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Le 20 septembre 2006


Minutieusement forgés par Huston et comme cueillis au moment où leur univers se lézarde, les récits de quatre générations d’enfants.
Minutieusement forgés par Huston et comme cueillis au moment où leur univers se lézarde, les récits de quatre générations d’enfants.
Avec cet âpre chant pour quatre voix, Nancy Huston nous donne à entendre les résonances du monde telles qu’elles sont perçues dans la petite enfance. Chacun des personnages s’y fait l’écho de son époque, chacun y joue sa note toujours vibrante et grave. Aucun n’y est léger ni même innocent. Comme si l’auteur ne pouvait concevoir une enfance qui ne serait pas abîmée, ses propres failles l’ayant condamnée à dire encore et toujours l’innocence trahie, la légèreté écrabouillée.
On sait en effet quelle blessure Nancy Huston affronte livre après livre, la prenant tantôt à bras le corps, avec une sorte de rage, la parant tantôt d’une dimension quasi mythique, ou encore, comme ici, la transcendant en l’enchâssant tel un diamant noir dans la Grande Histoire. Nancy Huston est une abandonnée. On ne guérit pas de cela, mais on peut y puiser un nombre infini d’histoires ; transformer le vide en un plein de vies. Et partager ainsi la douleur de croire qu’on n’a pas été assez aimable pour garder sa mère auprès de soi.
Dans Lignes de faille, les mères sont toutefois plus ou moins présentes physiquement. Voire moralement. C’est le cas de la maman de Sol, le premier enfant du livre, petit Américain de six ans obsédé de pureté, engrossé de son temps et de son pays. Parce qu’il appartient à une nation excessive en tout, parce qu’il navigue sans limite sur la toile et y avale ce qu’il trouve, il se prend pour Dieu, se croit invulnérable, flotte dans un leurre de toute puissance au point de ne plus avoir conscience de ce qui le blesse. Seuls des cauchemars crus et la souffrance physique sauront le ramener au réel. Et sa mère pourtant là et bien là, pourtant aimante, n’aura rien vu des errances de son fils.
L’enfant suivant est Randall, le père de Sol. C’est un enfant plutôt "normal" et heureux. Presque insouciant mais chez Huston cela n’a qu’un temps. A travers lui se déploieront d’autres situations violentes et complexes, tant dans la sphère familiale que politique. On croisera, entre autres, une mère trop prise par sa propre quête, trop en conflit avec elle-même aussi pour savoir se donner pleinement aux siens. On verra la première guerre du Liban et cela pèsera d’autant plus au lecteur qu’une deuxième, entre-temps, est venue livrer son lot d’horreurs et que rien, dans cette région, n’est apaisé.
Vient ensuite Sadie, la maman de Randall, captive du monde sec et aseptisé de ses grands-parents canadiens qui l’élèvent avec l’air de se forcer, captive de l’absence de sa mère fantasque et adulée, captive surtout des règles qu’elle s’impose avec tout son sérieux d’enfant, un rituel secret pour que sa mère lui soit rendue. Autour d’eux, des conflits encore, et des parcelles de cette liberté folle des années 60.
Enfin c’est au tour de Kristina, alias Klarysa, alias Erra, alias AGM et mère de Sadie, de saisir, dans les prémices de son chant sans paroles, le récit au vol. Et de nous conduire là où tout s’est noué, là où tout a commencé et fini, et commencé.
Nancy Huston, Lignes de faille, Actes Sud, coll. "Un endroit où aller", 481 pages, 2006, 21,60 €