Le 29 avril 2016
Un biopic amer et virtuose.
- Réalisateur : Bob Fosse
- Acteurs : Dustin Hoffman, Valerie Perrine
- Genre : Drame, Noir et blanc
- Nationalité : Américain
- Distributeur : Carlotta Films
- Editeur vidéo : Wild Side Video
- Durée : 1h51mn
- Date télé : 19 août 2023 23:55
- Chaîne : TCM Cinéma
- Date de sortie : 11 juin 1975
- Festival : Festival de Cannes 1975
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Résumé : Après la mort du comique américain le plus célèbre et le plus controversé des années 60, un intervieweur recueille les témoignages de ses proches et tente de retracer sa vie… En écumant les cabarets, Lenny Bruce rencontre Honey, une stripteaseuse qui devient sa compagne. Ensemble, ils créent un duo qui flirte avec le politiquement incorrect, et Lenny devient un provocateur admiré pour ses saillies cinglantes contre la société américaine bien-pensante…
Critique : Bob Fosse n’a tourné que cinq films, et Lenny est le centre de cette œuvre réduite. Centre chronologique, certes, mais aussi centre en ce qu’il est sans doute le plus représentatif d’un cinéaste passionné par le spectacle et décidé à créer une sorte d’autoportrait amer, peut-être vécu comme une conjuration : car, en relatant quelques années de la vie de Lenny Bruce, comique ignoré en France, Fosse met l’accent sur une existence brûlée dans laquelle le succès a été aussi éphémère qu’ambigu.
- © 1974 United Artists. All rights reserved.
La structure éclatée et complexe repose sur un entrelacs de trois proches interviewés (la mère, la femme et l’agent), un spectacle (le dernier ou l’un des derniers) et l’histoire elle-même, racontée de manière chronologique. À l’image de Citizen Kane, Lenny est une tentative de percer le mystère d’une vie, à la recherche d’un « Rosebud » inexistant : on ne saura rien des motivations profondes du personnage, rien de sa psychologie réelle, quand ce n’est pas les témoins qui se contredisent (voir l’amusante séquence où ils ne sont pas d’accord sur le fait de savoir si l’humoriste voulait ou pas se faire condamner). En multipliant les points de vue, Fosse brouille les pistes et compose un puzzle aussi énigmatique qu’émouvant, choisissant souvent des morceaux comme prélevés au réel, inachevés et supposément représentatifs.
- © 1974 United Artists. All rights reserved.
Ce qui frappe à la vision du film, c’est le magnifique noir et blanc qui joue avec les ombres et les atmosphères. Les séquences de cabaret, en particulier, semblent creuser le noir pour façonner un visage barbu et épuisé – et la performance de Dustin Hoffman est d’une finesse et d’une richesse inouïe, sans rien des tics qui gâchent parfois son jeu. Fosse utilise également un montage qui alterne un sur-découpage (la première séquence de strip-tease, avec des plans sur Valérie Perrine, sur les regards voyeurs et… le tiroir-caisse) et de longs moments (le stand-up raté, en imperméable, qui se prolonge jusqu’au malaise) avec une virtuosité fébrile. De même un certain esthétisme voisine avec des plans volontairement plus relâchés, jusqu’à l’imitation du reportage télé au moment de la mort de Lenny. Mais cette recherche très maîtrisée est au service d’une vision du monde et du cinéma : comme dans Cabaret (1972), comme dans All that jazz (1979), Lenny repose sur l’idée d’un spectacle permanent ; non seulement le stand-up est un commentaire de la vie, mais c’est la vie elle-même qui devient spectacle ; tribunal et même vie privée sont des jeux incessants, qui toujours se fracassent sur la réalité, que ce soit les condamnations, la drogue ou la ruine. En ce sens, l’itinéraire du comique est focalisé sur sa chute, douloureuse et pathétique ; point d’orgue de cette descente aux enfers, la réplique d’un journaliste teinte d’une noire ironie ce parcours : car ce qui a créé le scandale, les provocations, les obscénités, n’en étaient plus au moment de sa mort. Tout ça pour ça. L’échec artistique dédouble alors l’échec personnel, en une vertigineuse réflexion (soutenue par des répliques de stand-up) sur la dérision de toute existence. Rien ne réchappe de ce jeu de massacre, tous les personnages sont des médiocres voués à la chute. Le seul qui s’en sort, très bien, c’est l’agent qui vend des disques et négocie les droits d’un film : mais le résultat est le même, le triomphe de l’argent n’empêche pas la faillite morale. Si l’on fait le compte, malgré un début plus enlevé, rares sont les moments lumineux dans ce film qui pose un regard noir sur une existence : mais la force de Fosse est, par une maîtrise cinématographique sans faille, d’élever ce destin singulier en un exemple universel, sinistre et sans appel.
Les suppléments
Outre l’entretien très riche avec le chef opérateur Bruce Surtees (Prince of Darkness, 26mn), le coffret propose un magnifique livre de 188 pages écrit par Samuel Blumenfeld : non seulement le texte est dense, retraçant l’histoire du film et en particulier du point de vue du scénariste, mais les illustrations, nombreuses et superbes, en font un véritable objet, beau et de qualité.
L’image
On n’est pas loin de la perfection : tout en respectant le grain cinéma, la copie rend justice à l’incroyable travail sur le noir et blanc de Surtees. Les contrastes ou la profondeur du noir sont remarquables.
Le son
Deux pistes DTS-HD 2.0 : la VO est précise et dynamique ; si la VF est également soignée, elle tient du contresens dans ce film fondé sur les répliques et le jeu des voix.
- @ Wild Side Vidéo
– Sortie Blu-ray : 30 mars 2016
Galerie photos
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