Sisyphe et son rocher
Le 3 décembre 2013
Un regard désabusé sur les rapports douloureux entre Nord et Sud, pour un film plus noir que rose où Stéphane Guillon fait ses marques à l’écran. Quelques maladresses, mais un propos pertinent, qui met avant tout l’Afrique au premier plan.
- Réalisateur : Frédéric Chignac
- Acteurs : Stéphane Guillon, Aïssa Maïga, Ali Monzana
- Genre : Comédie dramatique
- Nationalité : Français
- Durée : 1h40mn
- Date de sortie : 17 mars 2010
- Plus d'informations : Le site du distributeur
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Un regard désabusé sur les rapports douloureux entre Nord et Sud, pour un film plus noir que rose où Stéphane Guillon fait ses marques à l’écran. Quelques maladresses, mais un propos pertinent, qui met avant tout l’Afrique au premier plan.
L’argument : Alex ne devait rester que quelques minutes à Koupala, le temps de prendre de l’essence. Mais en panne de voiture, son séjour va être bien plus long que prévu... Dans ce petit village perdu au milieu du désert africain où personne ne passe pour le secourir, Alex perd progressivement ses repères et ses certitudes de Blanc d’Afrique. Sans le savoir, il devient un enjeu vital pour le village.
Notre avis : En Afrique, les lendemains déchantent... Nous pénétrons dans ce village d’un pays inconnu au bataillon, longtemps après une tempête historique quelconque, dans un paysage désolé, désertique, aussi dépourvu de ressources que ses habitants. Au milieu des cailloux, le Blanc va se comporter en dernier roi des Sables, et ramasser sur le sol ce qu’il reste encore à la portée de sa main - la couche d’une femme, l’amabilité intéressée d’un marchand de fortune. A travers la caméra de Frédéric Chignac, la métaphore est claire, parfois même un peu trop : alors que le Sud n’était encore qu’un enfant économique et politique, le Nord s’est penché au-dessus de son berceau et lui a subtilisé ses jouets. Le temps de la kermesse est terminé est un réquisitoire indigné contre les traces encore vives d’une ère au parfum nauséabond, dont nous découvrons qu’il est resté davantage que ce nous croyions, et en particulier l’idée implicite et à peine avouée que « nous » nous sentons différents d’ « eux ». S’il n’aborde pas tous les thèmes avec la même finesse, le scénario a pourtant le mérite de lancer une charge destructrice sur des terrains risqués, qui - pour cause de frilosité politique - s’enfoncent habituellement dans l’oubli ou le non-dit : les immigrants clandestins rêvant d’un Eldarodo européen, l’ambiguïté du discours et des actes officiels, des deux côtés de la Méditerranée, le paternalisme ou encore l’exploitation sexuelle, à la limite du consentement, de femmes forcées à se sacrifier pour l’espoir d’une vie meilleure.
- © Rezo Films
A ce titre, Le temps de la kermesse est terminé est un film plus dur moralement que ne le laisse supposer ses dehors de bonne humeur. Sur la base d’une histoire quasi-archétypique (un étranger en terre inconnue va progressivement faire l’apprentissage d’autrui), le politiquement correct s’efface souvent au profit d’un pessimisme réel, qui semble résonner dans le vide ; si le cynisme du personnage est si dérangeant, c’est qu’il ne rencontre aucune résistance, devient par moments pure méchanceté. Le rôle permet de découvrir un Stéphane Guillon encore mal assuré à l’écran, mais prenant ses marques d’acteur au long cours, surtout face à Aïssa Maïga éloquente dans son mutisme. Autre bonne surprise, les personnages secondaires qui sillonnent la trajectoire d’Alex - un lieutenant nationaliste cultivant des laitues, un mystérieux « banni », un marchand de bières pieux et jovial... -, soigneusement composés avec un regard bienveillant, qui se retient de juger hâtivement. C’est ce qui pointe ici peut-être le défaut majeur du film : le coeur gros et accablé par une peine immense, celle d’assigner à chacun le poids de ses responsabilités et de dresser la ligne de route pour que le continent puisse enfin achever sa traversée du désert, il est obligé de laisser en chemin des pistes possibles, plus nuancées, et qui auraient mérité un détour. Mais l’on comprend Frédéric Chignac : les mots de colère sont parfois ceux qui viennent à s’étrangler dans notre gorge.
- © Rezo Films
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