Le 8 mai 2024
Absolument sidérant de force et de gravité, Mon pire ennemi restitue la mécanique monstrueuse des interrogatoires par la milice iranienne dans la bouche de celles et ceux qui l’ont subie. Un film radical et salutaire.
- Réalisateur : Mehran Tamadon
- Acteur : Zahr Amir Ebrahimi
- Genre : Documentaire
- Nationalité : Français, Suisse
- Distributeur : Survivance Distribution
- Durée : 1h22
- Date de sortie : 8 mai 2024
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Résumé : Mojtaba, Hamzeh, Zar et d’autres ont subi des interrogatoires idéologiques en Iran et vivent aujourd’hui en France. Mehran Tamadon, le réalisateur, leur demande de l’interroger, lui, tel que pourrait le faire un agent de la République islamique. Le film en devenir se rêve en miroir dressé face aux tortionnaires, révélant leur violence, leur arbitraire et leur absurdité. Mais lorsque Zar Amir Ebrahimi et Mehran Tamadon se prêtent à l’exercice, ni l’un ni l’autre ne semblent plus tout à fait maitriser les rôles qu’ils ont choisi d’endosser, jusqu’à se mettre en danger, ainsi que le projet de film...
Critique : Le nom de Mehran Tamadon parlera à peu de personnes, le cinéaste n’ayant plus tourné depuis 2014. Pourtant, l’artiste né en Iran avait pris le pari risqué de revenir sur ses terres natales pour réaliser un long-métrage qui inévitablement devait le conduire dans les griffes de la milice iranienne. Plus de dix ans plus tard, l’homme décide de reconstituer la barbarie des interrogatoires en invitant d’autres victimes à se mettre dans la peau des tortionnaires. Parmi eux, il y a la comédienne Zar Amir Ebrahimi qui joue pendant une grande partie du documentaire une accusatrice du pouvoir iranien s’interrogeant sur l’adhésion supposée du réalisateur au régime des mollahs et la fréquentation de militants de gauche. Les deux protagonistes décident de prendre place dans une maison abandonnée pour mettre en scène la mécanique monstrueuse et perverse de l’interrogatoire.
D’autres personnes tentent, avec parfois beaucoup de mal, d’interpréter le souvenir qu’elles ont de ces interrogatoires qui ressemblent moins à un échange qu’à une série de tortures physiques et mentales. Un homme raconte en désignant un placard qu’il est resté près de douze jours dans une pièce minuscule, dans le noir total, où il a expérimenté le bousculement du temps ; deux secondes deviennent deux heures, et le fait d’être reclus dans un endroit clos sans savoir quand on en sortira, ressemble à une expérience de la mort psychique. Mon pire ennemi est un film brut, direct, sans concession, où chacun des acteurs professionnels ou non est précipité dans le souvenir de son propre calvaire. Soudain, le documentaire, situé entre réalisme et fiction, rend compte avec une immense force de la vérité des régimes dictatoriaux, notamment dans la manière dont ils installent la terreur pour taire toute velléité de rébellion ou de prise de parole de contestation.
- Copyright Survivance
Mon pire ennemi est le premier volet de deux films dont le second, Là où Dieu n’est pas, sera sur les écrans le 15 mai 2024. À travers ces interrogatoires fictifs, le réalisateur restitue une partie de son œuvre cinématographique qui l’a conduit à aller à la rencontre d’Iraniens opposés au régime des mollahs, dans l’intimité de leur existence. La plus grande partie du documentaire met face à face le réalisateur et Zar Amir Ebrahimi. Cette dernière fait déshabiller le cinéaste, l’arrose d’eau glacée, le traîne dans le froid d’un cimetière, jusqu’au moment où tous les deux s’abandonnent à la vérité de la confession. Chacun d’eux parlent de leur rapport complexe au très beau pays d’Iran, à la fois comme un regret, mais aussi un souvenir exploré depuis la France de la barbarie qui s’y exerce. L’actrice interroge la motivation du réalisateur à créer ce film, et surtout à le diffuser jusqu’en Iran où la plupart des habitants se tiennent à l’écart de la création artistique et intellectuelle, ainsi que des arcanes du pouvoir.
Le film est dense, fort brutal parfois. Il joue habilement entre la reconstitution et le réalisme. L’implication de Zar Amir Ebrahimi qui avait été primée à Cannes pour Les nuits de Mashhad est impressionnante, quand on sait le courage qui est le sien pour continuer à faire des films. On imagine aisément dans le documentaire la pression que le réalisateur et la comédienne doivent subir au quotidien, même en Europe, et c’est la raison pour laquelle le film interroge la dimension éthique d’une telle entreprise. Elle ne fait aucun cadeau à Mehran Tamadon, tentant de lui expliquer ce qui l’amène à explorer depuis la France la tyrannie qui s’exerce en Iran, au risque de passer pour un héros et d’instrumentaliser les victimes qui continuent d’être torturées.
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Mon pire ennemi est un documentaire époustouflant qui échappe à tout conformisme de la pensée. On est loin de l’angélisme du petit monde du cinéma qui se donne bonne conscience en regardant depuis Cannes ou Berlin des histoires relatives à l’Iran. La réalité est évidemment beaucoup plus sombre, et de ce point de vue, le film interroge la légitimité de la représentation cinématographique. A-t-on le droit de rejouer l’horreur qui se joue chaque jour dans les geôles iraniennes ? Zar Amir Ebrahimi est absolument prodigieuse, entre sincérité, jeu d’actrice et humanité.
Notes : Mon pire ennemi forme avec Là où Dieu n’est pas (en salles le 15 mai) un diptyque de Mehran Tamadon consacré aux interrogatoires idéologiques et à la violence politique en Iran. Les deux films peuvent se voir indépendamment.
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