Une femme pressée
Le 21 décembre 2022
En collant aux basques d’une femme de ménage sans-logis, interprétée par une comédienne bluffante, Cyril Mennegun évite quasiment tous les pièges du misérabilisme et dévoile un vrai talent de cinéaste. Vivement le prochain.
- Réalisateur : Cyril Mennegun
- Acteurs : Frédéric Gorny, Marie Kremer, Jérôme Kircher, Jean-Marc Roulot, Maud Wyler, Corinne Masiero, Anne Benoît, Teïlo Azaïs, Julien Alluguette
- Genre : Drame
- Nationalité : Français
- Distributeur : Haut et Court
- Durée : 1h20mn
- Date de sortie : 4 janvier 2012
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Résumé : Après une séparation douloureuse, Louise Wimmer a laissé sa vie d’avant loin derrière elle. À la veille de ses cinquante ans, elle vit dans sa voiture et a pour seul but de trouver un appartement et repartir de zéro. Armée de sa voiture et de la voix de Nina Simone, elle veut tout faire pour reconquérir sa vie.
- © 2012 Zadig Films. Tous droits réservés.
Critique : Dans les mélodrames, surtout quand ils se piquent d’une dimension "sociale", les personnages ne pleurent jamais dès l’ouverture. Il faut attendre quelques scènes, le temps que les tuiles s’accumulent et que la combativité s’émousse, pour que le héros craque et lâche sa première larme, quand ce ne sont pas des torrents. Louise Wimmer n’est pas un mélodrame (quoique), mais suit les traces de son héroïne déclassée avec une empathie certaine. Son personnage, déchirant l’obscurité avec les pleins phares de sa voiture, on le voit pleurer dès les premières minutes du film, hors champ, dans le reflet du rétroviseur. Malgré les apparences, on peut y déceler une manière (pas plus bête qu’une autre) d’évacuer le pathos d’entrée de jeu, de lui faire un sort. Certes, Louise versera d’autres larmes au cours du long-métrage, mais elles se feront rares : la plupart du temps, elle leur oppose une rage froide, une détermination sans fards et sans pitié.
Bientôt quinquagénaire. Louise Wimmer est femme de ménage à mi-temps et dort dans sa voiture, faute d’argent pour se payer un loyer d’appartement, fâchée avec l’assistante sociale chargée de lui en trouver un. Sans passé (sinon un mariage raté et une fille absente) et apparemment sans avenir, elle navigue entre petits boulots et petites combines (vendre ses meubles, fréquenter un bar qui lui fait crédit, chourer un peu d’argent ici ou là), n’arrête jamais de se battre contre la précarité qui l’assaille. Bref, elle brûle la chandelle par les deux bouts, mais une chandelle de plus en réduite et qui menace à tout moment de s’éteindre. Avec un tel argument, et alors que s’ouvre une année éminemment présidentielle, le film de Cyril Mennegun tombe à pic et pourra faire l’objet de toutes les récupérations possibles et imaginables. Pourtant, la portée politique de son sujet n’intéresse pas tant le réalisateur, ni le spectateur d’ailleurs. Il y a bien quelques facilités, un ou deux personnages sur-esquissés jusqu’à la caricature (le patron méprisant de l’hôtel, la méchante assistante sociale contre la gentille assistante sociale...), mais pour le reste, il ne sera fait aucune allusion grossière à nos temps de crise ou de sarkozie aiguë. C’est d’abord parce que le réalisateur, venant du documentaire, ne reproduit jamais des intentions ou des codes télévisuels : on est bien ici au cinéma, impossible de se leurrer.
- © 2012 Zadig Films. Tous droits réservés.
En se lançant dans le cinéma de fiction, Mennegun trouve un équilibre assez admirable entre l’âpreté du fond et la (relative) joliesse de la forme. Sans jamais tomber dans une esthétisation de la misère, le cinéaste compose des cadres précis pour mieux cerner son personnage-phare, explorer son quotidien sous toutes ses coutures (se lever, se brosser les dents, prendre une douche de temps en temps, louvoyer entre les emmerdes...). Mouvements soignés, photographie toute en nuances, utilisation heureuse de la profondeur de champ : une belle palette qui n’amène pas forcément Louise Wimmer vers des sommets d’écriture cinématographique, mais témoigne d’une intelligence de mise en scène entièrement au service de son histoire, loin des effets d’épate qui nuisent à beaucoup de "premières œuvres" (puisque c’en est une, de fiction du moins). Le film baigne constamment dans une sorte de tension sourde, dans la crainte qu’un nouveau pépin vienne briser la force de vie de sa protagoniste. Sa bagnole cahotante va-t-elle la lâcher pour de bon ? Les jeunes qui s’adossent à sa voiture, lorsqu’elle dort la nuit, vont elles l’apercevoir et essayer de forcer sa porte ? Va-t-elle se faire choper par les camionneurs alors qu’elle est en train de siphonner, en douce, leurs réservoirs d’essence ? Mais à l’inverse d’un "Dardenne movie", par exemple, où la situation est souvent moins grave au départ qu’à l’arrivée (même si leurs choix scénaristiques n’en sont pas moins louables), Louise Wimmer préfère la jouer sobre, ne se sentant pas obligé de charger la barque de problèmes supplémentaires, comme si la précarité effective du personnage se suffisait à elle-même.
Sans faire de détours, Mennegun s’attache plutôt à sa Louise indéfectible, absolument fasciné par la dégaine et la gestuelle de son actrice, corps à la fois banal et hors du commun (épaules carrées, visage faussement ingrat, énergie presque juvénile), que le cinéaste parvient à rendre absolument cinématographique. Sous le regard buté, sous la colère rentrée et le refus de l’amabilité hypocrite, Corinne Masiero (que l’on retrouvera aussi au casting du prochain Jacques Audiard) déploie un jeu d’une nuance étonnante qui renferme une foule de sentiments contradictoires, conditionnés par les personnes qui lui font face (seconds rôles impeccables, en particulier Jérôme Kircher et Anne Benoît). Et lorsque Louise se fait rieuse ou langoureuse, qu’elle s’abandonne à la jouissance ou à la séduction (très belles scènes d’amour ou de drague avec ses amants occasionnels), c’est toute une chape de plomb que le film semble lever enfin, pour nous faire entrevoir ce qu’aurait pu être cette femme dans une "vie meilleure". L’allusion au dernier film de Cédric Khan n’est pas anodine puisque Louise Wimmer, sorti le même jour dans les salles françaises, semble en partager les qualités. Tous deux s’inscrivent dans une même vague, peu surprenante en ce début 2012, qu’on pourrait qualifier de "bons films sociaux".
- © 2012 Zadig Films. Tous droits réservés.
C’est cet embryon de lumière, révélé ici ou là, que le scénario finit par libérer pour de bon, dans ses dernières minutes. C’est simple comme un changement de musique : pour l’illustrer, Cyril Mennegun passe des beats entêtants de Nina Simone aux mélodies plus apaisées de David McWilliams. Louise Wimmer amorce cette transition de manière un peu appuyée, il faut bien le reconnaître. Dès l’introduction, Louise écoute en boucle une version sauvage et endiablée de Sinner Man, coincée dans son autoradio ; la chanson semble alimenter l’urgence de ses (trop courtes) journées, sa fuite en avant et vers nulle part, scandées de « where you gonna run to ? ». Cercle vicieux puisque la litanie, tout en lui octroyant le courage nécessaire pour tenir, entretient également sa sinistrose. Cercle vicieux que le personnage brise enfin lors d’un instant de danse-transe mémorable (quoiqu’il sente un peu trop le souci de la grande scène) qui précède exactement son "sauvetage", au moyen d’un rebondissement que l’on taira. Et tandis que le film débouche sur un final gorgé de soleil, Sinner Man cède alors sa place à la mélancolie douce de Days of Pearly Spencer, dont les paroles, chargées de sens multiples, semblent raconter l’histoire même de Louise.
En donnant une issue heureuse à son récit, Cyril Mennegun menace de tomber dans une émotion un peu facile, celle-là même qu’il avait su éviter jusqu’ici. Mais le réalisateur a le bon goût de s’arrêter à temps, en points de suspension : sur le seuil du mielleux, il demeure fidèle à la belle sècheresse de son récit (le film ne dure qu’1h20). Car il ne faut pas s’y méprendre. Sans mauvais jeux de mots, ce dénouement n’a rien d’un happy-end du pauvre (on n’est pas dans Intouchables) : comme celui du Gamin au vélo, le beau dernier film des frères Dardenne (encore eux), il sonne plutôt comme une accalmie amplement méritée pour ses personnages combatifs. Même si leurs ennuis ne sont sans doute pas terminés, le jeune Cyril (Thomas Doret) et la femme mûre Louise (Corinne Masiero) s’arrachent progressivement de leur fatalité, en douceur. Et c’est beau à voir.
– Grand prix et Prix de la mise en scène au Festival International du film de Marrakech 2011
- © Haut et Court
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