Le 9 octobre 2018
L’expérience pédagogique menée par une jeune enseignante dans une école maternelle de Gennevilliers figure au coeur de ce livre en trompe-l’oeil. Où l’éloge de la rentabilité adopte les apparences du discours émancipateur.
- Auteur : Céline Alvarez
- Editeur : Les Arènes
- Genre : Life Style
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Résumé : L’enfant naît câblé pour apprendre et pour aimer. Chaque jour, les neurosciences nous révèlent son incroyable potentiel, sa capacité à se nourrir du monde pour former son intelligence. Pourtant, par manque d’information, nous imposons à l’enfant un système éducatif inadapté aux leviers naturels de son jeune cerveau, qui l’empêche d’apprendre qui freine l’apprentissage et n’encourage pas sa bienveillance innée. Plus de 40% d’entre eux sortent du primaire avec des lacunes qui les empêcheront de poursuivre une scolarité normale. Céline Alvarez a mené une expérience dans une maternelle en « zone d’éducation prioritaire » et « plan violence », à Gennevilliers. Elle a respecté les « lois naturelles de l’enfant » et les résultats ont été exceptionnels. A la fin de la deuxième année, tous les enfants de grande section et 90% de moyenne section, étaient lecteurs et affichaient d’excellentes compétences en arithmétique. Ils avaient par ailleurs développé de grandes qualités morales et sociales. Ce livre fondateur révèle une autre façon de voir l’enfant et de concevoir son éducation à la maison et à l’école. Céline Alvarez explique de manière limpide les grands principes scientifiques qui sous-tendent l’apprentissage et l’épanouissement. Elle partage son expérience, les activités qui peuvent aider les enfants à développer leur potentiel, ainsi que la posture appropriée de l’adulte.
Notre avis : Il y a déjà presque deux ans, Céline Alvarez faisait le buzz avec son livre qui croisait les neurosciences et Maria Montessori, dans un improbable déni de ce qu’est l’Education nouvelle, en tant qu’instrument d’émancipation individuelle.
Les premières pages en appellent d’abord au lexique new-age, sur la foi d’un constat ontologique (« J’ai vu l’être humain, sa lumière, l’amour et la joie qui le traversent. »). Comme tous ceux qui ont été frappés par la grâce, Alvarez a tendance à vouloir convertir. La narration de son expérience menée dans une maternelle de Gennevilliers lui en donne l’occasion.
Aux pieuses volontés liminaires répond la fin du livre, qui égrène une litanie d’injonctions bienveillantes : « Mon désir le plus cher est que tu puisses révéler ce que tu portes, l’épanouir pleinement et éclairer le monde de ton intelligence et de sa beauté. » ; « Que l’expérience de Gennevilliers soit une inspiration et non un modèle. Qu’elle vous donne l’élan et la confiance. ». Un sous-texte remplacerait volontiers « expérience » par « révélation ».
Ce prêchi-prêcha grotesque encombre la majeure partie du texte, sur le mode « ravie de la crèche ». Il susciterait quelques sourires s’il n’existait derrière cette apparente bonté un projet plus biaisé, soutenu -on se le rappelle- par le dispositif "Agir pour l’école" du très libéral Institut Montaigne et qui s’apparente à une nette velléité d’infiltration de la logique entrepreneuriale, sous couvert d’utilisation du lexique et des priorités inhérentes aux pédagogies nouvelles (autonomie individuelle, mutualisation des expériences). D’ailleurs, tout le discours du livre, fondé sur son adhésion totale aux neurosciences, montre que l’alliance de circonstance entre ce champ de la recherche et une pédagogie progressiste entre tout à fait dans le cadre d’une « société de la connaissance », telle que l’avait pensée la Communauté Européenne au mitan des années 90 : on songe évidemment au Livre blanc sur l’éducation et la formation édité en 1995, qui évoquait déjà la nécessité de construire une « société cognitive » et d’enjoindre les institutions scolaires à prendre en compte cette nouvelle dimension de l’apprentissage, dans la mesure où la connaissance est vraiment considérée comme une valeur marchande et qu’elle va s’incarner dans des marqueurs bien connus, issus du lexique de l’entreprise -compétences, savoirs-faire, etc.-.
Ces attributs indispensables à la panoplie de l’apprenant, Alvarez les évoque dans son ouvrage, les décline en situations concrètes, insistant sur l’individualisation des parcours. Pour parvenir à ses fins, tout est bon : l’intégration et l’implication de l’élève au sein du système scolaire s’effectuent sur le modèle du salarié dans l’entreprise, avec des méthodes de coaching faussement "bienveillantes" (le mot essaime comme un mantra) qui préconisent une absence totale d’évaluation, alors que l’on conçoit un enfant disposant de potentialités innées -socialisation, empathie, générosité- et un système jugé selon son efficacité à les révéler, à multiplier la connexion des synapses, à accélérer les "particules de bien-être" (sic), bref à sur-solliciter l’élève pour obtenir ce qu’on attend finalement de lui, à travers des activités dont la multiplicité et l’enchaînement donnent le tournis.
Puisqu’il faut que ce système rende finalement des comptes, à la manière des enfants dont on augure le meilleur, la méthode fournit les gages de son efficience. Céline Alvarez continue d’ailleurs de les exhiber, tout au long des conférences qu’elle donne pour promouvoir ses vues pédagogiques. Comme s’il s’agissait de se justifier, son livre mentionne les remerciements de parents qui se gargarisent de voir leurs gamins majorer dans leur groupe. Le texte se réjouit également que les jeunes apprentis puissent rattraper -en ce qui concerne le niveau global- les écoliers de Neuilly-sur-Seine (c’est, visiblement, la récompense ultime).
Au-delà d’une méthode, Les lois naturelles de l’enfant défend une certaine vision de l’individu conçu comme une forme d’intelligence artificielle, totalement déterminée par la biologie, aussi déconnectée de la société dans son ensemble que ce compte-rendu pédagogique l’est, lorsqu’il postule qu’une expérience peut valoir une modélisation systématique. Alvarez évacue bien évidemment la question sociale, ne remet jamais en question le système scolaire français en tant que structure reproductrice des inégalités, comme l’a très bien démontré Pierre Bourdieu en son temps, comme le rappelle sans cesse la sociologie critique.
Ignorant les déterminations qui pèsent sur les jeunes, l’auteur développe un vrai discours de la responsabilité, assez comminatoire, qui leste le travail éducatif d’une pression réelle en terme de résultats.
Les enseignants sont prévenus : à eux seuls incombent les échecs et les réussites de leurs élèves.
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