Le 16 août 2023
- Réalisateur : Mai Zetterling
- Distributeur : Carlotta Films
- Plus d'informations : Le site du distributeur
Le distributeur Carlotta propose une rétrospective "Mai Zetterling, le cinéma suédois au féminin". Analyse de deux films de cette réalisatrice majeure, trop méconnue.
Analyse : Il y a quelque chose qui relève de la monstration dans le cinéma de Mai Zetterling, quelque chose de puissamment visuel, qui se rapproche du monstre (de monstrare : montrer), que l’on expose aux regards, que l’on exhibe, afin de critiquer, d’interpeller. Ses héroïnes aspirent à la liberté, à la prise de parole, dénoncent les failles de la société et surtout le patriarcat, au sein d’images qui flirtent avec la comédie, le burlesque, la satire, pour finalement trouver refuge dans le carnaval : jeu de masques éminemment politique.
- Harriet Andersson, Bibi Andersson et Gunnel Lindblom dans "Les filles"
- © 1968 SANDREW FILM & TEATER AB. TOUS DROITS RÉSERVÉS.
Dans Les filles (1968), une bande de trois actrices (Liz – Bibi Andersson ; Marianne – Harriet Andersson ; et Gunilla – Gunnel Lindblom, comme échappées de chez Bergman) part en tournée pour jouer Lysistrata, d’Aristophane. La pièce retrace l’histoire de femmes refusant de se donner à leur mari jusqu’à ce que cesse la guerre. Dès la première scène de répétition, le théâtre et la fiction viennent infuser la vie quotidienne : l’une d’elles doit interpréter la colère, et l’inspiration est directement puisée dans un souvenir personnel - une dispute avec son mari. C’est par le son, puis par l’image, et le montage parallèle, que les répliques d’Aristophane trouvent un écho dans l’existence des trois comédiennes, parfois de manière antinomique : alors que dans la pièce, le serment de ne plus jamais donner son corps aux hommes est prononcé, nous voyons à l’écran Marianne courir dans un paysage enneigé, poursuivie par un homme qui ne rêve que de l’embrasser.
Mais la scène s’invite encore dans le présent des actrices par des jeux de mise en scène ingénieux : il y a bien sûr de nombreux sur-cadrages, qui témoignent autant de l’influence du théâtre sur les protagonistes, que de leur enfermement et de leur impossibilité à faire changer les choses. Liz s’y confronte cruellement quand à la fin de la représentation, elle entame un dialogue avec le public – dialogue qui se métamorphose en monologue, puisque les spectateurs ne prennent pas part au débat. Elle se heurte donc à la dure réalité, brise le quatrième mur en espérant provoquer, questionner, engager un mouvement de l’esprit, mais échoue. Suite à cet insuccès qui pose de nombreuses questions (l’art a t-il un impact politique ?), la mise en abyme infuse l’image : dans une séquence où Liz et son mari déambulent dans les différentes pièces aménagées d’un magasin de lits, chacune est filmée comme s’il s’agissait d’une scène, les murs encadrant le cadre comme des rideaux. Les séparations et les différents univers se trouvent liés entre eux par un mouvement de caméra fluide : le couple joue, s’installe sur le lit, presque prêt à faire l’amour, et les vendeurs deviennent public, se mettent à applaudir.
Plus tard dans le film, alors que la prise de pouvoir par les femmes commence à sérieusement inquiéter les hommes, a lieu l’enterrement imaginaire de Liz, où la gente masculine célèbre le décès de la jeune femme en riant à gorge déployée. Se met en place une séquence au comique burlesque qui vient s’opposer au comique satirique de la pièce d’Aristophane. Ce sont deux registres différents qui soulignent le combat opposé de chacun dans cette bataille des sexes. La comédie en vient à se déguiser et se transforme en cirque : les femmes, toutes réunies à l’extérieur, prennent la parole à tour de rôle, sont en désaccord. Une bagarre éclate : on s’arrache les cheveux, on crie, on devient presque fou. Cette violence soudaine vient souligner l’un des plus grands risques de la démocratie : l’incompréhension et la discorde au sein d’un même parti, qui ne peut plus être résolu que par le corps et entraîne la guerre. L’image se tord, devient floue, kaléidoscopique, et l’on plonge dans le carnaval.
- Stina Ekblad dans "Amorosa"
- © 1986 SANDREW FILM & TEATER AB. TOUS DROITS RÉSERVÉS.
Carnaval repris au début d’Amorosa, où des barques remplies de personnes au visage masqué, voguent sur l’eau calme de Venise, dans l’incandescence du soleil couchant. Agnes von Krusensjterna (magnifique et hypnotique Stina Ekblad), écrivaine sujette à des crises schizophréniques, est emmenée à l’hôpital psychiatriques aux côtés de David Sprengel (qui n’est pas encore son époux). Son état de folie, d’angoisse, et de délire passe quasiment inaperçu au sein de l’ambiance festive, et les Vénitiens costumés qui naviguent devant elle reflètent ses peurs les plus intimes : la mort. Les plans semblent épouser sa vision interne, sont capturés d’un point de vue subjectif. Plus tard, alors que la crise s’est atténuée, elle embarque à bord d’une pirogue, accompagnée de Sprengel : le mouvement lent de l’eau, du bateau qui avance, au sein d’un travelling, et la verbalisation de ses pensées, font penser à un mouvement imageant son propre cheminement intérieur : elle raconte qu’elle aimerait écrire sur sa famille, replonger dans la confusion des liens de parentalité, dans le milieu dans lequel elle a grandi : l’aristocratie. Le reste du film n’est qu’une critique de ce monde où Agnes ne se sent pas à sa place, est en décalage.
Tout dans les décors, les teintes pastel, les costumes, annonce une esthétique romantique, plongeant le spectateur dans des compositions qui relèvent de l’impressionnisme, fonctionnant par touches de couleurs et jeux de lumières. La séquence du mariage, qui réunit sa famille entière, montre le ridicule, présentant des personnages grossiers (la dame obèse qui s’empiffre, son frère qui intervient et s’impose dans chacune de ses discussions, ou les tentatives des hommes pour séduire les femmes qui les entourent). Nous nous retrouvons en face d’une fête qui vire au burlesque, manière subtile de critiquer, tout en se moquant, adoptant le point de vue de la protagoniste, détaché, presque extérieur.
L’introspection se lit encore dans les nombreuses mise en abyme, permises par les jeux de reflets. Alors que ses parents lui parlent de mariage, Agnes, assise devant son miroir, répond qu’elle ne peut plus vivre avec eux, qu’il faut qu’elle écrive, qu’elle découvre le monde, l’amour et l’érotisme. Elle ne se retourne pas et parle face à sa propre silhouette de manière à s’adresser à eux, tout en se regardant : image qui vient souligner le fait qu’elle se convainc peut-être et surtout elle-même. Cette recherche de sensualité s’exprime lorsque Gherald lui fait sa demande. Elle est tout contre lui, cherche à l’embrasser, à poser ses mains sur son corps, quand il lui parle d’avenir, de fonder une famille et d’avoir une maison. Il y a d’un côté le bon sens aristocratique, qui se penche à échafauder des plans de vie, et de l’autre la spontanéité organique d’Agnes, son besoin charnel qu’il faudrait assouvir urgemment. Est-ce pour cela qu’elle est considérée comme folle par les membres de sa famille ? Qu’elle écrit des romans si passionnés ? Toujours est-il que malgré ses efforts, sa demande de liberté, Agnes ne parvient pas à couper les ponts avec sa famille, si invasive, prenant toute la place dans sa tête. Elle écrit des autobiographies, où ses parents possèdent un rôle central. Dans ses accès de folie, elle ne voit rien d’autre qu’eux : déguisés, masqués, venus pour la terroriser, la hanter, et le motif du carnaval prend dès lors une allure cauchemardesque, démoniaque, d’où, comme dans un mauvais rêve et malgré ses cris, Agnes ne peut s’échapper.
Ces deux films de Mai Zetterling résonnent comme des pamphlets féministes, engagés, aux images puissamment symboliques, qui flirtent avec le poétique, et deviennent politiques.
Mai Zetterling, le cinéma suédois au féminin, à partir du 9 août 2023 au cinéma : "Amorosa", (1986), "Les amoureux" (1964), "Les filles", (1968), "Jeux de nuit", (1966). Distributeur : Carlotta.
Galerie Photos
aVoir-aLire.com, dont le contenu est produit bénévolement par une association culturelle à but non lucratif, respecte les droits d’auteur et s’est toujours engagé à être rigoureux sur ce point, dans le respect du travail des artistes que nous cherchons à valoriser. Les photos sont utilisées à des fins illustratives et non dans un but d’exploitation commerciale. Après plusieurs décennies d’existence, des dizaines de milliers d’articles, et une évolution de notre équipe de rédacteurs, mais aussi des droits sur certains clichés repris sur notre plateforme, nous comptons sur la bienveillance et vigilance de chaque lecteur - anonyme, distributeur, attaché de presse, artiste, photographe. Ayez la gentillesse de contacter Frédéric Michel, rédacteur en chef, si certaines photographies ne sont pas ou ne sont plus utilisables, si les crédits doivent être modifiés ou ajoutés. Nous nous engageons à retirer toutes photos litigieuses. Merci pour votre compréhension.