Mauvais chemin - La chronique BD

Le Frankenstein de Mary Shelley a tout de l’œuvre immortelle. On n’a pas fini d’admirer la nature allégorique et la signification profonde d’un des plus grands mythes de la littérature fantastique. On ne compte plus les avatars et les suites qu’il a suscités, La fiancée de Frankenstein de James Whale n’est pas le moindre. C’est de cette suite que Jason s’est inspiré pour donner, à son tour, sa vision du mythe. Pour l’auteur norvégien, chantre de la BD minimaliste, le vrai thème semble avant tout celui, sentimental, de la solitude et de la recherche de l’être aimé plus que celui de la place de Dieu et des hommes.

Son Mauvais chemin est l’énième variation d’une histoire certes très connue, mais qui n’aura sans doute jamais été traitée d’une manière si anti-spectaculaire. L’art de Jason tient de l’orfèvrerie plus que du feu d’artifice. Pas de place chez lui pour une mise en scène cinématographique (ou alors c’est aux origines du cinéma qu’il faut revenir), pas de place pour des dialogues surabondants ou de la sentimentalité poussée. Dans une histoire de Jason, tout est dans la litote, dans les sentiments que le lecteur projettera sur ces personnages taciturnes et inexpressifs. Les ellipses, aussi évidentes que subtiles, ramènent la bande dessinée à son squelette primordial. Une suite de cases de Jason procure toujours son effet. Chaque image semble si désuète, mais leur succession a tant à offrir !

On admirera également dans cet album la manière, quelque peu déroutante au premier abord, dont il marie les lignes narratives de manière distordue, présentant, par exemple, comme simultanées une discussion de café entre deux personnages amorphes et une multitude d’actions rappelant les poursuites du cinéma muet.

Les amateurs de Jason sont déjà conquis. Les autres rétorqueront que Jason n’est pas Marini. Sans doute ont-ils raison, ce n’est pas dans son trait que Jason est virtuose, mais sans doute ont-ils également tort de passer à côté de la finesse d’un des auteurs les plus originaux de sa génération qui, s’il ne nous livre pas ici son œuvre la plus aboutie (notre préférence reste pour le magistral Attends..., édité également chez Atrabile), continue de nous étonner.