Le 22 décembre 2017
- Voir le dossier : Bilan 2017
Sans classement, et avec la plus grande des subjectivités, voici les 10 projets de rap francophone qui ont fait notre année musicale.
Saignement de galettes dans la sono, agressions du bouton replay, écouteurs poussés dans leur retranchement, autant de conséquences de cette année rapologique bien riche. Plus que jamais prolifique et varié dans les propositions, le genre a encore délivré de sacrés morceaux venant de tous les horizons possibles. Bien sûr, si vous avez suivi les différentes critiques hip-hop de cette année, vous aurez compris que l’indé a majoritairement été mis en avant. Sans surprise, puisque ce top est le reflet d’un seul auteur (moi, voilà), cette tendance va bien sûr se refléter dans ce recensement des meilleurs projets de 2017. Cela ne veut pas dire que de l’attention n’a pas été accordée au "reste", et notamment aux très grosses sorties, mais juste qu’on a préféré mettre en avant ceux qui ne bénéficiaient pas forcément de la même visibilité. Puis aussi parce que, soyons honnêtes, on ne trouve pas forcément notre bonheur dans les tendances mises en avant actuellement. Mais bon, fini les justifications, place au top.
Scylla – Masque de Chair
On commence par un rappeur belge, car oui, le rap francophone se résume de moins en moins à l’hexagone. Entre Damso (pas notre came, mais pas inintéressant), Youssef Swatt’s (jeune talent à suivre de près), L’Or du Commun (absent de ce top, mais on bien kiffé Zeppelin), et bien sûr Scylla, on peut dire que Bruxelles et ses alentours se seront fait une très belle place dans le genre musical. Avec Masque de Chair, c’est 1h10 de poésie enivrante et parfois insondable qui vient bercer nos oreilles. La puissance des productions de Lionel Soulchildren sublime la beauté des textes de Scylla, évoquant par son fil rouge de la réincarnation sa personnalité sensible, sa famille, son regard sur le monde, qu’il soit passé ou présent. Une grosse claque dans la tronche, variée mais cohérente, qui nécessite bien des écoutes pour outrepasser la force de la forme et saisir la force du fond, formant un ensemble difficile à dissocier.
Hugo TSR – Tant qu’on est Là
Le retour d’Hugo était facilement l’un des plus attendus de l’année dans le rap indé (et par moi) tant Fenêtre sur Rue avait mis au calme le monde du rap à l’amende. La barre d’attente était donc très haute, et c’est avec peu de changements que Hugo est revenu en cette année 2017. Un court projet, trop court, Tant qu’on est Là, pour justement rappeler que même tapi dans l’ombre, il faut compter sur le rappeur du 18ème et son crew pour balancer des missiles auditifs. Plus esquinté encore qu’en 2012, Hugo balance ses punchlines avec aigreur dans un style qu’il pousse ici à son paroxysme, pour notre plus grand plaisir. Aucun feat, juste un solo de bout en bout marqué par cette impression que rien n’a changé pour le rappeur, toujours piégé dans la même phase d’autodestruction personnelle. Avec ses rimes imagées, Hugo, comme il le dit si bien, mobilise les cinq sens de l’auditeur comme personne, et le résultat est plus que jamais saisissant.
CenZa – Les Prophéties d’une Plume
Toujours difficile à digérer même après plusieurs écoutes, ce n’est clairement pas pour sa facilité d’accès que l’on va vanter cet album de CenZa. Brut de décoffrage, Les Prophéties d’une Plume a cela d’exigeant qu’il s’agit d’une plongée dans le rap hardcore sentant bon les années 90 pour un projet d’une durée de 1h20. Sans aucune concession et tapant avec agressivité sur à peu près tout ce qui bouge, le rappeur de Montreuil accumule, parfois avec maladresse, les pavés jetés dans la mare dans un langage cru marqué par son territoire. Autant dire que CenZa ne cherche pas le moins du monde à axer sur l’accessibilité son second projet solo, résolument sombre, bruyant, méchant et sectaire. Mais pour peu qu’on y prête une attention méritée, Les Prophéties d’une Plume fleure bon l’ambiance crasseuse tout droit sortie des parkings et des cages d’escaliers de banlieues. Une exception aujourd’hui.
OrelSan – La Fête est Finie
Dernier album de sa trilogie, La Fête est Finie marque l’évolution de OrelSan vers ce que l’on pourrait communément appelé « l’album de la maturité ». Comme son titre l’indique, l’album témoigne d’un passage pour le rappeur vers l’âge adulte (à 35 ans), avec une lucidité acerbe moins sujette au second degré. En ouvrant sa conclusion avec San, le Caennais marque cette transition importante. Ce qui auparavant aurait pu constituer pour l’artiste le titre final d’un projet sert ici d’introduction symboliquement forte. Pour autant OrelSan ne colle pas de stop à son esprit absurde et délirant, avec quelques morceaux cinglants géniaux comme Défaite de Famille ou Bonne Meuf, réellement drôles en plus d’être bien écrits. Même les choix pops formellement douteux trouvent leur sens dans le propos de chaque morceau, La Lumière en tête, mais aussi Tout va Bien, coup de maître de la part de Stromae, producteur de l’instru (bon par contre pas d’excuse pour le couplet de Maître Gims, il est juste mauvais). OrelSan reste OrelSan dans l’écriture, on aime ou pas sa simplicité dont découle une grande pertinence et honnêteté décomplexée, toujours est-il que son regard sur la jeunesse et la difficulté de grandir reste d’une pertinence rare.
Arm – Dernier Empereur
Pour son premier projet solo, Arm surprend, et confirme sa grande capacité à s’ouvrir et se renouveler pour une carrière maintenant conséquente mais jamais stagnante. Clairement orienté vers des sonorités « modernes », le rappeur Rennais aura su saisir ces tendances et outils souvent utilisés à tort et à travers pour en extraire de puissantes émotions, rarement atteinte dans la trap, preuve que le vocodeur n’a pas vocation qu’à robotiser, déshumaniser et aseptiser la musique hip-hop. Au-delà de ses sublimes envolées musicales comme Si et La Main, Arm nous pond également quelques lourdeurs tout aussi inattendues, comme ce titre introductif Roule, qui restera l’une des grosses patates hip-hop de cette année, mais aussi une pépite d’égotrip au texte imagé et poétique.
Médine – Prose Elite
Pour Médine, le plongeon dans la trap ne se sera pas soldé par un échec, et malheureusement cette réussite venant de gars de la « vieille école » reste de trop grandes exceptions aujourd’hui. Heureusement pour nous, le rappeur havrais ne perd rien de sa hargne, bien au contraire. Avec une évolution qui ferait pâlir Dracaufeu, Médine crache ses textes brûlants avec un flow rauque et revendicateur, bien plus technique qu’à ses débuts. Autant capable de divertir avec Grand Paris (même s’il y a du déchets là-dedans) que de révolter avec le futur classique Porteur Saint ou encore Raison Sociale, ce Prose Elite brille par sa polyvalence, toujours marqué par cette écriture à mi-chemin entre la poésie enlevée et la rugosité de la rue.
Heskis – GG Allin
Affilié à la 75e Session, l’un des anciens membres du 5 Majeur a crée la surprise avec cet EP d’une belle maturité pour un premier projet solo. GG Allin est l’occasion pour Heskis de présenter un pan de son univers en marge de la collaboration dont il a jadis fait partie avec Nekfeu, Fixpen Sill et Hunam. Heskis aura donc pris son temps, pour un résultat qui le justifie pleinement. Peu de morceaux, mais que des grosses frappes bien sombres, teintées d’une mélancolie malaisante grâce à des samples judicieusement choisis. Bien entouré par la famille de la 75ème et notamment du beatmaker / rappeur Sheldon, le MC propose une plongée dans une atmosphère planante et agressive, grâce à des rimes misanthropes voire suicidaires crachées par un flow lent et cru. L’occasion également de souligner le travail du collectif parisien regroupant notamment Népal, Sopico, Doums ou encore Diabi niveau prod. Grâce à une batterie de beatmakers et d’ingés son ultra-talentueux, le label produit parmi ce qui se fait de mieux en terme d’ambiance dans le rap francophone, avec cette année l’EP de Népal, pas mal de Sopico, un peu de Sheldon, l’EP de Doums (même si c’est Seine Zoo Records) et bien sûr l’EP de Heskis. Du très lourd.
VII – Les Matins sous la Lune
L’un des représentants les plus importants de l’horrorcore en France (l’un des seuls aussi), VII continue son glissement vers un rap engagé et orienté sur la critique sociale. Avec Les Matins sous la Lune le MC tapi dans l’ombre signe probablement son meilleur album dans une discographie très riche et inaccessible. Le précurseur d’une branche méconnue du hip-hop quitte la violence extrême de son style parfois insoutenable pour un rap plus explicite dans la contestation. VII y évoque l’homosexualité et l’homophobie, le combat des Kurdes contre Daesh ou encore les conditions de la femme dans de saisissants storytellings, plein de lucidité et de pertinence. Le patron de l’horrorcore garde sa patte glauque et malaisante par son flow funeste tout en quittant le temps d’un album les crânes écrasés et les seringues rouillées dans les veines. VII marque Les Matins sous la Lune du sceau du changement tout en restant finalement le même. Son public ne se perd pas dans ce projet (et découvre enfin un nouveau feat sublime avec Fayçal), tout en profitant de cette évolution bénéfique, moins extrême, mais bien plus politisée et touchante.
Bastard Prod – 100 Comme un Chien
La Bastard Prod nous le répète à travers 100 Comme un Chien : ils sont à des années lumière du game, et veulent clairement faire de cette différence l’une de leurs forces. Cet aspect se retrouve à tous les niveaux de leur musique difficile d’accès mais ô combien importante dans le hip-hop pour sa diversité. Irrigué par les productions monstrueuses de Toxine, homme dans l’ombre de ces quatre hommes de l’ombre, ce premier album tant attendu par le public de Furax, Sendo, 10 Vers et Abrazif déboule en mode sauvage, sans communication ou presque, pour mieux asséner sa violence et sa rage. Frôlant l’horrorcore dans l’ambiance crasseuse et d’une lourdeur sans égale, l’album place sur le devant de la scène tous ces chiens à trois pattes qui ont galéré et qui galèrent toujours, dans un esprit de communauté unificateur. L’équipe, qui partage les mêmes scènes depuis maintenant longtemps, se soude par un même univers inquiétant et hargneux. 100 Comme un Chien est à appréhender sur le long terme, car le coup de patte n’est pas des plus aimables, mais laisse une belle empreinte sur l’auditeur.
Davodka – Accusé de Réflexion
Pour clôturer ce top sans classement, j’ai longuement hésité à placer ou non le dernier projet de Davodka. Mais force est de constater que malgré ses défauts il reste le projet le plus abouti du rappeur originaire du 18ème, et aussi le plus poli. Avec Accusé de Réflexion, on y perd autant qu’on y gagne. D’un côté l’homme qui ne respire jamais dans le micro formate son style dans un boom bap très boom bap et une trap très trap quand auparavant ses instrus ne ressemblaient qu’à lui (avec un côté épique et symphonique génial), mais de l’autre il gagne en cohésion et en maturité dans l’écriture. Moins orienté sur le show et la démonstration (pas de Mur du Son ou de Mise à Flow sur ce projet), ce 13 pistes choisit d’être moins spectaculaire et poing dans la tronche pour privilégier un propos plus consistant. Si bien que les tics formels de Davodka font parfois un peu tâche au sein de ses morceaux (les backs parfois inutiles et hors-sujets ou l’accélération du flow dans Fusée de Détresse), quand la diversification de son flow réserve de très bonnes surprises (les passages un peu « chantés »). Les punchlines sont globalement moins percutantes (même s’il y en a de très belles), mais s’inscrivent dans des morceaux bien tenus par leurs sujets, moins dispersés, donc plus intéressants sur le long terme. C’est à chacun de juger si l’on y gagne au change, cependant il reste une évidence que Davodka se hisse dans le haut du panier du rap francophone et qu’avec sa nouvelle stratégie promotionnelle (très) agressive, ce n’est que le début de sa reconnaissance.
Galerie Photos
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