Le 9 mai 2020
Une merveille de film sombre et glaçant.


- Réalisateur : Georges Lautner
- Acteurs : Francis Blanche, Yves Barsacq, Bernard Blier, Anne Doat, Danièle Delorme, Maurice Biraud, Jacques Monod, Henri Crémieux, Jacques Riberolles, Albert Rémy, Raymond Meunier, Camille Guérini, Francoise Giret
- Genre : Drame, Noir et blanc, Film de procès
- Nationalité : Français
- Distributeur : Pathé Distribution
- Durée : 1h36mn
- Date télé : 3 mai 2025 20:50
- Chaîne : Ciné+ Classic
- Box-office : 1 172 121 entrées
- Date de sortie : 18 avril 1962

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Résumé : Dans un élan de folie inexpliqué, Duval, un homme sans histoire, étrangle une jeune femme. La justice accuse un innocent de ce meurtre et le véritable assassin se retrouve juré au procès de son propre crime. Une fois le jugement rendu et l’homme acquitté, Duval va se livrer à la police afin de purger la peine qu’il mérite, mais les notables de la ville refuse de poursuivre l’un des leurs... Il va alors commettre l’irréparable pour obtenir enfin une sentence.
Critique : Le septième juré appartient à la veine secrète de Lautner, loin des barbouzeries et autres tontons qui ont fait son succès. On ne peut qu’être stupéfait en le voyant par les audaces, un peu, mais surtout par la noirceur du film, s’inscrire dans une lignée qui va de Simenon au meilleur Chabrol : voici donc un pharmacien, notable d’une petite ville, qui, entre sa femme et ses deux enfants, ses soirées au café, étouffe d’habitudes et de frustrations. L’impeccable Bernard Blier incarne à merveille ce bourgeois lymphatique, qui, devant son enseigne dit bonjour à tout le monde. Mais sur cette sociabilité tout en surface, la voix off dès le début nous rend méfiant.
Et un jour, une jeune fille, trop jeune, trop belle, représente la tentation suprême : il la tue, presque involontairement. Mais la suite, qui pourrait se prolonger en enquête, bifurque vers deux thématiques bien nettes : d’un côté le cas de conscience, de l’autre la charge sociale. Cas de conscience, c’est au début vite dit : car Grégoire Duval, dont le nom connote la banalité, s’aperçoit qu’on peut très bien vivre normalement après avoir commis un meurtre ; et la bonne société, incapable d’imaginer qu’un des siens puisse être le coupable, se charge d’en trouver un, aussi plausible qu’opportun : Sylvain Sautral, adepte de l’amour libre, photographe plus ou moins bohème, bref un ennemi des notables, un marginal, donc un homme dangereux. Évidemment, les preuves s’accumulent sans qu’on cherche vraiment à les contester.
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L’originalité du scénario est de faire du pharmacien un juré tourmenté qui, contre ses pairs, va par ses questions parvenir à innocenter l’inculpé, au grand agacement de tous, et notamment de l’avocat général interprété avec gourmandise par Francis Blanche. Lautner réussit, par un montage habile, à rythmer les scènes de prétoire, jouant de différents registres et d’ellipses soignées : c’est qu’il y a un double enjeu narratif pour le spectateur ; il faut en effet qu’il disculpe le photographe sans pour autant se trahir.
Mais à notre sens le meilleur du film se situe après, quand Duval décide de se dénoncer : là se trouve le plus fort de la charge puisque les notables ne le croiront pas (ou refuseront de le croire). Lautner ici excelle à croquer des hommes et des femmes prisonniers de leurs statuts, incapables de remettre en cause ce qui fait tenir debout la société : il est inconcevable qu’un des leurs soit déviant. Il faut dire que les acteurs sont exceptionnels : de Maurice Biraud en bavard désabusé à la raideur d’un Jacques Monod, en passant par la douceur épouvantable de Danièle Delorme, Lautner bénéficie d’un casting quatre étoiles qui incarne véritablement l’enfermement, la sclérose. La toute fin nous évoque (en mineur, soyons honnête) celle de l’admirable Europe 51 de Rossellini, dans son incroyable noirceur et son désespoir apaisé. Fugitivement, dans ce passage comme dans d’autres, (le meurtre filmé de manière presque abstraite, les images récurrentes de la porte de la pharmacie avec le nom et, en grand le mot « faculté »), on entrevoit quel réalisateur aurait pu être Lautner, s’il n’avait peu à peu renoncé à toutes ses ambitions, sa fin de carrière étant assez sinistre.
NB : Edouard Niermans a réalisé pour la télévision un remake de ce film, avec Jean-Pierre Darroussin.
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