La dernière partie du film (en dehors d’un épilogue assez convenu), la plus longue et la plus puissante, est le récit circonstancié de la névrose d’Ellen qui la conduit à des paroxysmes inoubliables. Et pourtant, elle prévient Dick à plusieurs reprises, et même sur son lit de mort : elle ne le laissera jamais (là encore, la scène est magnifique, avec sa main qui emprisonne post mortem celle de son mari). La gradation savante fait qu’elle va se débarrasser de tous ceux qui gênent son amour exclusif : elle chasse le garde-forestier, éloigne sa mère et sa sœur par sa froideur, puis passe à la vitesse supérieure dans deux séquences intenses. Danny, le frère handicapé de Dick, est l’obstacle majeur : il a refusé de partir ; elle l’incite à nager le plus longtemps possible et, sa décision prise, elle met ses lunettes de soleil (changement de personnalité ? Volonté d’aveuglement ?) et le laisse se noyer. Idem quand elle est enceinte et comprend que le bébé sera une gêne : sa célèbre chute dans les escaliers met un point final à cet obstacle, mais sonne aussi le glas de l’amour de Dick, qui comprend peu à peu qui il a épousé et en même temps n’est plus insensible aux charmes de la pourtant fade sœur.
Il faudrait tout citer : la dédicace du roman, les aveux entre naïveté et perversion … Chaque séquence est un joyau que Stahl met en scène avec précision, alternant moments lyriques, dramatiques et apparemment anodins, en un crescendo qui colle le spectateur à son siège. Même ceux qui l’ont déjà vu se perdent avec délice dans cette noirceur au suspense diabolique. Il faut dire que la beauté éclatante de Gene Tierney a rarement été aussi bien utilisée : elle attire la lumière et sait composer un personnage ambigu, entre son visage fermé à la moindre contrariété et ses mines irrésistibles face à Dick. L’assez pâlot Cornel Wilde est le pendant idéal, puisqu’il est moins un séducteur qu’une proie, la projection d’un sentiment irraisonné.
John M. Stahl est un peu oublié, d’autant qu’une grande partie de son œuvre, muette, est quasi inconnue, et on le cite surtout parce que Douglas Sirk a fait le remake de ses grands mélodrames (qui ne sont pas exempts eux-mêmes de qualités). Alors peut-être Péché mortel est-il une exception, mais sa force et sa beauté plastique indéniables, son audace (la scène de l’« avortement » a choqué à son époque et garde encore sa puissance) en font un film noir à part, tourmenté et somptueux.
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