Mademoiselle Julie - la critique du film

Liv Ullmann signe une œuvre d’un classicisme gênant, dont les acteurs tentent désespérément de sortir la tête haute, gênés par une mise en scène quasi-inexistante.

L’argument : 1890, Irlande. Tandis que tout le monde célèbre la nuit des feux de la Saint Jean, Mademoiselle Julie et John, le valet de son père, se charment, se jaugent et se manipulent sous les yeux de Kathleen, la cuisinière du baron, jeune fiancée de John. Ce dernier convoite depuis de nombreuses années la comtesse voyant en elle un moyen de monter dans l’échelle sociale.

Notre avis : Passer du 6e au 7e art est-il vraiment un exercice si périlleux ? Oui, à en croire le dernier film de Liv Ullmann, qui s’inspire de la pièce de théâtre Fröken Julie, écrite par l’auteur suédois August Strindberg en 1888. Faisant partie des œuvres les plus jouées au monde sur les planches, ce drame nous plonge dans un triangle amoureux formé par une jeune femme fantasque, riche et malheureuse, le valet de son père qui cherche à sortir de sa condition et sa fiancée, domestique au domaine. Ce trio et le huis clos au cours duquel ils vont s’aimer, se détester et se déchirer se met ici en place dans l’Irlande catholique de la fin du XIXe siècle, la réalisatrice ayant décidé de faire peser le poids de conventions extérieures au cœur d’un décor intérieur dont ses personnages semblent prisonniers. {{© Pretty Pictures}}Mais en faisant le choix de conserver dans son (très) long-métrage la célèbre règle théâtrale des trois unités, Liv Ullmann a cassé le rythme de son scénario dès le départ, car l’adaptation au cinéma de ce texte classique dont la prose ne cesse d’émerveiller le spectateur méritait bien une mise en scène plus audacieuse. Sa caméra, bien trop stoïque, ne fait qu’assister au drame qu’elle filme au lieu de le suivre et de permettre un regard différent sur la complexité des personnages. En faisant peser tout le poids de l’intrigue sur le trio d’acteurs, qui manque cruellement de direction, la cinéaste perd aussi bien son équipe que le public. Car face au flot de paroles qui sortent de la bouche de trois acteurs merveilleux, qui portent à bout de bras un drame pourtant puissant, l’ennui pointe rapidement le bout de son nez tant la mise en scène est pauvre. {{© Pretty Pictures}}Seule originalité de l’ensemble : les références que Liv Ullmann introduit de manière subtile. L’oreille musicale reconnaîtra des œuvres classiques indémodables telles que les Nocturnes de Schubert, alors que l’œil avisé aura reconnu forcément la référence à l’œuvre La Mort d’Ophélie, du peintre préraphaélite John Millais. Certes, la poésie est là, les décors sont magnifiques, notamment les rares scènes d’extérieur, et la photographie offre une image charmante et toute en contraste, qui met notamment en lumière toute la richesse de Julie (lumineuse Jessica Chastain) face à la pauvreté de la cuisinière Kathleen (épatante Samantha Morton). Alors que la première actrice montre les nuances impressionnantes de son jeu, la seconde se dévoile en faisant de la domestique bien plus qu’un simple second rôle. {{© Pretty Pictures}}Entre ces deux femmes qui cherchent à l’accaparer, Colin Farrell est d’une grande élégance et offre une composition saisissante, là où le personnage de la pièce est juste un macho brutal et frustre. L’acteur offre ici l’une de ses plus belles interprétations, aussi bien habitée qu’inspirée.
Quel dommage, vraiment, que la caméra reste trop statique, ne cherchant aucunement à épouser les mouvements des acteurs. C’est tout à leur honneur de réussir trois prestations aussi remarquables en étant si peu aidés. Quant au public, il se retrouve aussi perdu qu’eux entre cinéma et théâtre, en étant amené à admirer leur diction ; remarquer ce genre de détails est bien le signe qu’entre grand écran et grande scène, la cinéaste aurait du faire un choix plus explicite. {{© Pretty Pictures}}Car la conclusion, au bout de 2h13 de film qui paraissent interminables, est de se demander si la pièce originale n’aurait pas dû tomber entre les mains d’un metteur en scène qui, comme Alf Sjöberg avec sa Palme d’or de 1951, a compris que toute adaptation implique une trahison. Mademoiselle Julie n’aurait-elle pas pu traîner son mal-être ailleurs que sur grand écran ? Il faut croire que oui, même s’il s’agit ici davantage d’une faiblesse au niveau de l’adaptation que de l’histoire racontée. De ce drame pourtant poignant, qui ferait la joie des psychanalystes, ne reste que l’idée que des acteurs, aussi formidables soient-ils, ne peuvent malheureusement pas sauver un film qui n’a pas les moyens de ses ambitions.