Dépressif chronique s’abstenir
Le 12 novembre 2003
L’anti-héros devient un héros à part entière. Surtout sous la plume de Pierre Mérot qui retrace la vie d’un type né à Paris il y a une quarantaine d’années. Méchamment drôle son récit fustige en filigrane la société contemporaine.
- Auteur : Pierre Mérot
- Editeur : Flammarion
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"Chaque famille classique se doit d’avoir un raté : une famille sans raté n’est pas vraiment une famille, car il lui manque un principe qui la conteste et lui donne sa légitimité." Ne cherchez pas dans vos recueils de citations, je vais vous le dire. C’est du Mérot. Pierre Mérot est jeune, son livre est original et sa littérature, moderne. C’est pas moi qui le dis, c’est le prix de Flore qu’il a reçu la semaine dernière qui l’atteste. Ce prix littéraire récompense une œuvre qui "allie jeunesse, originalité et modernité". Cette année, un prix n’aura pas dérogé à son éthique. Parce que c’est vrai que Mammifères est original et moderne. Pierre Mérot éclaire le monde sous une lumière glauque. Houellebecq aurait été son chef éclairagiste. Mais Pierre a pris de la distance par rapport à Michel. Il diffuse une lumière de bar, au milieu de la nuit, avec ses reflets sur le zinc du comptoir. L’oncle - le personnage principal du livre - est accoudé au bar. Il boit. D’autres fument un joint, se prennent une ligne de coke, avalent des LSD, l’oncle, lui, boit. A l’ancienne. Il grille aussi pas mal de cigarettes. Les pages se chargent d’alcool, les mots partent en fumée, les phrases s’envolent dans un lyrisme noir. L’atmosphère du livre nous imprègne et s’accroche à nos espoirs.
L’oncle a exercé une dizaine de métiers. Il a connu des déceptions sentimentales et le Minitel rose, a travaillé dans un musée parisien et aux éditions Ubu, a été professeur dans un lycée du Val d’Oise. Si l’oncle avait vingt ans de moins on dirait de lui qu’il est un peu paumé ; limite loser. Mais "l’oncle a quarante ans et vit dans un studio de trente mètres carrés". L’oncle n’est pas paumé, il est lucide. Une lucidité désabusée, pessimiste, un brin cynique. Son œil acerbe dissèque les vies miséricordieuses. Il théorise sur l’alcool, les femmes, la vie de famille. L’oncle souffre d’un manque affectif évident. La crise d’angoisse le guette, il est au bord du renoncement ; bien souvent, "ses résolutions du matin s’effondrent au crépuscule comme du sable". Le tableau est sombre, très sombre. Cet oncle-là ne vient pas du tout d’Amérique.
Pierre Mérot n’est pas de ces auteurs qui prennent tout à la légère. Le temps n’est pas à l’insouciance. A la lecture de son troisième roman, des sentiments contraires se chevauchent. On aimerait passer du rire aux larmes, mais les larmes ne coulent pas. Il est trop tard pour pleurer. Car, ce que Pierre Mérot décrit dans Mammifères est proche d’une certaine réalité sociale. Il contemple ses contemporains avec une mélancolie féroce. Mérot révèle la médiocrité ambiante. Mesdames et Messieurs, les jeux sont faits, ce que vous allez lire est en train de se passer près de chez vous ! Alors, comme on ne peut pas pleurer, on rit de ce naufrage humain, de ces amours impossibles et avortées, de la foutaise enseignante. On rit parce que ce récit est drôle et méchant à la fois. Parce que l’on va bientôt comprendre que "Derrière les rires rien ne va plus. L’amour se fait et se défait comme à la Bourse. [...] Des cœurs solitaires battent en silence côte à côte, dans une colère contenue ou encore insouciante. L’éclatement est proche." On rit, et, surtout, l’on voudrait ce rire amer.
Pierre Mérot, Mammifères, Flammarion, 2003, 252 pages, 18 €
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