Ne touchez à rien - Noël Simsolo - Frédéric Bézian - chronique BD

Un bel hôtel particulier de Bordeaux vit hors du temps, les anciens propriétaires ont formulé une consigne stricte à leurs successeurs : il leur est interdit de toucher à quelque chose. Chaque objet, chaque meuble doit rester à la place qui lui a été assignée, y compris leurs propres dépouilles, empaillées, qui doivent rester assises dans le salon, figées pour l’éternité. Évidemment, les belles promesses s’envolent vite une fois le notaire parti. Qui voudrait vivre en compagnie de deux cadavres ? De 1890 à 1999, quatre propriétaires transgresseront la règle et auront à subir la vengeance des éternels locataires des lieux. Ah, ces propriétaires ! Jamais contents !

Ces quatre petites histoires doivent beaucoup à Edgar Alan Poe : leur facture, aussi classique qu’efficace, rappelle la verve presque moraliste du maître du genre. Mais l’atout majeur de l’album reste le dessin de Frédéric Bézian, dessinateur hyperdoué, proche de Cossu et d’Andréas, sorti, tout comme ses deux confrères, de l’école Saint Luc de Bruxelles et qui se fait décidément trop rare dans le domaine de la bande dessinée... Les connaisseurs se souviennent encore de la trilogie fantastique et baroque d’Adam Sarlech (Les Humanoïdes associés) ; depuis, à part quelques publications malheureusement trop confidentielles, Bézian avait tant été accaparé par l’animation qu’on n’espérait plus trop le voir en bonne place sur les tables de nos librairies... Cet album rappelle son immense talent à notre mémoire, tant son trait expressionniste et son sens de la couleur explosent dans chaque planche, d’une beauté froide et glacée, mais ô combien enivrante.

Remercions l’éditeur, Albin Michel, qui, en nous proposant un tirage soigné (papier de qualité supérieure, impression magnifique) prouve qu’il est le premier convaincu du caractère précieux du travail de Frédéric Bézian.