Les dernières vacances - Roger Leenhardt - critique

Critique : Œuvre atypique dans le cinéma français d’après-guerre, Les dernières vacances est le premier des deux longs métrages de fiction signés par Roger Leenhardt pour le grand écran. Critique aux Lettres françaises et à l’Écran français, proche d’André Bazin, Leenhardt n’est autrement passé derrière la caméra que pour une abondante réalisation de courts métrages documentaires. Tourné sans vedettes mais avec de prestigieux acteurs de second rôle et de jeunes comédiens quasiment inconnus, Les dernières vacances frappe par sa fraîcheur, sa liberté de ton et sa teneur autobiographique. Le film devait attirer l’attention des rédacteurs des Cahiers du Cinéma qui en firent un des modèles de cinéma d’auteur, annonciateur des futures réalisations de Truffaut, Rohmer ou Rozier. Le cadre du récit est pourtant celui que l’on trouvait dans maintes productions françaises de l’époque, à savoir des intrigues amoureuses au sein d’un univers bourgeois, ici un domaine familial où se retrouvent, chaque été, les membres plus ou moins unis d’une famille aisée. Les adultes se préoccupent de soucis matériels (Jean d’Yd, l’oncle) ou de respectabilité (Renée Devillers, la mère), ce qui n’exclut pas certaines tentations, comme l’attirance du père (Pierre Dux) pour une parente aguichante (Christiane Barry). Laquelle n’hésitera pas à faire des avances au jeune Jacques (Michel François), amoureux de sa pétulante cousine Juliette (Odile Versois).
Mais cette dernière n’est pas insensible au charme de Pierre Gabard (Jean Lara), acheteur potentiel du domaine dont l’entretien coûte trop cher à la famille. Ces valses sentimentales que n’auraient pas reniées Ophuls sont traitées sur un ton mélancolique, l’histoire étant vue sous l’angle de Jacques, par le biais d’un long flash-back. Le charme des Dernières vacances tient à son refus du scénario balisé, le film étant bâti sur une suite de scènes privilégiant le sens de l’atmosphère. Cette distance avec le script traditionnel n’exclut pas un classicisme dans les dialogues (de grande qualité) et une double tension dramatique, liée à l’idylle entre les deux adolescents et l’incertitude quant au devenir de la propriété familiale. Roger Leenhardt conte avec délicatesse le thème du passage de l’enfance et l’adolescence à l’âge adulte, le flash-back permettant à Jacques de faire son deuil de la souffrance pour la muer en une douce mélancolie. Le cinéaste est bien épaulé par les cadrages et la photo de Philippe Agostini : d’admirables scènes de séduction en milieu champêtre inscrivent le film dans la plus belle mouvance du cinéma français, faisant écho à Partie de campagne et Le plaisir dans la mémoire des cinéphiles. Enfin, le caractère de certains personnages accentue une dimension proustienne du film, de l’émouvante grand-tante incarnée par Berthe Bovy à la jeune fille en fleur qu’interprète avec beaucoup de justesse Odile Versois. Le second (et dernier) long métrage de Roger Leenhardt sera Les rendez-vous de minuit (1961), avec Michel Auclair et Lilli Palmer.