Moi en double - La chronique BD

Il faut une sacrée dose de courage pour aborder en BD un thème que de nombreux autres médias n’ont pas ou peu représenté. L’obésité touche de plus en plus de personnes, mais il existe un certain tabou, qui empêche de parler, de témoigner, d’attaquer ou de dénoncer cet état difficile. Navie atteinte un temps de la forme dite morbide de l’obésité, a choisi de se livrer, de se mettre à nu, et grâce au trait d’Audrey Lainé, elle a pu trouver un espace de sérénité, à la fois libre et encadré, pour exprimer des sentiments, des émotions, donner quelques explications, voire des solutions. Le surpoids excessif doit ainsi passer par une conscience, à laquelle le dégoût de son corps est souvent assimilé, comme un raccourci qui devrait tout expliquer. Mais cet état est beaucoup plus complexe, la volonté passant des étapes, des fluctuations avancées puis de brusques retraits, tous plus fulgurants les uns que les autres. La vision, le cheminement et les conclusions, rien n’est ainsi linéaire, c’est ce parcours intérieur et conflictuel que le duo a voulu creuser, voire dépecer tant certaines pages expriment une souffrance, une douleur que chacun peut comprendre ou partager.

© Delcourt

Il faut y revenir, le dessin d’Audrey Lainé permet une immersion dans ce qui est ou fut la vie de Navie. Ainsi, le trait doux de la rondeur peut se modifier en boursouflure, la jolie forme peut se grêler, le double peut s’accrocher, dévorer l’autre comme un parasite, ou cajoler et rassurer comme un Symbiote. Cauchemars et miroirs peuvent s’insérer, voire se retrouver dans une même page, et il est étonnant de voir un peu de couleur en rehausser ou assombrir une autre. Le noir et le blanc, l’absence de cohérence dans le plan ou le déroulé, tout cela fait tendre vers un roman graphique dans l’air du temps et donc à la portée de tous, avec une tendresse du ton et des traits qui n’empêche pas une cruauté du sujet et du rendu dans certaines planches.

© Delcourt

Témoignage vibrant, biographie d’un désordre chamboulant, Moi en double se veut auxiliaire psychologique et lien avec le public, une portée donc double pour un album bien proportionné, et un message que l’on peut lire deux fois.