Le 1er mars 2017
- Réalisateur : Christian Schwochow
Ode magnifique à la liberté d’être, Paula est un magnifique portrait de femme qui nous a donné envie de rencontrer son cinéaste, Christian Schwochow. Interview...
AVOIR-ALIRE : Votre nouveau film Paula sortira dans notre pays le 1° Mars. Des femmes blessées mais résilientes, des femmes incomprises, invisibles, votre filmographie s’est dessinée autour de problématiques très particulières. Après Fine dans le rôle de Camille dans LA FILLE INVISIBLE ( 2011) puis Jordis Triebel dans DE L’AUTRE COTE DU MUR (2013) interprétant une berlinoise de l’est passant le mur pour échapper à sa douleur, dans votre film nous rencontrons une troisième femme, Paula Modersohn interprétée par Carla Juri. En quoi ces destins féminins vous ont-ils inspiré ? Sont-ils liés les uns aux autres ?
CHRISTIAN SCHWOCHOW : Oui évidemment. Il y a aussi mon premier film (L’enfant de Novembre, ndlr) qui était centré sur une femme très forte qui trouve sa propre identité . Je pense que le lien entre ces femmes c’est qu’elles sont fortes et qu’elles essaient toutes de (trouver leur place) dans la société et dans l’environnement dans lequel elles vivent. Sans être des activistes à proprement parler. Sans qu’aucune d’entre elle ne le soit, elles trouvent pourtant un moyen radical pas seulement de survivre mais de poursuivre leur vision sans être des victimes. C’est ce qui est le plus important, surtout le lien peut être fait entre Melly et Paula Modersohn. Ces femmes ont connu tellement d’obstacles, tellement de limites à franchir mais elles ne veulent pas être considérées comme des victime par les hommes. C’est quelque chose, une situation qui m’a toujours intéressé. Je pense qu’il y a encore pas mal d’histoires de ce genre à raconter parce que les héroïnes ne sont pas si souvent représentées dans les films. Je pense qu’en ce qui concerne les jeunes femmes d’aujourd’hui elles se voient encore très souvent dire ce qu’elles ne peuvent pas faire plutôt que ce qu’elles pourraient faire. J’ai moi-même grandi avec une mère à la personnalité très forte donc ça me parle de faire le portrait de femmes fortes.
AVOIR-ALIRE : Il y a une phrase de Paula : « Je ne peux pas attendre plus longtemps pour être libre ». Peut-on dire que cette phrase porte l’idée principale du film ? La « quête artistique » vous semble t-elle essentielle ?
CHRISTIAN SCHWOCHOW : Ça l’est ! Je veux dire qu’être libre, - ce que veux dire la phrase – c’est par rapport à aujourd’hui, regardons où cela en était vingt ans plus tôt. C’est un moment clé du film où la jeune Paula réalise qu’il n’y a qu’un seul moyen de créer et dans le même temps d’être indépendante. Elle parle du fait d’entretenir une relation affective, où chacun resterait un individu et dans le même temps créerait quelque chose ensemble, une famille. Je pense que cette idée est très moderne parce que nous luttons encore aujourd’hui avec cette idée. J’ai 38 ans, je suis marié, j’ai une fille et je trouve cela très compliqué de gérer le fait d’avoir une famille, d’avoir du succès, d’être deux dans un couple à avoir du succès. La plupart de mes amis abandonnent car ils n’arrivent pas à gérer la combinaison des deux. Donc la façon dont Paula lutte pour avoir dans le même temps une vie d’artiste et une vie de famille représente un conflit très contemporain. C’est aussi la raison pour laquelle je voulais faire un film moderne.
- (C) Pandora Fims
AVOIR-ALIRE : Nous aimerions savoir comment vous avez travaillé avec vos deux scénaristes.
CHRISTIAN SCHWOCHOW : Ils (Stefan Kolditz et Stephan Suschke) ont commencé à s’intéresser à Paula dès la fin des années 1980. C’est dès cette époque qu’ils ont commencé à lire ses lettres, à lire tous les éléments qu’ils pouvaient trouver. Evidemment, ils ont travaillé sur de nombreux projets depuis cette époque. Pour ma part on m’a demandé de réaliser le film il y a environ quatre ans. Nous avons commencé à nous voir régulièrement et vous savez le scénario était très fort ! Il me semblait parler d’une histoire résolument moderne. Mais quand vous commencez à travailler sur un scénario ensemble, vous devez le travailler de manière à ce qu’il reflète votre propre voix. Ils ont encore travaillé deux ans après que le projet m‘a été confié, incluant mes propres recherches. Je voulais que cette histoire passe pour une histoire encore plus moderne qu’elle ne l’a été. Nous avons travaillé également rapidement avec mon caméraman sur des idées visuelles que nous avons inclues dans le scénario. C’est un processus complexe, qui n’est pas toujours simple mais nous avons réussi à l’écrire. Les deux scénaristes sont d’une autre génération, ils ont vingt ans de plus que moi et je voulais que ce soit un film jeune qui pouvait parler à un jeune public d’aujourd’hui. Ce fut probablement l’aspect le plus important de notre travail sur le scénario.
AVoir-aLire : Nous aimerions également vous demander pourquoi et comment vous avez choisi le cinéma et sa dimension multi-sensorielle pour parler de la peinture.
CHRISTIAN SCHWOCHOW : C’est très simple parce que je voulais faire un film-peinture. Pas comme les peintures de Paula qui a finalement créé quelque chose de plus léger, de plus coloré et de plus joyeux. Je voulais des contrastes plus forts dans les scènes où Paula comprend la manière dont elle essaie de faire ses portraits. La chose la plus importante dans la peinture c’est que vous avez le temps, le temps d’écouter, d’entendre, de regarder et c’est quelque chose que l’on peut faire encore plus dans le cadre du cinéma, beaucoup plus que dans le cadre de la télévision. Il y a une grande différence dans l’attention qui est portée. Au cinéma, vous êtes dans cette salle obscure dont vous n’allez pas sortir ou bouger et c’est un bien meilleur endroit pour avoir l’impression totalement sensible, « sensitive », de ce que peut-être la vie d’un peintre, des pensées d’un peintre, de la façon pour un peintre de voir les choses.
AVOIR-ALIRE : Donc le rôle d’un chef opérateur est vraiment important et délicat dans une telle démarche…
CHRISTIAN SCHWOCHOW : C’est un rôle très méritoire, car fondamental : car il y a tellement de possibilités à traduire, à exprimer. Mon caméraman se sentait complètement connecté aux peintres dans son travail. Donc c’est comme une grande consécration que de parvenir à trouver les images pour représenter la vie d’un peintre. Nous avons choisi ensemble les lieux, les couleurs. Il a véritablement adoré ce travail. Vous savez il y a des difficultés dans tous les films. Aucun film n’est facile à réaliser. Mon caméraman et moi travaillons ensemble depuis l’école de cinéma donc commençons toujours à oeuvrer ensemble très en amont, notamment en cherchant les bons lieux. Nous sommes allés ensemble au Musée, nous avons analysé ensemble les différents éléments. C’était une tâche très intéressante que de trouver la façon de faire le portrait de peintres.
- (C) Pandora Films
AVOIR-ALIRE : D’autres cinéastes comme Maurice Pialat ou Robert Altman ont utilisé de vrais peintres et non pas des acteurs pour représenter le geste pendant les scènes de peintures en gros plans. Pourquoi avez-vous choisi de réaliser ces séquences avec des acteurs et non avec de vrais peintres ?
CHRISTIAN SCHWOCHOW : Nous avions des peintres sur le plateau. La préparation des acteurs /peintres fut si intense qu’ils ont véritablement commencé à apprendre la peinture et ils se sont mis à peindre. Ils ont passé beaucoup de temps dans les studios à apprendre à reproduire le travail d’Otto et de Paula. Et c’était tellement convaincant qu’après deux jours de tournage j’ai décidé qu’ils pouvaient le faire eux-mêmes. Ils étaient des acteurs qui voulaient tout faire par eux-mêmes, ils étaient tellement demandeurs d’apprendre comment Paula et Otto peignaient que j’ai décidé de les laisser faire.
AVOIR-ALIRE : Au delà du besoin d’un scénario très dense et ramassé, pourquoi avez-vous réduit le voyage de Paula à seulement quatre plans, dont celui, fascinant de la traversée du lac gelé ?
CHRISTIAN SCHWOCHOW : Dans la vraie vie, à cette époque, ils auraient voyagé en train et le voyage aurait probablement duré deux jours et vous savez dans ce genre de travail vous devez prendre des décisions et nous nous sommes concentrés sur trois chapitres importants de sa vie et ces trois chapitres ne sont pas plus très long : la rencontre avec Otto, puis la vie de femme mariée à Otto, puis le quitter pour aller vivre à Paris, puis finalement évidemment le retour à () et sa mort en couches. En ce qui concerne le voyage, j’ai considéré plutôt que toute la vie de Paula était en fait son voyage. Ce qui me semblait le plus important était sa décision de partir, pas la nature de son voyage réel. Il me semblait que le plus important était de la voir partir et de voir ensuite vers quoi elle était partie.
AVOIR-ALIRE : Vous regardez la perte de la virginité de Paula avec une distance relative. Pourtant la question de la nudité, offerte ensuite pour la première fois en autoportrait, semble véritablement essentielle dans l’œuvre de Paula ?
CHRISTIAN SCHWOCHOW : Oui. Dans mon film la question principale n’était pas de montrer la nudité de l’actrice ou De Paula en tant que personnage. J’ai essayé de rendre un moment intime. Et je trouve que dans un film il est difficile de créer une véritable intimité quand vous montrez des corps nus ou la sexualité telle qu’elle est dans la vraie vie. J’ai décidé de donner de l’intimité à Otto et Paula quand ils passent leur première nuit ensemble de manière à ce qu’en dessous de la couverture nous puissions sentir leur joie et leur liberté sexuelle à ce moment précis. Ce n’est d’ailleurs pas seulement une question de facilité mais surtout de trouver le symbole visuel de ce moment particulier que vous voulez exprimer. Pour cela vous devez trouver de la distance parce que le moment où elle fait l’amour avec son amant à Paris est juste avant qu’elle ne réalise sa toile la plus célèbre, la première de l’histoire où une femme réalise un autoportrait nue. Si j’avais choisi de représenter une sexualité conventionnelle, ce processus autour de la femme et de son corps aurait perdu de son intérêt.
AVOIR-ALIRE : Une dernière question. Dans ce film, l’une des phrases de Paula – « Je travaille avec une passion qui exclut tout le reste » - semble parler de vous… Est-ce vrai pour vous ?
CHRISTIAN SCHWOCHOW : Je suis en effet quelqu’un de très passionné. Ma vie est faite de création et je le vis de façon très positive, notamment en réalisant des films. Quelquefois ce peut-être très difficile et complexe mais oui. En fait, Je me sens très lié à Paula. Je me sens très ému et très inspiré par elle.
Interview réalisée le 13/02/2017 par Daniel Burg
(Traduction Mathilde Payelle-Roger)
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