Nos plus belles années
Le 9 mai 2013
Ce récit à la première personne, empreint de dignité et d’humanité, confirme l’importance d’Elia Suleiman dans la famille des grands réalisateurs et se présente comme une réussite d’un cinéma à la fois autobiographique et politique.
- Réalisateur : Elia Suleiman
- Acteurs : Saleh Bakri, Elia Suleiman, Leila Muammar
- Genre : Biopic
- Nationalité : Français, Italien, Belge, Palestinien
- Distributeur : Le Pacte
- Durée : 1h45mn
- Titre original : The time that remains
- Date de sortie : 12 août 2009
- Plus d'informations : http://www.thetimethatremains-lefil...
- Festival : Festival de Cannes 2009
– Asia Pacific Screen Awards 2009 : Grand Prix du Jury
– Mar del Plata Film Festival 2009 : Prix du Jury - Prix de la mise en scène
L’argument : The Time That Remains est un film en partie autobiographique, construit en quatre épisodes marquants de la vie d’une famille, ma famille, de 1948 au temps récent.
Ce film est inspiré des carnets personnels de mon père, et commence lorsque celui-ci était un combattant résistant en 1948, et aussi des lettres de ma mère aux membres de sa famille qui furent forcés de quitter le pays.
Mêlant mes souvenirs intimes d’eux et avec eux, le film dresse le portrait de la vie quotidienne de ces palestiniens qui sont restés sur leurs terres natales et ont été étiquetés "Arabes-Israéliens", vivant comme une minorité dans leur propre pays.
Notre avis : Comme le révèle la lecture du synopsis, dans lequel Suleiman s’exprime à la première personne, Le Temps qu’il reste est un projet extrêmement personnel dans lequel l’auteur se nourrit de références autobiographiques pour tenter d’atteindre l’universel. Point n’est besoin d’être expert en géopolitique du conflit israélo-palestinien pour saisir le contexte historique du film.
- © Marcel Hartmann
La famille Suleiman appartient donc bien à la catégorie des Palestiniens vivant en Israël et ayant pu en acquérir la nationalité, quand deux autres groupes complètent le tableau de la cohabitation : les Palestiniens des Territoires occupés et les réfugiés apatrides essentiellement composés de membres de la communauté juive. Le sentiment de ces « réfugiés de l’intérieur », conscients d’être des étrangers dans leur propre pays, est montré dès l’ouverture du film, montrant la signature d’accords imposés par l’autorité politique et militaire. La résistance du père, qui réussit toutefois à ne jamais être réellement inquiété, contraste avec l’apparente résignation du fils, incarné à l’âge mûr par le cinéaste lui-même, partagé entre ses traditions familiales et une certaine fascination pour la culture américaine (cinéma, musique des boîtes de nuit...). On est frappé par ces saynètes semi-muettes qui privilégient le plan fixe au contrechamp : soldat ne sachant pas quelle direction prendre, tentatives récurrentes d’immolation d’un voisin alcoolique et excentrique, plat de légumes jeté sans raison apparente par une tante victime de myopie... C’est ce sens de la digression et du burlesque discret, auquel on s’attend peu, qui distille le charme élégant de cette fresque épurée dans laquelle Suleiman ne se la joue ni moralisateur, ni donneur de leçons, ni même auteur de ce cinéma faussement humaniste mais clairement lacrymal qui sévit dans maints festivals internationaux. Reprenant la poésie mélancolique qui faisait la force d’Intervention divine, l’œuvre qui le révéla en 2002, le cinéaste se veut plus proche de l’esprit d’un Kaurismäki ou d’un Tati. Le recours à l’ellipse dans la dernière partie (les séquences avec la vieille dame taciturne dont on comprend qu’il s’agit de la mère), loin d’obscurcir le récit, le pare d’une profonde émotion en demi-teinte, contrastant avec le ton de violence contenue de la première heure. Préférant la suggestion à la démonstration, et la chronique vagabonde au scénario charpenté, Elia Suleiman ne s’impose pas seulement comme le plus grand cinéaste palestinien : il est l’un des réalisateurs européens les plus inspirés.
- © Marcel Hartmann
- © Le Pacte
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da capo 13 août 2009
Le temps qu’il reste - la critique
Le film de Suleiman ne suscite pas plus de larmes qu’il n’incite au rire.
De même, Suleiman n’a pas plus d’affinités avec Tati, qu’avec Karusmaki ou Keaton. Cela n’empêche nullement la critique de se passer le mot,faisant valser les comparaisons comme les superlatifs du moment qu’il est de bon augure de décréter l’avènement d’un auteur avec un grand "A". Non que je me considère plus insensible qu’un autre, d’inextinguibles doutes m’astreignent lorsque je me retrouve face à une telle unanimité "critique".
Parlons du film en quelques points :
1.Du génie burlesque de Suleiman.
Inexpression + tristesse = Keaton.
C’est mathématique, c’est rassurant, cela pourrait même être plaisant. On en reste pourtant à une imitation n’ayant aucune répercussion autre que le vide et l’absence à laquelle se complait (plutôt qu’il n’y succombe)le personnage-cinéaste-spectateur au travail.Côté comique ou "incroyable sens de l’humour/autodérision de Suleiman", ça ne se bouscule pas au portillon malgré LE gag du char qui se vide en substance sur la durée (ou celui à deux reprises du postérieur-photographe, dont la reprise atténue la potentiel comique, par ailleurs déjà utilisé plus efficacement par Suleiman-réf : Chacun son cinéma-). Se faisant on arrive au second point.
2. De la contemplation d’Elia.
La durée des plans étirés n’aboutit à rien, si ce n’est nous faire ressentir leur durée. "Le temps qui passe" me direz-vous ! Certes, certes... Mais après ? Qu’y a t-il à voir au delà du plaisir esthétique (tout à fait appréciable) des plans ? Qu’est ce qui se joue à l’intérieur des plans ? Quels sont les éléments qui nous permettent d’apprécier autre chose que de la belle image ? Celle qui se construit le cadre dans le cadre, avec pour épicentre Elia qui la contemple en Nosferatu-somnambule (autre référence à rajouter au palmarès), que l’on aimerait voir se faire bousculer un tant soit peu par un relent de vie pour que la machine s’embraye. Evidemment, le tout mène à l’inertie du spectateur-cinéaste Elia (non dupe il va s’en dire)qui part de la cellule familiale, pour basculer dans la micro-cellule autonome, avant de l’étendre à l’échelle du pays. Un même état claustrophobe. Pour autant, point de parti-pris didactique : le cinéaste brosse le portrait d’une famille au quotidien, la sienne (celle qui fut).
3. De l’Histoire distanciée à travers "je"
Ou quand l’intime se fait politique et réciproquement. Les répercussions du passé dans le présent, et l’emboîtement des histoires personnelles avec la grande qui se répète et s’enllisse. Bien sur, les personnages, malgré leur monchalance, résistent à la chape de plomb qui régit leur quotidien, avec d’autant plus de classe qu’ils le font "l’air de rien". Passons un instant sur la chronique familiale pour se concentrer sur la passation des générations. Se faisant, j’omets volontairement le terme "conflit" car les rapports (ou absence de) sont bien plus tacites : c’est un sentiment d’incompréhension qu’il s’agit, l’écart d’un fossé qui ne peut être comblé. Un même plan par effet de miroir : les résistants (dont fait parti le père) installés à la terrasse d’un café avec flemme, incitent le soldat retardataire à les rejoindre sur la scène qu’ils occupent, annulant ainsi la dichotomie champs/contre-champs comprise dès lors dans un même plan éphémère. Autre génération, même plan : Suleiman adulte, attablé avec ses acolytes, partageant le même air affable, tend la main à un jeune-homme à l’initiative de celui-ci, pour finalement la maintenir suspendue dans le vide (le jeune-homme en question, par insolence,préfère passer sa main dans les cheveux). Les deux niveaux du plan ne peuvent désormais se rejoindre : chacun reste sur sa propre scène, l’échange ou la fraternité, même éphémère, n’a plus de raison d’être (même constat pour le personnage saluant à répétition : la réitération du même geste sous tend son impertinence). Si le père Suleiman pouvait encore conjuguer flemme & résistance,le fils Suleiman ne peut désormais que prendre acte, impassible, de l’absurdité environnante. Tout cela serait pertinent si le cinéaste Suleiman arrivait à le communiquer autrement, sans avoir recours à des dispositifs de mise en scène trop réfléchis pour être vraiment minimaliste. Chaque génération a le jeunesse qu’elle mérite : pas de malentendu, je ne dis pas que Suleiman la dénigre, au contraire, il fait son travail de cinéaste en la contemplant pour mieux nous la faire voir (à nous autres, spectateurs faussement passifs que nous sommes).
4.De l’autobiographie distanciée du "je" absent/présent.
Comment représenter le "je" de l’être que "je" fus au vu de l’être que "je" suis ? Comment me placer à la fois comme personne, personnage et cinéaste ? Quelle est la distance juste (si tant est qu’elle existe) pour prendre conscience du monde(en s’extrayant de l’action), tout en y faisant part (mais dans un côté) ? Bref, c’est toute la dialectique qui se noue entre un personnage-spectateur omniprésent, bien qu’en retrait, et ses personnages qui s’expriment qu’à travers le regard qu’il leur porte en tant que cinéaste. Là encore, les rituels-cérémoniels du quotidien renvoient aux concepts et dispositifs de la mise en scène. La structure du film est trop évidente pour qu’on arrive à l’oublier et s’attacher à des personnages-figurines qui sont, à l’image du père, des énigmes sur lesquelles le regard bute, n’en dévoilant que la surface (encore une fois impeccable).
On rétorquera que le cinéma EST avant tout un art de la surface, et je répondrai par l’affirmative en ajoutant ceci : qu’il s’agit également d’un artifice paradoxal qui, par des moyens détournés, consolide notre (r)apport au réel. Toutefois, pour que la machine-cinéma nous réconcilie avec le monde, il faut qu’elle nous fasse oublier tous les rouages qu’elle met en place. Il est vrai que l’enjeu n’est pas mince, et que le cinéma de Suleiman a le mérite de rendre prégnant des questions essentielles, absentes dans bon nombre d’autres films-produits contemporains.
On se plait à évoquer la poésie de Suleiman (lui-même s’y réfère ouvertement), et pourtant, ce qui apparait le plus manquer à ce film, c’est justement la légèreté, la spontanéité et l’infini richesse des "petits riens" libérés de tout dispositif, l’avènement d’un geste qui surprendrait le cadre, le retour d’un regard qui exprimerait autre chose qu’une suite logique au vu du plan qui le précède.
La liste n’est pas exhaustive.
Par ailleurs,étrangement, le film de Suleiman laisse une impression de "politiquement correct". Il ne s’agit pas de faire l’apologie d’un cinéma didactique et révolutionnaire, mais à trop orchestrer son film, sans pour autant affirmer "un être là", le cinéaste évite à la fois de se confronter à la matière humaine (au pathos),tout en représentant une vision somme toute acceptable du "réel" dans lequel il nous projette (l’espace du film).
Disant tout cela, je ne cherche pas à dénigrer le cinéma de Suleiman, mais simplement de soumettre un avis critique que je reconnais avoir fait penché ouvertement d’un côté de la balance(défavorable) au vu de l’engouement unanime (ultra favorable et ça reste encore un pléonasme). Il est évident que Suleiman est un cinéaste a prendre au sérieux, et je ne remets pas la sincérité de sa démarche en doute.
Simplement, faire preuve de modération et de sens critique (sachant que je me fais l’avocat du diable car c’est un film que j’aurais voulu aimé moi aussi), là où l’emphase générale confine au ridicule et à la complaisance.
Norman06 13 août 2009
Le temps qu’il reste - la critique
Un film majeur, peut-être le chef-d’œuvre du cinéma palestinien, et sans aucun doute un jalon de plus dans la filmographie de Elia Suleiman, l’un des plus grands artistes contemporains. C’est une charge politique féroce tout en étant un modèle de cinéma de l’ellipse et de la suggestion. On aimerait voir davantage de finesse et de courage dans maintes productions hexagonales de jeunes auteurs, gangrénées le par nombrilisme et l’auto-satisfaction.
Avatar 24 août 2009
Le temps qu’il reste - la critique
pour ce qui me concerne, c’est bien simple : je n’ai rien compris au film, mais alors, rien de rien... sans être très au fait des enjeux liés au conflit israélo-palestinien, sans prétendre y connaître grand-chose je m’attendais à pouvoir démêler l’ensemble, en gros... Rien ! Désolé.
Vous dites qu’on peut voir "Le jour qu’il reste" sans être féru de géopolitique, je me demande pourtant s’il ne faut pas suivre de très très près l’histoire de ces peuples pour pouvoir saisir ne serait-ce qu’un minimum de cette trame... ou alors, je suis inculte sur le sujet. Ca doit etre ça.
roger w 17 septembre 2009
Le temps qu’il reste - la critique
Malgré un rythme languissant et un style épuré qui tourne un petit peu en rond, le réalisateur sait traiter de thèmes universels tout en s’engageant sur le terrain politique. N’oubliant jamais la poésie, Suleiman signe donc un film difficile d’accès, mais jubilatoire pour peu qu’on fasse l’effort de se laisser porter.