Maya - la critique du film

Critique : La réalisatrice Mia Hansen-Løve s’inspire régulièrement de son histoire personnelle ou familiale pour concevoir ses films. Son sixième long-métrage ne faillit pas à la règle. Après Eden en 2014 retraçant un épisode de la vie de son frère, puis en 2016 L’avenir où elle revenait sur la séparation de ses parents, elle s’est cette fois nourrie des récits de sa mère et de sa grand-mère à propos de son grand-père (Paul Bonnecarrère), correspondant de guerre, journaliste à Paris Match et auteur de livres de guerre, pour façonner sa vision du grand reporter.

© 2018 © 2017 L.F.P. – Les Films Pelléas / Razor Film Produktion / Arte France Cinéma / Orange Studio / Sofinergie 5 / Pio & Co / 0 Films - Photo : Wolfgang Borrs. Tous droits réservés.

De la détention de Gabriel (Roman Kolinka) et de Fred (Alex Descas), ne filtre aucune image, l’objectif de ce film n’étant ni de nous émerveiller de quelque aventure guerrière ni de s’attarder sur une étude post-traumatique mais plutôt de nous décrire le cheminement d’une réinsertion sociale après une telle épreuve. C’est à leur descente d’avion, alors qu’ils sont accueillis par les représentants de la République française et par leurs proches, que l’on fait connaissance des deux hommes. Alex est un baroudeur au caractère bien trempé. Son goût de l’aventure, sa témérité et son absence d’état d’âme face à la violence le poussent à repartir très vite. Gabriel est plus ambivalent. A la fois curieux et téméraire, il est aussi réservé et solitaire. Il s’est fabriqué un système de défense lié à son métier et refuse toute attache. Animé d’un sentiment de culpabilité (l’un de ses camarades de captivité est resté en Syrie et ses chances de libération sont minces) et de vacuité, il ne souhaite pas bénéficier de la prise en charge d’un psychologue. Il coupe court à toute relation avec ses parents et son ex-amie et son esprit indépendant et combatif le pousse à prendre un nouveau départ en retournant en Inde, ce pays où il a vécu durant son enfance et où réside toujours sa mère avec qui il entretient des relations distantes.

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C’est autour de ce conflit intérieur que se développe le récit qui, tout imprégné de la délicatesse coutumière de sa scénariste-réalisatrice, nous mène d’un cut inattendu d’un Paris organisé aux rues grouillantes de Goa. Il ne s’agit pourtant pas de filmer la fuite d’un Occidental finalement plutôt gâté venu se ressourcer au contact d’un paradis. S’éloignant soigneusement d’une vision caricaturale de l’Inde, partagée entre splendeurs et misère, cette quête de renaissance s’accompagne d’une distanciation pudique aux explications tenues.

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Gabriel satisfait son appétit d’ailleurs en se fondant dans la poésie de paysages magnifiquement filmés. Il se réfugie dans un passé réconfortant même s’il n’est pas exempt de douleur en retapant une vieille maison pleine de ses souvenirs de vacances d’enfant. Il en profite pour renouer avec Monty, son parrain, et découvre à travers les propos de son ami qu’ici aussi planent des menaces inhérentes à l’évolution d’un système économique de plus en plus moderne. Ce qui ne l’empêche pas de sillonner, seul et en scooter ce territoire à la culture et à l’architecture particulières à la recherche de nouvelles sensations jusqu’à ce que le destin mette sur sa route Maya, 17 ans, une jeune fille cultivée et avide de connaissances à qui la talentueuse Aarshi Banerjee (dont c’est le tout premier rôle) prête sa profondeur et sa luminosité. Sa grâce et l’amour qu’elle lui porte ramènent peu à peu Gabriel à la vie. Roman Kolinka, acteur fétiche de la réalisatrice (c’est leur troisième collaboration), solide colonne vertébrale du film, met au service de ce jeune homme suspendu entre rêve et réalité, aux silences éloquents et aux actions imprévisibles, toute la diversité de son jeu, à mi-chemin entre pudeur et gravité.
Au delà du voyage romanesque aux confins d’une région du monde explorée sous son meilleur aspect, l’approche d’une personnalité masculine aux contours rarement si subtilement nuancés confère une originalité inattendue à cet élan de vie indestructible.