Le 3 décembre 2018
Autour de la sortie en édition collector du film Memories of Murder de Bong Joon-ho, La Rabbia sort un livre qui en raconte le tournage et le contexte politique de l’histoire. Interview avec son auteur, Stéphane du Mesnildot, critique aux Cahiers du Cinéma et spécialiste du cinéma asiatique et du film de genre.
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aVoir-aLire : À quel moment avez-vous découvert Memories of Murder, et quel est votre rapport au film depuis ?
Je l’ai découvert à sa sortie, donc en 2004 : il était passé en festival en 2003, à Cognac, et il avait commencé à avoir une certaine réputation. C’était l’époque du premier boom du cinéma coréen, il y avait eu Old Boy (Park Chan-wook) à Cannes, il y avait eu 2 Soeurs de Kim Jee-woon, il y avait eu un petit peu avant un film qui s’appelait La Trace du Serpent (Lee Myeong-se) qui était un des premiers, c’était un polar très stylisé… donc on sentait qu’il y avait quelque chose qui était en train de venir de la Corée qui est un pays dont on avait quasiment jamais entendu parler, excepté les films d’Im Kwon-taek qui étaient des beaux films… pas de festival mais enfin qui étaient à Cannes et qui avaient une image assez… enfin le genre de films que l’on voit à Cannes. Même si c’est plus délirant et plus bizarre que ça, mais en tout cas cette période là c’était plutôt ce cinéma là, donc c’était pas vraiment du cinéma de genre. Dans l’histoire du cinéma de genre asiatique, ça a été le Japon, ça a été Hong Kong, et puis là c’est la Corée qui arrivait avec aussi des auteurs tout à fait fascinants et une sorte de violence un peu délirante, un peu sans limites ; et lorsque je suis allé voir Memories Of Murder, c’était vraiment le nouveau film à voir, et c’était un film qui était très différent des autres, déjà il y avait une sorte de précision de réalisation assez étonnante pour un cinéaste dont c’était le deuxième film ; c’était un film de serial killer donc on pouvait le comparer avec des films américains, et c’était extrêmement différent ; déjà il y avait cette situation cauchemardesque du tueur que l’on n’arrête pas, on ne sait même pas si c’est la personne qui est interrogée ou non, avec cette fin qui laisse dans un état d’incertitude totale : et c’est toujours le pire car on est hanté après, chez le spectateur ça agit comme une hantise, on n’arrête pas d’y repenser et de tout remettre en cause. J’étais allé voir le film plusieurs fois et c’était évident que c’était non seulement un film d’un pays émergent cinématographiquement, que c’était un film de genre mais c’était évident que c’était un chef-d’œuvre. C’était donc ma première impression, ça a créé beaucoup de discussions de cinéphiles, et puis c’était très étrange car c’était à la fois découvrir un film coréen et découvrir aussi une période, les années 80. Déjà que la Corée, on était beaucoup moins informé politiquement de ce que c’était ; on savait qu’il y avait deux Corée, on savait que dans le Nord c’était un des derniers pays communistes quasi stalinien, ce pouvoir personnalisé délirant, et du Sud on ne savait pas grand-chose, donc c’était assez obscur ; alors s’il fallait replonger dans les années 80 ça l’était encore plus donc c’était bizarre. Par la suite, le nom de Bong Joon-ho est resté en tête et puis est arrivé The Host, puis Mother. The Host c’était un nouveau choc. Mais voilà, Memories Of Murder, c’est un film qui est toujours resté.
aVoir-aLire : La Rabbia achète le film restauré par Bong Joon-ho lui-même et le ressort en salle en 2017. Un an plus tard ils le sortent en blu-ray dans une édition collector au contenu très riche, en proposant à part ce livre dont vous êtes l’auteur et même la bande-originale du film en vinyle. À quel moment vient-on vous chercher pour participer au projet ?
C’était il y a deux ans à peu près. Il y avait donc ce projet de remettre le film à l’honneur, en visibilité, de créer toute cette série d’événements autour donc j’étais évidemment très très content parce que c’est un film sur lequel beaucoup de journalistes et de cinéphiles rêvent d’écrire, et puis ça me permettait aussi de fouiller des choses que je n’avais pas pu faire, parce que j’ai écrit sur le cinéma coréen, dans les Cahiers du Cinéma par exemple mais en fin de compte je n’écrivais pas dans des magazines susceptibles de parler du film à cette époque là, donc c’était l’occasion de revenir dessus et de raviver un fantasme d’écriture sur ce film-là.
aVoir-aLire : Pourquoi vous en particulier ?
Pourquoi moi en particulier… ? En fait je suis un peu connu pour écrire beaucoup sur le cinéma asiatique, le cinéma japonais, et puis aussi sur le cinéma de genre, pas forcément toujours sur du cinéma de genre actuel puisque j’écris sur Fritz Lang, des choses comme ça, donc ce sont des mécanismes que je peux bien décrypter, et puis voir aussi comment un film comme Memories of Murder… même si c’est un film coréen, il n’est pas non plus totalement coupé d’une histoire plus longue du thriller ou du film noir, surtout parce que l’on a un cinéaste qui est extrêmement cinéphile à la base. Pour moi Bong Joon-ho, c’est l’équivalent, d’une certaine façon, de ce qu’ont pu être les cinéastes américains des années 70 comme De Palma, Spielberg - qu’il adore d’ailleurs – ou Coppola, enfin des cinéastes qui étaient, comme Scorsese évidemment, d’énormes cinéphiles, et forcément il s’inscrit dans une histoire malgré tout, une histoire du cinéma de genre, et là ce que j’ai essayé de faire - j’en ai fait une partie dans mon livre - c’est de montrer qu’il y avait des choses qui étaient très proches du film de serial killer, parfois asiatiques ; je parle du film d’Imamura, La Vengance est à moi, où l’on retrouve des ambiances très troubles de campagne et de meurtres, de Kiyoshi Kurosawa évidemment avec Cure et ce personnage assez insaisissable ; mais aussi de cinéastes américains comme Richard Fleischer avec L’Étrangleur de Boston, William Friedkin avec Cruising et même Hitchcock avec Frenzy.
aVoir-aLire : Selon vous, ce genre de projet éditorial est-il un moyen de rendre à certains films, qui ont peut-être un peu disparu des radars, comme The Sorcerer qui précède Memories of Murder dans la collection, toute l’importance et la place qu’ils méritent dans les filmothèques des cinéphiles ?
Oui, surtout que c’est la première édition blu-ray. Il y avait une très bonne édition DVD, que j’ai, qui était aussi bien chargée en bonus, en informations qui m’ont aussi aidé pour faire mes recherches ; mais il n’existait pas en blu-ray et c’était donc l’occasion, à partir de là, de recréer tout ça parce que finalement, maintenant, si un film n’est pas en blu-ray, il est moins visible. Et c’est un film aussi qui, visuellement, par la qualité de sa photographie et pour plein de choses, méritait cette restauration. Et c’était l’occasion aussi de resituer le film, c’est à dire les éléments qui me manquaient quand je l’ai vu pour la première fois dans les années 2000 : c’était l’occasion de les offrir, de montrer que politiquement ça vient de cette histoire-là, qui est présente dans le film même s’il n’est pas non plus une thèse ou un film didactique, donc c’est évoqué mais sans que ce soit explicité, ce n’est pas non plus un film politique à la Costa Gavras où tout est pointé. Il y avait donc en effet tout un matériel historique qu’il me semblait important d’offrir au lecteur et que je pouvais développer beaucoup plus que dans le livret du DVD, que j’ai fait, de reparler de cette période où la Corée du Sud était également sous un régime militaire, avec des accents dictatoriaux. Évidemment c’était pas la totale privation de liberté de la Corée du Nord, puisque les gens pouvaient circuler, quand même, mais où il y avait une censure extrêmement forte, une répression très très forte qui a mené à des choses où, pour certains aspects, la Corée n’avait rien à envier à certaines dictatures de pays d’Amérique du Sud, avec ce fameux massacre de Gwangju, avec comme au Chili des disparitions d’opposants, des mensonges, une répression de l’armée extrêmement violente et sanglante, ce genre de choses. Voilà donc ça, ce ne sont pas des choses qui sont connues, je pense, des cinéphiles qui s’intéressent au cinéma asiatique, ni de la cinéphilie plus large.
aVoir-aLire : Le livre est sous-titré L’enquête, et certes il s’agit de savoir comment le tournage s’est déroulé et comment le film a pris forme, mais justement, comme pour le film, cette affaire des meurtres irrésolus de Hwaseong imprègne forcément les pages du livre. Ce travail vous a t-il mené sur les traces de la véritable enquête ?
Oui, autant que faire se peut, tout ce que je pouvais trouver... évidemment je me suis renseigné, surtout pour voir les différences avec le film, parce qu’il y en a, Bong Joon-ho ne tourne pas un documentaire ni un docu-drama. Les meurtres s’étalent sur 5 ans, à différentes périodes de l’année, tandis que la notion du temps est assez imperceptible dans le film. Ça pourrait durer un an, ça pourrait durer un mois, ça pourrait durer 15 jours… on ne sait pas trop en fait. On est toujours dans la même saison, le temps est extrêmement pluvieux, l’image grise, les nuages bas… quelque chose comme ça qui empêche de dater précisément le déroulement du temps.
J’ai voulu aussi savoir qui étaient ces femmes qui avaient été tuées, c’est extrêmement divers et ça aide aussi à comprendre le film, de voir qu’il n’y a pas de logique… il ne tue pas que des adolescentes, il ne tue pas que des vieilles dames… ni non plus que des filles en rouge, et ça c’est assez bien montré dans le film, il y a des changement de modus operandi, par exemple pourquoi met-il de la nourriture dans le vagin à un moment alors qu’il ne le fait pas avant ? Voilà il y a des choses très étranges qui peuvent laisser supposer, comme je l’évoque, qu’il n’y aurait pas qu’un seul tueur. Ce n’est pas très évident un tueur qui change de méthode, c’est quelque chose de bizarre, et c’est une chose que l’on retrouve dans L’Étrangleur de Boston, par exemple, qui fait penser là aussi qu’il y a eu des tueurs différents. Bon je vais pas faire un truc à la Stéphane Bourgoin sur l’étude des serial killers mais bon, oui, en effet, je me suis un petit peu renseigné là dessus, mais c’est surtout Bong Joon-ho qui, lui, s’est réellement investi pendant la préparation du film, qui m’a fourni des éléments et puis surtout c’est son état d’esprit, pendant cette enquête, où il a été pris d’une rage, d’une obsession… ce qui est peut-être dans vos questions d’ailleurs ?
aVoir-aLire : Oui, mais justement, il y a un meurtre en particulier, qu’il reprend quasiment trait pour trait, et qu’il filme de la manière même dont il s’est déroulé réellement, celui de la collégienne.
Oui, et il est préparé tout au long du film. C’est celle que l’on revoit plusieurs fois, ça crée une empathie et un lien avec l’inspecteur qui devient une empathie pour le spectateur aussi. C’est le meurtre qui a le plus importé à Bong Joon-ho, c’est celui qui l’a fait un peu plonger dans des choses un peu noires quand même pendant la préparation. Il a rencontré des policiers, il est allé sur les lieux, et comme il dit, il pensait qu’il allait attraper le tueur parce qu’il était dans un truc un peu dingue de la part d’un cinéaste, parce qu’il était prêt à abandonner son film… donc c’est un peu délirant, et puis il y a cette fameuse anecdote où il reçoit des coups de fil un peu bizarres, alors ça fait vraiment penser à Zodiac, le film de David Fincher… donc peut-être qu’il y aura un jour un film sur le tournage, sur Bong Joon-ho, dans 50 ans (rires…) mais je pense qu’il est encore marqué par ça, je trouve qu’il est extrêmement détendu quand il parle de ce film, il y a parfois des plaisanteries sur le tournage etc... mais quand il aborde la réalité, vraiment, des morts, je le trouve très tendu et très assombri parce qu’il sait qu’il y a eu de vrais meurtres…
aVoir-aLire : Ça l’a marqué, et puis il était adolescent au moment des meurtres…
Oui oui c’est quelque chose qui l’a marqué, comme nous peut-être avec l’affaire Grégory ou des choses comme ça qui sont des choses qui deviennent des cas nationaux dont on parle tout le temps. C’était la première fois que la Corée était confrontée à un tueur en série. Alors il y a quand même des choses assez mafieuses, on voit ça quand on voit les thrillers, quand on voit les films d’action même si c’est par ailleurs un pays qui est aussi tranquille pour ses citoyens que le Japon par exemple, ce sont des pays où l’on se promène à n’importe quelle heure du jour et de la nuit, partout, et il n’arrive jamais rien, il y a très peu de délinquance envers les personnes… mais bon il y a quand même de la mafia, des meurtres, il y a de la prostitution, une économie criminelle… mais le serial killer, identifié comme tel, c’était jamais arrivé que l’on en identifie un. Il y en a forcément eu, parce que c’est dans la nature humaine, il y en a partout, mais là c’est la première fois et surtout tout ça était mélangé aux Jeux Olympiques qui se préparaient… Donc c’est sûr que ça a dû marquer le jeune Bong Joon-ho, qui était déjà cinéphile et qui sûrement faisait le rapport avec des films américains qu’il voyait, des films policiers, ce genre de choses.
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aVoir-aLire : On en a déjà parlé un peu tout à l’heure, mais autour de l’enquête, le film dresse un portrait politique de la Corée du Sud des années 80, une période très sombre retranscrite jusque dans les couleurs et l’atmosphère des images. Bong Joon-ho a un profond sentiment de colère envers les institutions et le climat politique de l’époque qui avaient permis au tueur de n’avoir jamais été arrêté. Pourtant, même pour quelqu’un parfaitement ignorant de ce contexte, le film exerce une fascination de tous les instants, donnant une dimension métaphysique et impalpable au mal. On pourrait presque parler d’un miracle sur pellicule.
Oui, alors pour la première partie c’est vrai que le régime militaire d’extrême droite était plus préoccupé à chasser les opposants et à mobiliser les forces lorsque le président traversait des villes, et on voit ça dans le film, et puis il y avait au même moment beaucoup de manifestations d’étudiants à Séoul, et ce régime laissait la police assez démunie même si beaucoup d’enquêteurs se sont succédé pendant les 5 ans. Même s’il y a eu beaucoup d’auditions et des choses comme ça mais, en fait, ils n’avaient pas non plus les moyens. Et il y avait cette chose très symbolique qui a marqué Bong, qui étaient les couvre-feux, qui créaient une ambiance de noirceur, d’obscurité totale, et qui par ailleurs protégeaient d’une certaine façon les meurtres du tueur, donc quelque chose de symbolique qui rejoint les meurtres. Pour Bong Joon-ho c’est vraiment une image des crimes de la dictature… Et miracle, oui... ce miracle, en fait, c’est le miracle d’une cinématographie qui explose avec des jeunes cinéastes qui, d’un coup, prennent le « pouvoir », en tout cas à qui l’on fait confiance. Par exemple il a eu quasiment un an, 6 mois de tournage mais un an pour la préparation, ce qui est énorme, c’est plutôt ça que vraiment en terme de moyens financiers… enfin le film a coûté relativement cher, on voit que ce n’est pas non plus une superproduction mais ça lui a servi à acheter ce temps dont il avait besoin, de dire « non le ciel n’est pas comme on veut, on ne tourne pas », ce genre de choses… « il pleut pas, on attend la pluie », enfin voilà ce sont aussi des choses assez miraculeuses qui n’arrivent qu’une fois. Mais je pense que Bong Joon-ho est suffisamment puissant en Corée, et par chez nous, avec un ou deux autres le cinéaste, le plus puissant… et je crois qu’il se remet dans ces conditions là pour le film qu’il finit, Parasite. Le tournage était long, le montage est très long, donc à mon avis ça va être un chef-d’œuvre.
aVoir-aLire : Espérons (rires...). Le fameux dernier plan, qui est le regard caméra de Song Kang-ho, est comme adressé au tueur qui est peut-être toujours vivant quelque part mais aussi, comme vous l’écrivez dans le livre, comme adressé à la société coréenne contemporaine, une façon de dire que le passé n’est toujours pas résolu. Mais ce regard apporte aussi au film quelque chose de vertigineux, qui moi – mais c’est juste moi – me donne envie de le rapprocher du dernier plan d’Il était une fois en Amérique avec le sourire de De Niro face caméra, comme si la fiction disparaissait pour donner à tout ce qui précède une résonance à la fois intime et universelle, et qui donnerait à éprouver le poids du temps passé vécu par les personnages.
Oui, ça c’est très net, ce temps qui a passé. On ne sait pas ce qui est arrivé à Seo (Kim Sang-kyung) puisqu’il disparaît comme ça, tout se concentre à nouveau sur Song Kang-ho qui apparaît comme étant véritablement le personnage principal du film, celui qui est le moins abstrait, parce qu’il a une famille, on voit son évolution... alors que je trouvais très étrange de voir comment on passait de ce flic mal dégrossi à cette espèce de vendeur, de représentant bronzé aux cheveux courts… enfin il y a quelque chose de très étrange qui montre vraiment l’évolution de la cité coréenne, il prend ça sur lui à ce moment là, mais malgré tout il n’a pas oublié, ça lui reste toujours dans la tête et il revient sur les lieux. C’est vrai que c’est vraiment une scène bouleversante, alors que ça ne fait pas appel à un pathos, par exemple une histoire d’amour, mais on est absolument bouleversés par son regard, et c’est vrai que c’est un témoin et qu’il adresse à ce moment là plusieurs choses. En effet cette société de 86 à 2003 a connu un miracle économique, qui s’est ouverte complètement sur l’Occident, qui s’est modernisée, qui a exporté ses objets de luxe, ses téléphones, ses voitures, qui a accueilli une coupe du monde de foot… enfin voilà qui est devenu un pays moderne qui dialogue d’égal à égal avec les autres démocraties, ce qui n’était pas le cas, qui s’est aussi sorti de la pauvreté puisque c’était un pays qui était d’une pauvreté effrayante dans les années 60 et jusque dans les années 80 ; mais il les regarde en disant qu’il ne faut pas non plus oublier ce qu’ils ont été…
aVoir-aLire : Pour raconter l’histoire de ce tournage, vous vous êtes entretenu avec Bong Joon-ho et un critique de cinéma coréen. Le livre est aussi richement illustré de photos de tournage, storyboard, coupures de presse et de dossiers sur l’enquête. Vous avez donc eu accès aux archives de Bong Joon-ho ?
Ces archives sont dans le livre, ce sont les photographies, ce sont les coupures de presse, donc ça constituait une inspiration pour se plonger dans l’ambiance du tournage. Mais il n’a pas tenu de journal, par exemple... par contre en effet, j’ai eu plusieurs entretiens avec lui, et il était tout à fait prêt à replonger dans cette histoire.
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aVoir-aLire : Vous écrivez à la fin que, si le polar coréen, depuis 2003, est un genre très représenté ; Memories of Murder, lui, n’a pas de descendance directe. Est-ce à dire que le film est un moment unique du cinéma coréen ?
Alors il n’a pas de descendance directe, non, moi je ne vois aucun film qui lui ressemble, après il y a eu des films de tueurs et l’histoire des meurtres de Hwaseong a donné lieu à des séries TV, à des choses comme ça parfois assez fantaisistes, mais en fin de compte je trouve qu’il n’y a pas de films qui lui ressemblent, à part Mother de Bong Joon-ho qui est le film qui lui ressemble le plus. En revanche, il y a eu une descendance mais pas en Corée, c’est ça qui m’a intrigué, mais je considère que Zodiac de Fincher est un film qui n’aurait pas pu être fait – il l’aurait fait différemment – mais il a récupéré quelque chose… je n’ai jamais posé la question à Fincher, je ne sais pas du tout ce qu’il répondrait, mais dans ce passage du temps, ce personnage obsédé par un tueur sans visage, cette imprécision à la fin où l’on a l’impression que le journaliste a identifié le tueur mais finalement… même si on voit le film plusieurs fois, quand on y pense on est pas sûr. Mais au niveau visuel et sur l’ambiance, un film comme La Isla Minima (Alberto Rodriguez), film espagnol qui se passe pendant le franquisme, aussi à la campagne avec des flics etc. et qui récupère vraiment beaucoup de choses visuelles… il y a aussi un film chinois qui s’appelle Une pluie sans fin (Dong Yue), qui est sorti cette année et qui est… enfin je ne vais pas dire une imitation mais qui est très très inspiré. Visuellement et dans les ambiances c’est à s’y méprendre. Et dans le domaine américain il y a aussi True Detective qui a aussi cette dimension temporelle puisque l’on est entre deux époques, il y a aussi cette image de l’obsession, des meurtres irrésolus, de la campagne américaine…, et il y a un plan en particulier avec Matthew McConaughey qui regarde une sorte de fétiche, je crois, étrange, sur un arbre et qui ressemble énormément au plan de Song Kang-ho qui regarde à travers le trou. Voilà il y a quelque chose qui symbolise cette abstraction du mal, que ce soit un fétiche bizarre qui vient d’on ne sait où, ou alors un trou, tout simplement, un trou dans l’histoire, dans le réel, dans la logique.
aVoir-aLire : Ça rejoint aussi cette question, peut-on trouver des traces de Memories of Murder dans le cinéma mondial ? Vous venez d’y répondre…
Oui et je pense que c’est quelque chose qui ne va pas s’arrêter, c’est devenu une date clé comme a pu l’être Le silence des agneaux, comme ont pu l’être les films de Friedkin comme Cruising, ou Hitchcock etc. mais je pense qu’on va voir Memories of Murder réapparaître dans beaucoup de films, quasi éternellement.
aVoir-aLire : Enfin, en tant que critique, quel regard portez-vous sur ces petits éditeurs qui, malgré un marché du blu-ray et DVD en baisse, arrivent à sortir des films dits de patrimoine dans des éditions au riche contenu éditorial ? Est-ce que c’est un modèle qui peut perdurer ?
Alors là moi je suis absolument pas dans les finances, je sais que l’on connaît vraiment un âge d’or de l’édition blu-ray, on ne sait plus où donner de la tête et du porte-monnaie (rires…), c’est absolument diabolique… moi j’adore les films italiens comme les films de Lucio Fulci donc je craque parce que si j’en achète un, j’ai envie d’avoir les autres…, les films que distribue Manuel Chiche aussi, mais bon il y en a plein d’autres, c’est assez incroyable et je pense que l’on est encore très attaché à l’objet malgré tout... Et je n’aime pas cette idée – je pense à Netflix évidemment, alors bon ils produisent des films qui parfois ne seraient pas produits par des systèmes soit américains qui deviennent extrêmement frileux et qui ne pensent plus qu’à des films de super-héros ou à des remakes ou reboots donc évidemment, des gens comme Scorsese ou d’autres trouvent refuge chez Netflix – donc je n’aime pas du tout l’idée que ça reste emprisonné dans le système Netflix et que ça n’en sorte pas, c’est à dire que voilà si l’on est « honnête », que l’on ne télécharge pas, si l’on ne s’abonne pas à Netflix, on a aucun moyen de voir Okja (Bong Joon-ho) par exemple. Le seul moyen c’est de s’abonner à Netflix, ce qui moi ne me convient pas du tout, que cela reste emprisonné dans un système, et qu’il n’y ait pas une édition DVD ou blu-ray de Okja, je trouve ça extrêmement énervant. Pour le film d’Orson Welles, The other side of the wind, ce n’est pas possible parce que c’est un film qui appartient, quoi qu’ils aient financé, au patrimoine mondial de la cinéphilie et ça ne peut pas rester dans un système comme ça. Moi je n’ai aucune solution à ça, c’est vrai qu’ils mettent de l’argent, ils peuvent dire que ça leur appartient légitimement, mais bon moi je préfère acheter mes films, parce que ça, ce sont en effet des films de patrimoine, qu’on a envie de garder comme on a envie de garder un livre, et ça n’a rien à voir avec… moi je conçois très bien qu’on a fait miroiter aux gens qu’il fallait tout acheter, qu’il fallait acheter des Avengers et des Spiderman, d’abord en DVD puis en blu-ray, puis les racheter en 8k ou en 16k… c’est absolument sans fin… et que les gens soient suffisamment énervés pour préférer télécharger, parce que le pouvoir d’achat n’est plus ce qu’il était, les DVD sont vus une fois, s’entassent et sont jetés à la poubelle, et ça c’est un système qui ne peut pas durer non plus éternellement. On ne peut pas faire racheter des télés sans fin et des lecteurs à tout le monde, il faut un moment décider que le blu-ray c’est la fin de ça et que ça ne sert à rien d’augmenter… je veux dire : qu’est-ce qu’il y a à voir, au bout d’un moment ? quels sont les détails qui vont faire changer la chose ? quelle est la restauration qui va faire apparaître chaque cheveu… ? Ça n’a plus aucun sens, donc je comprends que les gens préfèrent soit, bon « pirater » parce qu’il ne faut pas le dire, ou alors faire de la VOD. C’est beaucoup plus logique de voir du Marvel en VOD en famille que d’acheter un objet… Mais je pense que peut-être, justement, ça a revalorisé aussi les très belles éditions pour lesquelles on veut un appareil critique, que l’on veut mettre dans sa bibliothèque, en espérant que l’on puisse les voir et les revoir jusqu’à la fin de nos jours.
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