Plongée dans le New York gay des Seventies
Le 5 septembre 2014
Entre documentaire sur le New York gay et rites initiatiques érotiques, Jacques Scandelari signe un film étrange, urbain et troublant, partagé entre paradis et enfer, très Mondo dans son esthétique. Une œuvre inclassable, sélectionnée par Jacques Audiard pour sa carte blanche à l’Étrange Festival édition 2014.
- Réalisateur : Jacques Scandelari
- Acteurs : Alain-Guy Giraudon (Christopher Dock), Bob Bleecker, John Houston, Bill Grove, David Charles
- Genre : Expérimental, LGBTQIA+, Pornographique (interdit au moins de 18 ans)
- Nationalité : Français
- Durée : 96 min
- Âge : Interdit aux moins de 18 ans
- Date de sortie : 14 juin 1978
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Entre documentaire sur le New York gay et rites initiatiques érotiques, Jacques Scandelari signe un film étrange, urbain et troublant, partagé entre paradis et enfer, très Mondo dans son esthétique. Une œuvre inclassable, sélectionnée par Jacques Audiard pour sa carte blanche à l’Étrange Festival édition 2014.
L’argument : Le 20 juin 1977, Paul quitte son ami Jérôme pour une semaine à New York. Il lui écrit tous les jours et dans sa dernière lettre, il lui annonce qu’il ne reviendra jamais. Jérôme à son tour part à New York à la recherche de Paul.
Notre avis : Jacques Scandelari est un cinéaste qu’il serait temps de réhabiliter. Déjà auteur d’une adaptation étonnante de La philosophie dans le boudoir (1971) de Sade, à la fois psychédélique et hallucinée, au sein d’une œuvre contrastée (allant de la comédie au polar), il a également signé plusieurs films pornographiques gays sous le nom de Marvin Merkins : Homologues ou la soif du mâle, Un couple moderne et ce New York City Inferno au statut culte amplement mérité car il faut dire qu’il s’agit d’un long métrage tout à fait singulier. Composé comme un journal intime, le film est rythmé par les lettres lues en voix off que Paul a adressées à Jérôme, lui narrant la liberté sexuelle qu’il a trouvée dans la ville américaine. Cette forme épistolaire ponctue le parcours initiatique de Jérôme qui, à peine arrivé, se fait draguer par un chauffeur de taxi qui a étudié la médecine en Belgique. D’emblée, le Français se livre à une relation charnelle bestiale dans ce qui semble être le recoin d’un ancien abattoir. Un gros quartier de viande est suspendu au plafond et il ne s’agit que du premier parallèle entre l’homme et la bête, un thème récurrent tout au long du film. La forme du récit acquiert ainsi une dimension picaresque : nous suivons les aventures sexuelles initiatrices de Jérôme (qui ne se fait pas prier, il faut bien le dire) jusqu’à ce qu’il puisse atteindre le statut de maître afin de dominer Paul et le récupérer, ce dernier ayant découvert dans la soumission une extase sexuelle ultime.
Jérôme tient du coup plusieurs rôles dans le film. Il en est à la fois le protagoniste, soumis à la caméra voyeuriste, mais il se positionne aussi en tant que reporter, venu interviewer et "enquêter" sur le New York gay, en particulier le quartier du Village. Car New York City Inferno est également un documentaire. Les plans de rue sont nombreux et Jérôme va questionner aussi bien un étudiant en théologie qui s’engage pour la reconnaissance des homosexuels par l’Église qu’une jeune femme un peu perchée dans la salle d’attente surchauffée d’un tatoueur. Le film est donc à mettre en parallèle avec Cruising (La chasse) (1980) de William Friedkin ou avec un classique du fétichisme porno gay arty comme le surréaliste Falconhead (1976) de Michael Zen. Mais au final on pense surtout au cinéma Mondo, de par cette ligne floue entretenue entre réalité et fiction mais aussi de par les thèmes abordés : le paradis et l’enfer, les maîtres et les esclaves, les hommes et les bêtes, la plongée dans un monde d’interdits et de tabous transgressés. Ces sujets étaient au centre de films comme Sex o’clock USA (1976) de François Reichenbach ou encore Les Interdits du monde (1985) de Chantal Lasbats. On notera d’ailleurs sans surprise que ce dernier "documentaire" et New York City Inferno ont bénéficié du même directeur de la photographie, François About. Les scènes uro-scato des Interdits du monde renvoient aussi indéniablement au film de Scandelari. Les séquences prises sur le vif et les parties jouées s’entremêlent ainsi dans un langage flou, bénéficiant de fulgurances visuelles comme la longue scène finale à la Warehouse. C’est comme si tout d’un coup l’esthétique chaînes, cuirs et moustaches de Tom of Finland se mêlait aux délires orgiaques fantastiques de Stephen Sayadian et à l’hystérie décadente post-punk de Liquid Sky. Un grand moment de cinéma.
Au bout du compte, tout converge vers cette séquence qui décrit en elle même l’ "Enfer" du titre (un lieu infernal que Paul décrit comme un "Paradis" dans ses missives). Les hommes portent des masques de démons. Les corps se frottent et s’entremêlent dans une orgie de sueur et de sperme. Fellations, sodomie, fist ou footfuck, ondinisme, bondage, flagellations, gloryholes, tout est permis, et au milieu de l’arène se trouve cette formation improbable : une chanteuse toute de cuir vêtue, une joueuse de synthé speedée et un percussionniste tribal. Les fumigènes déversent leur brume artificielle, les mains tentent de s’accrocher aux talons de la meneuse du bal. Les musiciens apportent la transe, improvisent, hurlent, imitant l’orgasme. Au sein de ce joyeux foutoir se trouve Paul, enchaîné, léchant les bottes de son maître, alors qu’un chien, bien assis sur ses pattes arrières, regarde avidement Jérôme. Les nombreuses expériences du jeune homme avec les inconnus rencontrés sur son chemin l’auront affirmé dans son rôle de dominant. En effet, toutes ces étapes sont primordiales et l’environnement industriel des premières scènes de sexe trouve son apothéose dans ce déchaînement final. Pissotières, entrepôts, abattoirs, squats, la caméra visite tous les bas-fonds les plus sordides. Les murs sont entièrement recouverts de graffitis, même pour la scène de douche qui échoue dans sa tentative d’onirisme kitsch mais qui, au-delà des airs disco de Village People utilisés sur la bande-son, dépeint un univers clos de "macho men", vivant leurs fantasmes sans limites dans une ère pré-Sida qui se teinte aujourd’hui d’une mélancolie funeste.
De par son caractère excessif et ancré dans une époque, le film pourra heurter ou faire rire. Le médium qui lit l’avenir dans le sperme, c’est peut-être exagéré, c’est vrai, mais cela contribue à l’étrange irréalité de ce pseudo-documentaire. Le ton plutôt décontracté des interviews contraste d’ailleurs d’autant plus avec la violence des rapports. Le romantisme ne figure que dans les lettres de Paul car ce que l’on voit, ce sont des corps qui se frappent, presque en lutte, des sexes que l’on engouffre comme dans un festin cannibale, des sodomies brutales baignées dans des odeurs d’animaux morts, des corps crucifiés par des chaînes ou recroquevillés sur eux-mêmes en position de fœtus, des bêtes à l’affût qui se traquent le long des quais. Il en ressort quelque chose de profondément sauvage et dégénéré. Rien à voir avec le visage acceptable de l’homosexualité que l’on voit dans les médias. Le titre est décidément approprié au contenu. Nous sommes face à de pures visions infernales.
Scandelari nous livre ainsi un pur moment de cinéma et ne se contente pas d’enchaîner les scènes hard. Tourné en quatre jours à peine, le film tire sa force de sa richesse de ton et de sa construction quasiment expérimentale. Engagé, excessif, surréaliste, érotique, absurde, ce long métrage est appréciable à plusieurs niveaux : comme une immersion dans un monde clos et sans limites, comme une carte postale touristique du New York des années 70, comme une histoire d’amour non conventionnelle, comme une kitscherie disco pour fans de Village People (ou de Magnum) ou comme une œuvre d’art radicale à une époque où l’homosexualité en France était encore considérée comme un délit.
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