Le 7 février 2020
Un ouvrage très didactique, plaisant à lire, sur une thématique passionnante qui interroge notre propre rapport à la différence.
- Auteur : Annick Morard
- Editeur : La Baconnière
- Genre : Essai
- Nationalité : Suisse
- Date de sortie : 17 janvier 2020
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Résumé : Première étude d’envergure sur les monstres et le monstrueux en Russie, cet essai en dévoile les sources historiques, culturelles et littéraires. On y découvre tour à tour les termes qui disent les monstres en russe – ourod en est un – les mythes et légendes qui en content les aventures, l’imaginaire qui en dessine les contours visuels, les événements qui jalonnent leur parcours. Trois moments clés révèlent la puissance symbolique des monstres en Russie : au XVIIIe siècle, la Kunstkamera, considérée comme le premier musée russe, expose des monstres anatomiques – vivants ou en bocaux – côte à côte avec des animaux exotiques et des découvertes scientifiques et techniques. Au XIXe siècle, des êtres au physique jugé monstrueux sont exhibés dans des foires populaires et autres espaces de divertissement, marquant profondément la culture citadine de l’époque. Enfin, au tournant du XXe siècle, avec le développement fulgurant de la médecine et des sciences de la vie, le regard sur les monstres change encore : le scalpel des chirurgiens fait surgir la possibilité de soigner les anciens monstres et d’en créer de nouveaux.
Notre avis : Si, de prime abord, un tel ouvrage semble réservé aux initiés ou aux amoureux de la culture Russe, Annick Morard réussit ce que peu d’ouvrages scientifiques parviennent à réaliser, à savoir passionner sans vulgariser à outrance.
En effet, dans cet ouvrage, l’auteure, spécialiste de la littérature et plus encore de la culture soviétique, propose de créer une mythologie du monstre usse, de ses premières apparitions, dans les contes folkloriques du XVIIIème siècle jusqu’à aujourd’hui.
Si elle s’intéresse aux monstres, c’est que ce travail de recherche lui permet presque de dresser le portrait de l’Histoire de la Russie, de la cour des Tsars jusqu’à nos jours en passant par la période stalinienne où les monstres seront cachés.
Si cette figure est si centrale, c’est qu’elle fascine, par sa différence. Ainsi, la langue russe dispose de plusieurs termes pour définir le monstre et chacun de ses mots révèle une nuance. S’il est question d’une créature présente dans la culture folklorique comme Baba Yaga, on utilisera le terme tchoudovitch, mais elle peut aussi être liée à la religion, comme les iconographies qui représentent Saint-Christophe avec une tête de chien, ou réelle, avec des malformations. On parle alors d’ourod.
En ce qui concerne le mot monstre, il ne fera son apparition dans la langue russe qu’au XVIIIème, grâce au Tsar Pierre Le Grand qui sera fasciné par eux, au point de commanditer de nombreuses recherches scientifiques, pour essayer de comprendre ce qu’ils considéraient comme des êtres appartenant à cette catégorie, et qui, en réalité, souffraient de malformation ou de nanisme. Ainsi, le Tsar avait constamment un nain à ses côtés et a d’ailleurs organisé son mariage avec une naine, Katka, à la cour de Saint-Petersbourg : à l’occasion, il fera venir une soixantaine de personnes de très petite taille. C’est en réalité à des fins de divertissement et d’humiliation que ce mariage aura lieu, comme le décrit Ossorguine, lorsqu’il évoque par exemple une scène affreuse où des nains et des naines, déguisés en poules, font semblant de couver des œufs, avant de devoir attraper des sucreries jetées au sol avec leur bouche, comme des gallinacés à qui on aurait lancé du grain. Cet épisode n’est pas le seul que met en lumière Ossorguine, puisqu’il parlera également du tragique destin de quatre hermaphrodites.
On pourrait d’ailleurs voir ici les prémices de la création de ce que les Anglais appellent "Freak Show" : c’est aussi pour toute sa dimension symbolique que le monstre a eu une place si importante. Bien qu’il fascine, il fait peur, car il est différent, comme le souligne l’autrice. C’est un anti-modèle et il permet de penser le lien entre l’individu et le collectif, puisque le monstre ne sera jamais considéré comme appartenant à la communauté, à cause sa différence. Or, c’est en cela que la question du monstre est intéressante à étudier, pendant l’avènement du communisme.
En outre, bien que le propos parle du rapport qu’entretient la Russie avec les monstres, il nous permet plus largement à nous lecteurs de nous questionner sur notre propre relation à ceux-ci, et plus généralement sur notre propre vision de la différence.
En résumé, quoique l’ouvrage semble avant tout adressé à un public universitaire, il serait dommage de l’y enfermer, car il est extrêmement didactique, bien écrit et très agréable à lire. C’est un essai truffé d’informations, qui attisent à chaque page un peu plus la curiosité de son lecteur. Si ce texte est à ce point réussi, c’est que son auteure parvient avec pédagogie à nous renseigner sur un thème qui peut sembler très spécifique, mais qui est en réalité très vaste, puisqu’il convoque la culture, la littérature, mais aussi l’histoire et la politique de la Russie. Enfin, l’autre gros avantage de cet ouvrage, c’est que malgré sa clarté, il ne s’agit pas d’une œuvre qui prendrait le lecteur un peu trop par la main.
302 pages - 21 €
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