Au commencement étaient "les nichons" de Solange Maurel. D’abord inexistants mais attirant le regard dans leur subtile et irréversible potentialité. Puis bel et bien là, morceau de chair objectivé par une midinette débarquée de sa province, aux dents longues et acérées, qui se la joue femme fatale, à marcher pieds nus dans les rues de Paris et à s’inventer des situations où elle pourrait enfin avouer qu’elle porte du N°19. Et c’est comme s’il ne fallait que ça pour entrer dans une maison de production de séries télé débilifiantes, ou à peine plus.

Un peu plus cependant, un supplément d’âme presque tragique, qui prend la forme chez Solange d’une limpide lucidité, d’une salutaire intelligence, un supplément d’âme servi avec une inattendue (et d’autant plus apaisante pour le lecteur agacé par cette histoire sans relief, hormis ces fameux "nichons") agilité par Christophe Donner, sans effusion ni mièvrerie :
"Quand on parle de nuit blanche on devrait parler du matin, de cette poudre de fatigue qui trouble la vue, décolore les lèvres, les sensations qui restent sont comme les dunes d’un désert, les carcasses minérales se regardent, transies, ne se reconnaissent plus tellement elles sont terrifiées d’avoir échappé au sens commun des dormeurs, des travailleurs, des pas amoureux. La nuit n’a aucune importance, c’est du passé, du temps exsangue, et ce qui se lève, au petit jour, c’est le désir très pâle de se réembrasser, pour voir, et aussi se cacher l’un dans l’autre, l’un de l’autre, ça tiraille, c’est à pleurer tellement c’est inconnu, qu’est-ce qu’on va faire, est-ce qu’on va revenir au sein de l’humanité qui bouge, qui ouvre un oeil, se réveille, est-ce que je vais retrouver M. Naldini en bas de l’hôtel pour le petit déjeuner ?" (p.67)