Le 21 septembre 2021
Jamais l’art vivant n’a aussi bien porté son nom que dans ce film pourtant profondément morbide. Ce paradoxe, Jim Carrey l’incarne avec une force qui doit autant à son propre talent qu’à celui d’Andy Kaufman, que Milos Forman s’évertue à ne pas comprendre. Un pari atypique pour un film qui l’est tout autant.
- Réalisateur : Miloš Forman
- Acteurs : Jim Carrey, Danny DeVito, Paul Giamatti, Christopher Lloyd, Reiko Aylesworth, Courtney Love
- Genre : Comédie dramatique
- Nationalité : Américain
- Distributeur : Warner Bros. France, Carlotta Films
- Durée : 1h57mn
- Date télé : 20 août 2023 22:50
- Chaîne : TCM Cinéma
- Reprise: 13 septembre 2017
- Box-office : 186.626 entrées
- Date de sortie : 15 mars 2000
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Résumé : La carrière du comique américain Andy Kaufman, mort en 1984 d’un cancer du poumon. Né à New York en 1949, il débute dans de nombreux cabarets avant de se faire remarquer à la télévision dans la célèbre émission "Saturday Night Live". Il est une des vedettes de la série "Taxi" puis provoque les réactions les plus diverses en montant des spectacles originaux, notamment au Carnegie Hall de New York.
Critique : Dans les vingt-cinq années qui ont suivi Lenny de Bob Fosse, personne ne s’est frotté à l’exercice du biopic consacré à un comique tant il semblait ne devoir aboutir que une simple réappropriation de sketchs. Or, Andy Kaufman s’est toujours défendu de cette étiquette de "comique". Peut-être est-ce là ce qui a convaincu Milos Forman de s’affairer à raconter le parcours de ce trublion qui n’était jusque-là connu que d’une frange limitée du public américain. C’est plus vraisemblablement le mystère autour de ce personnage controversé qui a intéressé le réalisateur de Ragtime, puisqu’il lui permit d’explorer le lien abscons pouvant exister entre trois notions qu’il avait précédemment placées au cœur de l’un de ses films : Le génie créatif (dans Amadeus), la provocation de mauvais goût (Larry Flint) et la folie (Vol au-dessus d’un nid de coucou).
- © 1999 UNIVERSAL STUDIOS. Tous droits réservés.
Dès l’ouverture du film, qui s’amuse à exploser le quatrième mur pour prendre à parti le spectateur et lui faire croire que le film est déjà fini, tout l’esprit de Kaufman est ressuscité, offrant ainsi un aperçu sur le délicat défi que s’est lancé Forman. Plutôt qu’un banal biopic, suivant des codes didactiques et linéaires, Man on The Moon fait la promesse de ne jamais répondre aux nombreuses questions autour de son personnage principal. Le flou entre le vrai et le faux dans les performances de ce spécialiste de l’imposture se devait ainsi d’être conservé, et le jeu de champs-contrechamps auquel s’évertue Forman nous fait parfaitement partager le ressenti de ce public dans une situation inconfortable dans lequel le performeur aimait tant le mettre.
- © 1999 UNIVERSAL STUDIOS. Tous droits réservés.
Le parti pris, afin de ne jamais trancher sur la part de vérité dans le comportement toujours ambivalent de Kaufman lors ses prestations, est justement de minimiser au possible la part du biopic accordée à ce qui se passe en dehors de ces shows. Milos Forman se calque en cela sur la façon qu’avait Kaufman d’accaparer un format prédéfini pour mieux le détourner. C’est ainsi que son enfance est survolée, juste assez pour faire naître un doute sur une éventuelle aliénation mentale et que, de la même façon, les rares scènes consacrées à sa vie privée laissent une incertitude permanente sur la sincérité de ses sentiments, en particulier vis-de-vis de sa fiancée. C’est cette ambiguïté flottante qui toutefois freine la pleine sympathie envers cet homme asocial ne semblant ne rien respecter. Par extension, il est également parfois difficile d’adhérer aux rires du public alors que l’individu face à lui apparaît comme un marginal, voire même un attardé, purement pathétique.
Le film de Milos Forman est donc majoritairement composé d’un travail de reproduction mimétique des prestations sur scène ou lors des émissions télévisées de Kaufman incarné par Jim Carrey. Qui d’autre que le plus célèbre des humoristes et transformistes de sa génération pouvait rendre honneur aux différents sketchs de Kaufman ? Aucun doute, si la reconstitution cinématographique des outrances du personnage a permis de faire renaître sa notoriété jusque dans des terres où il était jusque-là inconnu, c’est grâce à celle de Jim Carrey. C’est son propre talent de transformiste qui lui permet d’adopter le look atypique de Kaufman et d’assurer le caractère désopilant de chacune de ses extravagances, que celles-ci se prêtent ou non au rire, alimentant alors un peu plus le doute sur les véritables intentions de Kaufman.
Même si la mécanique peut par moments sembler redondante, le scénario ne se constitue pas uniquement d’une succession de recyclages d’images préalablement mise en boîte sur petit écran. L’outil astucieusement utilisé par les auteurs pour éviter de tomber dans cet écueil est la place importante donnée au personnage de son manager, George Shapiro, incarné par Dany DeVito (notons que Shapiro – le vrai – fait une apparition clin d’œil dans le rôle d’un directeur de cabaret). Le travail fait par cet homme, qui fut le premier à croire en Kaufman, pour lui offrir une visibilité et essayer de calmer ses ardeurs à la demande des producteurs, pose les galons de la question plus profonde que s’évertue à poser le film : le show-business n’a-t-il pas pour principal effet d’étouffer le talent des stars qu’il se créé ?
Davantage que le bien-fondé du génie comique d’Andy Kaufman, c’est donc notre position de spectateurs, et notre besoin insatiable de nous trouver des divertissements aptes à se répéter sans nous bousculer, que le film interroge. Le cas de Kaufman face au public américain des années 70 a donc été choisi car il est sans conteste celui qui illustre au mieux le malaise de voir la volonté avec laquelle une star peut refuser de se prêter au jeu des attentes du public et fuir l’étiquette qui lui colle à la peau. C’est aussi dans cette dimension méta-filmique que Jim Carrey semble ne faire qu’un avec son rôle, celui-ci livrant, un an après The Truman Show où il figurait déjà la profonde solitude de son personnage, une prestation à fleur de peau lui permettant d’acquérir une crédibilité d’acteur au-delà des seules comédies loufoques et immatures qui le firent connaitre.
A moins que les fausses funérailles d’Andy Kaufman n’aient justement été son seul moyen d’y parvenir (une théorie populaire alimentée par le film dans son final qui est aussi sa seule véritable prise de risque), il est certain que son public n’était pas prêt à le prendre au sérieux... et ce n’est certainement pas la suite en dents de scie de la carrière de Jim Carrey qui nous convaincra que le public a tant évolué que ça. Le caractère mortifère de la gloire reste donc un drame d’actualité, mais ne boudons notre plaisir : the show must go on !
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