Le 28 juillet 2024
Passé relativement inaperçu lors de sa sortie en salle en 1986, Maine Océan est devenu, avec le temps, l’une des œuvres les plus originales du cinéma français des années 80. Rozier est un magicien du banal et ce film constitue son chef-d’œuvre.


- Réalisateur : Jacques Rozier
- Acteurs : Luis Rego, Bernard Menez, Yves Afonso, Mike Marshall, Rosa-Maria Gomes
- Genre : Comédie
- Nationalité : Français
- Distributeur : AAA Distribution (Acteurs Auteurs Associés), Potemkine Distribution, Les Films de l’Atalante
- Editeur vidéo : Potemkine
- Durée : 2h10mn
- Reprise: 4 septembre 2024
- Box-office : 134.955 entrées France
- Date de sortie : 16 avril 1986

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– Reprise en version restaurée : 4 septembre 2024
Résumé : Confortablement installée dans un compartiment de première classe de l’express Maine Ocean, Dejanira somnole. Le contrôleur survient et tente de lui expliquer qu’elle est en infraction, mais Dejanira ne comprend pas ce qu’on lui demande malgré l’intervention d’un second contrôleur. Mimi De Saint Marc, une passagère, avocate de métier, se rendant à Angers pour défendre un de ses clients, prend fait et cause pour Dejanira.
Critique : Auteur d’une œuvre aussi singulière que sporadique, Jacques Rozier est peut-être le plus méconnu des auteurs de la Nouvelle Vague. Mais certainement pas le moins libre. Depuis son premier long-métrage, Adieu Philippine, sorti avec difficulté au début des années 60, Rozier filme hors des sentiers battus, privilégiant des conditions de tournage qui confinent parfois à l’improvisation. Ses œuvres, très peu vues par le grand public, évoquent des tangentes, auxquelles des personnages souvent astreints à des vies passablement réglées, cèdent volontiers : dans la première œuvre du réalisateur, le jeune machiniste Michel s’enfuyait déjà avec deux charmantes femmes, fortuitement rencontrées, avant de rejoindre le contingent des jeunes français requis par le front algérien.
Tourné en 1974, Les naufragés de l’île de la Tortue reprenait le même principe : le personnage investi par Pierre Richard trouvait un moyen de quitter son bureau en organisant une pittoresque excursion sur une île dénuée de tout confort. Quelque dix ans plus tard, Maine Océan ne déroge pas à cette règle : deux contrôleurs d’un train Corail quittent leurs costumes étriqués pour folâtrer avec une avocate délurée, une danseuse brésilienne et un marin impulsif, lésé par une affaire de justice. La caméra languide de Rozier s’attarde sur la douce errance de ces personnages qui agissent le plus souvent de manière décalée : ainsi, dans une mémorable scène de procès, le navigateur Marcel Petitgas, que son accent vendéen dessert, se trouve défendu par la pétulante Mimi de Saint-Marc dont la plaidoirie vire à la démonstration didactique sur les registres de langue. Plus tôt dans le film, le contrôleur Le Guellec (Bernard Ménez dans le rôle de sa vie) répond en anglais à cette même avocate, pourtant native du pays gaulois. Chez Rozier, on se comprend même si on ne parle pas la même langue : la remarque vaut à la fois pour Petitgas, finalement réconcilié avec les deux agents de la SNCF qu’il voulait molester ou pour la sculpturale Dejanira -la jeune brésilienne- nullement ostracisée par sa méconnaissance du français.
Rarement un cinéaste aura célébré de manière aussi démocratique le bonheur d’être ensemble. C’est sans doute pour cette raison que les plans-séquences s’attardent sur des scènes joyeuses -une partie de cartes rigolarde entre pêcheurs, une samba dansée à plusieurs, un dialogue à trois dans le café d’une gare déserte-. Le retour sur terre, dans tous les sens du terme, n’en est que plus émouvant : accompagné par des pêcheurs accortes, le contrôleur Gallec, saisi par un splendide travelling, n’en finit pas de franchir une désertique étendue sableuse, comme s’il fallait, par son truchement, prolonger le fantasme d’un ailleurs, auquel cette œuvre unique offre le plus beau des écrins.
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