Le 5 janvier 2015
Trois films déroutants qui constituent une expérience intéressante pour des spectateurs curieux.
- Réalisateur : Pat O’Neill
- Genre : Expérimental
- Nationalité : Américain
- Editeur vidéo : Paris films coop.
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– Sortie DVD : le 24 novembre 2014
– Grand Prix du Jury du film documentaire au festival du film de Sundance en 1990 (Water and power) ; Prix du Jury au Black Maria Film Festival en 1999 (Trouble in the image) ; Premier Prix du Florida Experimental Film and Video Festival en 2011 (Horizontal boundaries)
L’occasion rare de voir des films expérimentaux, rares, innovants, foisonnants, grâce à un DVD solide.
L’argument : Pat O’Neill, californien de Los Angeles, artiste, sculpteur, photographe, cinéaste expérimental, créateur de techniques cinématographiques inventives et instructeur au Cal Tech, a réalisé en 50 ans une trentaine de films de styles et de durées variés. Des plus humoristiques dans les années 60 aux plus mystérieux et luxuriants entre 1970 et 1990, il a ensuite exploré et déployé de manière surprenante les multiples jeux et tissages de la fiction cinématographique dans plusieurs films troublants. Primés dans de nombreux festivals, exposés dans les principaux musées et cinémathèques internationaux, ses films restent encore à découvrir en France avec ce premier DVD qui comporte 3 films essentiels : ’’Water and Power’’ (1989) , ’’Trouble in the Image’’ (1996), ’’Horizontal Boundaries’’ (2008).
Notre avis : Il faut dès le début prévenir : les trois films ne sont pas narratifs, du moins au sens où nous l’entendons habituellement. Pour les apprécier, il faut donc un esprit ouvert et disponible. Water and power (1989, 54mn) se présente comme une succession d’images en accéléré : paysages urbains ou déserts, intérieurs ou silhouettes humaines, avec des surimpressions, des taches lumineuses et divers effets. Si l’on entre dans le film, on peut être fasciné par cet amas arbitraire, fasciné jusqu’à l’hypnose. On peut aussi au fil du visionnage repérer des correspondances qui font sens, ou plutôt qui proposent des sens, car rien n’est explicite ; mais il faut rester prudent , ce que nous proposons n’est qu’une possibilité, sans doute limitée, peut-être même loin des intentions du metteur en scène. Lançons-nous : nous avons vu dans ce film une tentative d’épuisement du monde moderne. On y trouve en effet nature et culture mêlées, en rivalité permanente. La nature, c’est une succession de plans (grottes, banquise, minéraux, rivages) dans lesquels les ombres, les nuages se déplacent rapidement. Quant à la culture, elle est représentée par des amas de livres, des musiques diverses (opéra, jazz, percussions), des extraits de films (bande-son, images de film muet), des références historiques. Plus curieux, plus expérimental, elle apparaît à travers des histoires racontées en sous-titres non traduits, sur fond noir ou plan fixe, simples rappels de la multitude de sujets possibles, ou référence à des topoï. La question centrale semble être la place de l’homme : maltraité, déformé, simple silhouette ou impression lumineuse, il n’est qu’un élément dérisoire, réduit à presque rien dans la course folle du monde, et, en dernière analyse, pris dans un temps précipité qui le dépasse. C’est donc de nous que parle(rait) le film, mais, comme expérience de plasticien, il excède largement le sens proposé : par les cadrages, les télescopages de son et d’images, les surimpressions, c’est d’abord une recherche esthétique qui est donnée à voir.
Trouble in the image (1996, 38mn) reprend quelques-uns des procédés du précédent et en ajoute d’autres tels que le split-screen. L’un des principes du film est de mettre une bande-sonore sur des images qui ne leur correspondent pas, ce qui produit un décalage, une rencontre inattendue. On regrettera que seule la version anglaise soit proposée, même si on comprend que l’essentiel n’est pas ce qui est dit (lecture de scénario, texte de documentaire …) mais le choc généré. Fasciné par le spectacle extraordinairement inventif, qui nous a souvent fait penser aux Histoire(s) du cinéma de Godard, on se surprend néanmoins à chercher du sens. Sans entrer dans les détails, Trouble in the image nous a paru conduire une réflexion sur l’image et le cinéma, à travers ces extraits de western et de films hollywoodiens, déconstruits, triturés, schématisés. Il y a là une réinterprétation d’un matériau existant, travail fréquent dans le cinéma d’avant-garde, qui semble nous interroger sur l’essence-même de l’art, mais aussi sur ses codes, ce que nous regardons sans plus y prêter attention. Par des ajouts, comme la construction d’un décor, O’Neill élabore un questionnement sur la représentation et le réel.
Horizontal boundaries (2008, 23mn) va plus loin dans la radicalité : le film est presque entièrement construit sur le principe du disque rayé, reprenant les mêmes images avec le même son. Interrogation là encore sur l’image et le cinéma, il joue plus que les deux autres sur son pouvoir hypnotique, relayé par des surimpressions multiples, parfois à la limite de la lisibilité.
Selon sa propre culture, chacun repérera de multiples références : d’Étienne-Jules Marey à Isidore Isou en passant par Dziga Vertov, O’Neill s’inscrit dans la tradition (si l’on ose dire) du cinéma expérimental qui, sans se contenter d’un refus des formes courantes et d’une contestation facile, développe des formes nouvelles, en recherche constante. Le cinéma (mais est-ce encore du cinéma au sens où on l’entend habituellement ?) devient un laboratoire, un centre de propositions dont il est heureux que le DVD, rarement mais c’est déjà beaucoup, nous rende compte.
Les suppléments :
Un livret de 24 pages (mais 7 de texte français), analyse fine de Claudine Eizykman sur quelques aspects majeurs du travail du cinéaste.
L’image :
Elle est très inégale : quelques fourmillements, quelques parasites. Mais il faut aussi faire la part de ce qui est voulu et de ce qui correspond à une dégradation. Comme le son, l’image ici n’est pas analysable selon les critères habituels.
Le son :
Selon les sources, le son peut être cristallin, avoir beaucoup de présence, ou sembler lointain et manquer de pureté. Cela va d’une bande-son d’un vieux film qui crachote à une musique limpide. Mais là encore, ces différences sont sans doute voulues. Dans ce cadre, la seule piste Dolby Digital 2.0 suffit.
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