Le 7 avril 2024
Philip K. Dick signe avec ce roman phare des années 1960 un classique absolu de la science-fiction, brillant d’inventivité qui demeure, contrairement aux apparences, un modèle de simplicité.
- Auteur : Philip K. Dick
- Editeur : J’ai lu
- Genre : Science-fiction
- Nationalité : Américaine
- Titre original : Do androids dream of electric sheep?
- Plus d'informations : Site de l’éditeur
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Résumé : Alors que son collègue chasseur de primes se trouve à l’hôpital, la traque de six androïdes de dernière génération, des Nexus VI, échoit à Rick Deckard. Pour lui, c’est l’occasion rêvée de s’enrichir, à moins que son empathie, frontière incontestée entre humains et androïdes, ne se transforme en handicap.
Critique : Les androïdes rêvent-ils de moutons électriques ? Voici une question aussi surprenante qu’inextricable. Dans quoi peut bien vouloir nous embarquer Philip K. Dick ? On imagine facilement, avec un titre pareil, une aventure bigarrée, loufoque, prétexte à se tirer les cheveux face à la complexité d’un récit nébuleux. On a en tête, bien sûr, l’illustre adaptation de Ridley Scott, en 1982, entrée au panthéon de la science-fiction du septième art, et entourée d’un halo mystique qu’engendrent ses multiples montages, ainsi que les questions qu’elle laisse en suspens dans son segment final. Mais il faut admettre que la lecture de Les androïdes rêvent t-ils de mouton électriques est déroutante, dans la mesure où elle l’est moins qu’on ne le pensait.
L’adaptation est aussi bonne qu’elle s’éloigne du matériau d’origine
A la source du chef-d’œuvre de Ridley Scott, donc, on tient dans les mains un roman relativement bref, et surtout très différent du film de 82, qu’il s’agisse de l’ambiance, des personnages et même des thématiques abordées. Narrativement, le livre ne procède pas de manière compliquée : Dick propose un polar assez classique, en croisant deux points de vue qui finissent inéluctablement par se rencontrer. La dynamique se révèle facilement abordable, avec une perspective protagoniste, et une a priori antagoniste. D’un côté, Dick tentera de « retirer » des androïdes dangereux pour l’humanité. De l’autre, J.R. Isidore, un homme mentalement déficient à cause de l’holocauste nucléaire, accompagnera ces mêmes androïdes pour essayer de les sauver.
Dick cultive son originalité ailleurs. Pas dans son style qui demeure plutôt pragmatique, ni dans une construction fondée sur un principe efficace de compte à rebours, troquant le temps contre le nombre d’androïdes retirés. Six restants, puis cinq, puis quatre…
Arrêter de se demander si, oui ou non, Rick est un androïde
Le récit se démarque plutôt par son extraordinaire aptitude à semer une confusion maîtrisée chez le lecteur, toujours légèrement à côté de ses attentes. Loin du « androïde ou pas ? » cher à l’adaptation de Scott, Dick laisse traîner moins de mystères, pour creuser plus de questions.
Ainsi, lorsqu’on doute sérieusement qu’un personnage puisse n’être qu’un androïde, comme Deckard lui-même ou son collègue Resch, on est surtout invité à questionner la pertinence d’une telle interrogation. Resch, par exemple, suppose qu’il en est un après qu’une androïde l’a poussé à se poser la question. Il requiert un test. Il est en soi intéressant que la demande de clarification provienne du sujet lui-même. Mais si Phil n’est pas capable de marquer la différence sans aide extérieure – ici, Rick- et est obligé d’en passer par un test, à quoi bon ? L’intérêt de Dick ici n’est pas tant de nous faire douter de sa nature que de montrer une forme d’absurdité à vouloir savoir si, oui ou non, il est un androïde.
De même, l’ambiguité entourant la nature de Dick est moins marquée que dans le film. Par exemple, dans la première partie de l’enquête, quand l’auteur feint de faire passer Deckard pour un androïde, il retourne simplement notre perspective pour montrer que, le cas échéant, l’histoire aurait tenu d’aussi belle manière. Ce qui conduit inévitablement à la même question que plus haut : est-ce vraiment le principal ? Et quel sens donner à sa mission ?
La religion pour combler le vide empathique et semer le trouble
Les androïdes rêvent-ils de moutons électriques tient sur un paradoxe ironique. D’un côté, Dick affirme que le niveau d’empathie dont le sujet est capable explique la différence ultime entre les humains et les androïdes. Aux premiers, l’empathie, aux seconds, la froideur. Simple sur le papier. Or les premiers, notamment depuis la guerre, n’ont jamais autant éprouvé d’émotions artificielles, à travers l’orgue d’humeur, qui permet d’en changer, ou encore la boîte à empathie, qui autorise à vivre le partage sensoriel avec les autres humains, par l’intermédiaire d’un nouveau messie : Mercer. La dimension religieuse du livre est d’abord un résultat des expériences d’hallucinations extrêmes auxquelles Dick a fait face, et même de sa propension à croire que notre monde est faux dans son intégralité.
Elle est aussi un moyen de montrer que non, les humains ne sont plus tout à fait humains, ayant besoin de substituts pour éprouver ce qui les démarque de la machine.
La boîte à empathie, elle, et tout le courant du mercerisme, expose une religion qui ne fait que combler un vide de sens absolu pour l’humain et peut facilement, dans ce cas, imposer sa vision. Pire, les androïdes, eux, indifférents à de tels courants, mais dotés d’une capacité de réflexion avancée, ne seraient-ils pas plus indépendants que les humains, soumis à une autorité morale extérieure et régie par on ne sait qui ?
Dick est fidèle à sa légendaire paranoïa et sème le trouble. Plutôt que de répondre à la question qu’il semble poser, à savoir ce qui fait d’un humain ce qu’il est, il brouille les pistes dans des proportions insoupçonnées.
In fine, l’auteur nous conduit à la réflexion suivante : les androïdes ne pourraient-ils pas, à la fois, être non-humains et vivants tout de même, sans qu’une forme de hiérarchie s’installe entre les espèces ? La présence d’empathie des androïdes pour d’autres androïdes semble clairement l’indiquer. Le segment final et l’expérience religieuse de Deckard vont aussi dans ce sens. Si Dieu est couramment considéré comme Celui qui peut donner la vie et la reprendre, alors que conclure de l’élimination des androïdes par Deckard, au cas où ce dernier fusionne, au premier ou au second degré, avec Dieu ? Deckard a bel et bien repris des vies, octroyant alors aux androïdes la condition de vivants.
Dick livre une lecture aussi dense que prenante, injustement phagocytée par son adaptation filmique, non moins brillante, mais tout à fait différente.
La version lue pour cette chronique est la version anglaise originale. Les qualités de la traduction française ne sont donc pas prises en compte.
288 pages
111 x 178 mm
Poche
Prix : 8 €
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