Le 29 décembre 2018
- Voir le dossier : Bilan 2018
Pas le temps de se reposer cette année pour les aficionados de rap.
Les projets ont afflué et rien ne semble arrêter la production une nouvelle fois effrénée du rap. Dans cette masse de sons, d’albums, d’EP et de mixtapes difficile de faire le tri, surtout avec la mise en avant de petits nouveaux aux skills parfois plus que limités. Du buzz immédiat, il y en a eu en 2018, et par effets boules de neige voilà qu’on nous a cassé les c****lles avec les sur-médiatisés Koba LaD, Moha la Squale ou RK alors qu’ils n’ont, au final, pas encore montré grand chose (voire rien du tout). A chaque mois son petit lot de nouveaux rappeurs qui tape le million sur un clip et il ne semble pas en falloir plus pour lancer des carrières aussi durables qu’un SMIC quand on a deux enfants à sa charge. Il faudrait songer à leur laisser le temps de travailler, d’évoluer, de se perfectionner avant de les encenser de manière disproportionnée et de les faire signer chez DefJam ou Warner Music, bien contents de pouvoir compter sur de nouvelles pompes à frics. Genre musical le plus écouté en France, le rap a cette popularité et ce développement croissant auxquels s’accompagnent forcément quelques dérives, mais heureusement, rien qui ne vienne entacher sa richesse, la profusion de sous-genres et le plaisir d’écouter pléthore de projets venant de divers horizons, de diverses personnalités. C’est sur ceux-là que l’on va se pencher avec un classement des 10 meilleurs albums de rap francophone de 2018.
1) Scylla & Sofiane Pamart – Pleine Lune
Scylla était déjà premier l’année dernière, le voilà à nouveau premier en 2018. Un piano et une voix, c’est à peu près tout ce qu’il faut à Pleine Lune pour plonger l’auditeur dans un puissant spleen. De la collaboration entre le rappeur belge et le pianiste Sofiane Pamart naît ce bijou délicat et enivrant. Jamais Scylla n’aura autant semblé dans la maîtrise de sa voix et de son écriture, au centre de ce bouillonnement émotionnel.
2) Alpha Wann – Une Main Lave l’Autre
Le Fincher du rap. Alpha Wann voulait pondre un classique du rap, avec seulement des morceaux de rap dedans, chose impensable aujourd’hui. Le MC à l’égo si important qu’il se fait un feat avec lui-même (meilleure collab’ du projet d’ailleurs) s’impose cet objectif, conscient de son niveau et de ses capacités. Vu UMLA (Une Main Lave l’Autre pour les intimes), Alpha Wann a toutes les raisons d’être prétentieux, et c’est d’ailleurs cette prétention qui le pousse à se surpasser et se perfectionner. Dans 100 écoutes on sera toujours en train d’assimiler la technicité et la richesse des textes du rappeur. C’est plus un album, c’est un satellite en orbite.
3) L’Or du Commun – Sapiens
En parlant avec douceur et légèreté de certains maux de l’Homme, au prise de notre société actuelle, l’Or du Commun est parvenu à faire d’un constat amer sur l’être humain une ode à la vie. Le rap du trio belge déborde d’amour et de convivialité grâce à l’alchimie palpable des trois membres entre eux mais aussi avec leur producteur Vax1, ingénieur de cet ensemble aux teintes estivales cohérent. Sapiens dresse des constats parfois difficiles à avaler, mais sans accabler l’auditeur avec, qui ressort du projet avec le sourire aux lèvres, prêt à redonner au plus nihiliste des Hommes un semblant d’espoir en l’humanité.
4) Melan – Abandon Sauvage
"Dans le rap y a plus de personnes, y a que des personnages" nous affirme Alpha Wann dans Le Piège et si en effet cette authenticité tend à se raréfier, il en reste néanmoins quelques-uns qui en font l’épicentre de leur musique. Melan s’inscrit totalement dans cette tendance en perte de vitesse, au moins dans le rap mainstream. Pour son deuxième album, le Toulousain partage une nouvelle fois son rap du cœur et des tripes, rugueux, parfois torturé mais aussi joyeux et festif. Le MC partage une partie de lui-même, à cheval entre la mentalité hip-hop, punk et bohème, avec l’humanité qui le caractérise. Abandon Sauvage dresse le portrait de son auteur, adulte comme enfant, exerçant un rejet profond pour la société actuelle.
5) Kery James – J’Rap Encore
Kery James a beau s’investir dans plusieurs projets ambitieux et chronophages, il n’en oublie pas de remettre un gros coup de pied dans la fourmilière du rap de temps à autre. Deux ans après son Mouhammad Alix, l’artiste parisien revient plus énervé que jamais avec ce J’Rap Encore. Kery modernise son style pour mieux toucher son époque et les nouveaux auditeurs de rap. Rien ne s’y perd, tout s’y transforme, pour un style incisif dans l’ère du temps, percutant, pertinent, et finalement pas si éloigné de ce que le rappeur proclamait déjà il y a 10 ans. Et cette capacité à se réactualisaer laisse par ailleurs songeur sur notre société qui ne change décidément pas dans le fond. De 2008 à 2018, rien n’a bougé pour les banlieusards.
6) Tengo John – Multicolore
S’il s’est avant fait tout fait connaître pour ses lourdeurs techniques comme son triptyque des Trois Sabres, c’est comme un doux romantique rêveur que Tengo John apparaît sous le prisme de Multicolore. Un projet bien nommé tant le rappeur passe d’un extrême à un autre jusqu’à décontenancer l’auditeur qui ne sait comment agiter sa tête à l’écoute de cette mixtape. Mais les multiples essais du rappeur font souvent mouche, et nous amènent à découvrir l’artiste sous de nouveaux angles. Jouant habilement sur les contrastes entre les ambiances, Tengo John ne laisse pas l’auditeur s’ennuyer et prouve que son écriture ne sied pas qu’à un unique exercice, celui de l’égo trip.
7) PLK – Platinum
L’année 2018 aura été l’année de la reconnaissance pour PLK. Avant de sortir son premier album Polak, le membre du Panama Bende balançait son Platinum, carte d’identité d’un rappeur en pleine construction, et surtout témoin de son évolution. Si dans l’écriture le rappeur ne tire clairement pas son épingle du jeu, il fait en revanche preuve d’une grande maîtrise de son flow et propose des déclinaisons réussies de son style, entre kickages sombres et morceaux dansants, pour une mixtape scindée en deux principaux univers, appréciables à leur juste valeur.
8) Josman – J.O.$
"J’aime autant la violence que la douceur" : résumé de Josman par Josman lui-même. Lâché dès son premier complet de J.O.$, cette ligne exprime bien la couleur de ce projet où ces deux contraires se mélangent dans un cocktail globalement sombre et étrangement romantique. Comme Damso finalement, que beaucoup aiment qualifier de romantique, Josman évoque avec une grande récurrence et à travers une sécheresse des mots ses relations avec le sexe opposé, sans jamais les magnifier toutefois. Maintenant bien établi, le style du rappeur se révèle par un premier album fait pour s’écouter d’une traite. C’est un ensemble solide qui défile dans nos oreilles, difficile d’accès par son austérité assumée mais qui se bonifie vraiment avec le temps.
9) Népal – KKSHISENSE8
Dernier EP avant l’album, Népal lâche le temps de ce 8 titres son style futuriste planant qu’il avait imposé avec ses 444 et 445ème Nuits pour revenir vers des instrumentales beaucoup plus minimalistes et "old school". Dans ses textes le rappeur reste en revanche fidèle à lui-même et perfectionne encore un peu plus son style nonchalant inimitable. Ceux qui le connaissent ne seront pas déstabilisés tant KKSHISENSE8 envoie à nouveau l’auditeur dans les nuages, mais pas sûr que les non-initiés puissent s’accrocher à cette musique de plus en plus radicale et technique. Fasciné par le Japon, on peut dire que Népal propose désormais avec sa discographie une incarnation des deux facettes majeures du pays, la tradition / le moderne, le jour / la nuit.
10) Jok’Air - Jok’Rambo
Heureusement pour Jok’Air, son premier album solo est inversement proportionnel au mauvais goût de sa campagne promotionnelle. Plus chanté que rappé, l’ancien de la MZ impose son style savamment entretenu par un album sur le fil. Sur le fil du trop plein, sur le fil de la grossièreté, mais ne tombant jamais dans cette potentielle surenchère et caricature du rappeur. Le travail sur les mélodies est incroyable, voguant tantôt du côté de la pop, de l’électro ou encore du gospel. Tout se mélange pour offrir une diversité impressionnante à ce Jok’Rambo qui permet à l’album de durer dans le temps, s’écoutant avec toujours autant de plaisir même après une vingtaine d’écoutes.
Galerie Photos
aVoir-aLire.com, dont le contenu est produit bénévolement par une association culturelle à but non lucratif, respecte les droits d’auteur et s’est toujours engagé à être rigoureux sur ce point, dans le respect du travail des artistes que nous cherchons à valoriser. Les photos sont utilisées à des fins illustratives et non dans un but d’exploitation commerciale. Après plusieurs décennies d’existence, des dizaines de milliers d’articles, et une évolution de notre équipe de rédacteurs, mais aussi des droits sur certains clichés repris sur notre plateforme, nous comptons sur la bienveillance et vigilance de chaque lecteur - anonyme, distributeur, attaché de presse, artiste, photographe. Ayez la gentillesse de contacter Frédéric Michel, rédacteur en chef, si certaines photographies ne sont pas ou ne sont plus utilisables, si les crédits doivent être modifiés ou ajoutés. Nous nous engageons à retirer toutes photos litigieuses. Merci pour votre compréhension.