Le 24 mars 2015
Une marche funèbre dont la sobriété même fait la force ; un témoignage poignant, insoutenable, révoltant, et nécessaire.
- Réalisateurs : Hélène Crouzillat - Laetitia Tura
- Genre : Documentaire
- Nationalité : Français
- Durée : 1h10mn
- Date de sortie : 8 avril 2015
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Une marche funèbre dont la sobriété même fait la force ; un témoignage poignant, insoutenable, révoltant, et nécessaire.
L’argument : Du Sahara à Melilla, des témoins racontent la façon dont ils ont frôlé la mort, qui a emporté leurs compagnons de route, migrants littéralement et symboliquement engloutis dans la frontière. « Ils sont où tous les gens partis et jamais arrivés ? » Les Messagers se poste sur la frêle limite qui sépare les migrants vivants des migrants morts. Cette focalisation sur les morts sans sépulture interroge la part fantôme de l’Europe.
Notre avis : Les Messagers est construit très rigoureusement, dans un crescendo horrifique qui laisse le spectateur au bord des larmes. Un monologue désespéré, des témoignages de gens qui récupèrent des cadavres, la lente et froide explication d’un garde civil espagnol, tout ce début, sobre et comme murmuré, aboutit, vers le milieu du film, à la vision de la fameuse « barrière » qui contient les migrants et dont on nous dit qu’elle « ne sert à rien ». Puis vient l’horreur : des survivants témoignent et, avec des mots simples, avec parfois des difficultés à parler tant leurs souvenirs les hantent, ils disent l’insoutenable ; la mort de leurs compagnons de misère, les meurtres cyniques, le sadisme du côté marocain comme du côté espagnol. De manière dérisoire, un homme explique que la frontière n’existe pas vraiment, qu’elle est floue et arbitraire. Mais au nom de ce flou, on assassine. Et les autorités considèrent sans l’avouer que ces morts constituent un « message dissuasif ».
© L. Tura
Ces récits terrifiants et dignes sont ponctués de réflexions fortes qui ne peuvent que nous interpeller violemment. Ainsi de ce père qui se demande si nous sommes « dans le monde des humains ou dans un monde de destruction » ; ou de ce rescapé qui cherche dans le dictionnaire la définition de « chosification » ; et, du même, cette déclaration comme un défi : « on existe ; c’est ça le problème : on leur donne du travail ». Face à cette extraordinaire détresse mise en mots, nous sommes pantelants, honteux et bouleversés. Ce que ces hommes nous disent, les réalisatrices font mieux que le filmer face caméra, elles l’insèrent dans un dispositif original et puissant : en effet, les témoignages sont entrecoupés de plans fixes ou de photos, magnifiquement cadrés, qui donnent à voir des paysages sereins et vides. C’est que de ce monde, la beauté n’est plus humaine ; elle se réfugie dans des champs, une forêt, un désert. L’homme s’est retiré, il disparaît. Car au fond le film est une marche funèbre, qui célèbre la beauté du monde pour mieux l’opposer à notre inhumanité. Et la fin, d’un dépouillement extraordinaire, est une litanie de noms sur fond noir.
De tous les témoignages ressort l’idée d’un hasard arbitraire qui hante les survivants : qui meurt, qui survit, au nom de quoi ? S’accrocher au bon moment, être un peu moins fatigué, c’est vivre. Pas de mérite ici, pas de morale. Rien qu’une loterie morbide que tous ont ressenti dans leur chair. Alors oui, il faut prévenir, Les Messagers est inconfortable, violent, insoutenable ; il nous oblige à ne pas fermer les yeux, à ne pas nous boucher les oreilles. Face à la barbarie, il dresse des flots de paroles accusatrices qui nous accompagnent longtemps après la projection.
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