Le 5 septembre 2014
- Réalisateur : Anup Singh
Pour la sortie du Secret de Kanwar, Anup Singh nous révèle quelques secrets de la fabrication de son film.
Pour la sortie du Secret de Kanwar, Anup Singh nous révèle quelques secrets de la fabrication de son film.
aVoir-aLire : Il vous a fallu près d’une décennie pour produire Le Secret de Kanwar. Quelles sont les difficultés que vous avez rencontrées ? Est-ce que cette longue période de production a influencé votre travail et votre perception du film ?
Anup Singh : J’ai commencé à écrire ce film il y a de cela douze ans. J’ai rencontré de nombreux producteurs qui étaient motivés et touchés par ce projet. Seulement il y avait deux points sur lesquels je ne souhaitais pas faire de concessions. Le premier étant le lieu du tournage : je voulais tourner le film dans la région du Penjab et utiliser la langue parlée dans la région, le penjabi. Quant au second point, je ne voulais pas que le casting du film me soit imposé. Les producteurs que j’avais alors contactés me proposaient des stars de Bollywood dont le jeu ne me convainquait pas tout à fait. Ce sont précisément ces deux choix qui ont fait que j’ai eu du mal à trouver des subventions pour le film. C’est ainsi que j’ai perdu cinq ans à chercher des producteurs. C’est au Festival International du Film de Rotterdam que la production du film a pris nouveau tournant. Mon premier film, The Name of a River y était projeté et j’ai parlé de mon nouveau projet à la productrice Bettina Brokemper, qui s’est montrée très enthousiaste pour soutenir mon film. Elle a réuni les fonds nécessaires et m’a aidé à constituer une équipe de tournage. Pendant cette décennie ont eu lieu en Inde de violents événements, des confrontations religieuses, des meurtres. Ceux-ci m’ont d’autant plus conforté dans l’idée de mon scénario. Après tout ce temps, j’avais plus que jamais envie de faire ce film.
Le film a été, comme vous l’avez précisé, tourné dans la région du Penjab et en penjabi. L’idée d’utiliser une langue particulière semble importante pour vous. Est-ce une façon de rester fidèle aux personnages et à votre approche du cinéma ?
En effet, il s’agit plus ici de ma vision du cinéma. Il y a une musique dans le langage, et chaque langue, avec ses spécificités, propose un rythme différent. A travers le langage, je cherche moins l’authenticité qu’une sensibilité particulière. La musique du langage donne son empreinte au film. Une autre langue aurait donné un résultat différent et un autre rythme aux scènes.
Qu’est-ce qui vous a donné l’idée du script ? Est-ce que l’ambigüité entre les genres était liée à la notion d’exil dès les premiers temps de la création du scénario ?
Oui, ces deux idées étaient très intimement liées car ce sont des éléments qui ont été très présents dans mon enfance. D’une part, l’ambiguïté des genres est une idée qui m’est apparue très tôt. Je suis issu d’une famille sikhe et dans la tradition sikhe, se couper les cheveux est tabou. C’est pourquoi j’ai longtemps porté les cheveux longs, jusqu’à mes 25 ans. Lorsque nous nous lavions les cheveux, avec mes sœurs, je ressentais les liens qui les unissaient. Elles formaient une communauté soudée et très joyeuse à laquelle je prenais partiellement part. Je voulais explorer cette porosité entre les genres à travers la chevelure, qui a une signification toute particulière pour les Sikhs. D’autre part, l’histoire de mon grand-père, qui a quitté l’Inde, sa terre natale, lors de la partition du pays en 1947, m’a énormément marquée. Mon grand-père n’est pas parti au Pakistan comme beaucoup de réfugiés, il a choisi de s’en aller bien plus loin et s’est réfugié en Tanzanie. Après cela, une certaine amertume s’est installée en lui. Comme le personnage d’Umber Singh dans le film, il n’était plus que le fantôme de lui-même. Ces deux souvenirs de ma propre histoire m’ont inspiré ce film, qui n’est autre qu’un voyage qui mène vers l’acceptation.
Nous voyons justement de nombreux portraits de femmes dans votre film. Nous voyons leur vulnérabilité, leurs contraintes, mais aussi leur force et leur courage même dans des situations où elles sont impuissantes face à l’évidente figure d’autorité : les hommes. Votre film ne parle-t-il cependant pas également des liens qui contraignent les hommes dans la société sikhe ?
Au-delà de la société sikhe, je souhaite parle des liens qui emprisonnent tous les réfugiés. Les réfugiés perdent tout sens de la réalité quand ils perdent les repères qui leur sont familiers. Et en quelque sorte, nous sommes tous des réfugiés. Le statut de réfugié amène à vouloir affirmer son contrôle sur les autres, pour pallier la perte de contrôle sur sa propre identité. La religion n’est pas le seul lien qui limite les hommes. Toute culture crée des limites pour l’homme. La notion de foyer, de terre natale, est ce qui entrave et limite tout réfugié. Les femmes et les hommes réfugiés que j’ai rencontrés et que j’ai pu interroger présentent une différence. Les femmes disposaient plus souvent de la capacité à pardonner. Elles pardonnaient leur ennemi. J’ai voulu doter les personnages féminins de mon film de cette capacité à accepter, à pardonner. Les seules limites de l’homme sont celles d’une identité prédéfinie et immuable.
Vous parliez précédemment du choix de vos interprètes. Kanwar, le personnage principal interprété par Tillomata Shome, est d’une grande force et se retrouve face à un autre personnage tout aussi difficile à interpréter : Umber Singh, le père de Kanwar, brillamment interprété par Irrfan Khan. Aviez-vous écrit le personnage du père en pensant à Irrfan Khan ?
Au tout début, j’avais bien un acteur en tête. Il était très talentueux mais il était aussi décédé depuis une dizaine d’années. Ce qui m’a attiré dans le jeu d’Irrfan Khan, c’est qu’il ne livre pas d’émotions toutes faites. Irrfan Khan n’est pas un acteur tout blanc ou tout noir qui exprime des émotions en quelque sorte prédéterminées. Son jeu révèle les conflits propres au personnage qu’il interprète et c’est ce pourquoi j’ai insisté pour qu’il incarne le père de Kanwar. Une fois convaincu d’endosser le rôle, il s’est entièrement investi dans le film et s’est montré entièrement dédié au personnage, à tel point qu’il semblait parfois possédé par son esprit. C’est un acteur qui a fait évoluer le personnage du père et qui l’a mené vers son choix, car Umber Singh, au début du film, est quelqu’un qui cherche sa voie et qui se construit progressivement. Irrfan Khan a réussi à amener cette nuance nécessaire au personnage.
Parlons justement des performances des actrices du film, comment avez-vous réussi à les diriger sur le plateau de manière à les amener vers des interprétations aussi justes ? Avez-vous eu recours à l’improvisation ?
Les trois actrices principales, Tillotama Shome (Kanwar), Rasika Dugal (Neeli) et Tisca Chopra (Mehar, la mère de Kanwar) sont des actrices extraordinaires, pleines d’esprit, très belles. Je ne voulais pas trop les diriger, leur dire quoi faire. Quand elles me demandaient comment dire telle ou telle réplique, je leur demandais de chantonner le texte pour en entendre sa musique, pour entendre la musique du langage comme la musique de la scène qu’elles avaient à jouer, ce qui a permis une certaine fluidité dans l’interprétation. J’ai voulu créer une véritable complicité entre elles pour que soient visibles à l’écran ces liens de solidarité et d’amitié entre femmes. Je leur ai donc demandé de passer du temps ensemble, d’apprendre à se connaitre, et leurs interprétations s’en sont retrouvées d’autant plus sincères. Une place importante a été laissée à l’improvisation, mais toujours dans le cadre d’une solide préparation en amont. Il s’agissait en quelque sorte d’une improvisation contrôlée.
Votre film joue très explicitement avec l’idée de frontière ; de façon ironique, c’est la création de la frontière entre deux pays qui a brouillé toutes les autres frontières : celle entre les genres, l’identité, celle entre la réalité et le rêve, entre la vie et la mort, mais aussi entre les genres cinématographiques. Est-ce votre manière de dénoncer notre tendance à vouloir poser une définition pour toute chose ?
N’importe quel genre de définition nous limite. Nous sommes faits de fantômes, des fantômes de nos parents, de notre famille, de nos amis, des gens que l’on croise… Nous sommes faits de tellement de choses que vouloir nous définir reviendrait à perdre ou du moins oublier une partie de nous-mêmes. C’est ce que j’ai voulu montrer dans le film à travers le destin d’Umber Singh : il faut aller au-delà de toute frontière.
Dans votre film, l’obscurité révèle bien plus au sujet des personnages que la lumière du jour. Était-ce une idée que vous vouliez mettre en avant depuis le début ou est-ce quelque chose qui est apparu au cours de votre travail avec votre directeur de la photographie ?
Le directeur de la photographie, Sebastian Edschmid et moi avions pris pour point de départ les paysages du Penjab et la manière par laquelle les habitants qui y vivent occupent leur environnement. Nous avons commencé à observer les maisons, où la lumière pénètre de manière très limité. L’ombre fait partie intégrante de l’environnement des habitants du Penjab et tout est fait de contrastes. Nous voulions travailler cet aspect là pour figurer à l’écran la frontière entre le réel et l’irréel.
Aviez-vous des influences visuelles pour votre film ? Aviez-vous par exemple un film ou un réalisateur précis à l’esprit ?
Je me suis énormément inspiré des peintures chinoises et japonaises, ainsi que de l’art de la miniature en Inde. Ce sont des œuvres qui observent la nature et son rythme. Je voulais reproduire le même effet dans le film et faire en sorte que ce ne soit pas l’homme qui impose son rythme à la nature mais l’inverse. Le réalisateur bengali Ritwik Ghatak et le réalisateur japonais Kenji Mizoguchi m’ont inspiré car ils célèbrent tous les deux la nature dans leur œuvre et en sont de fins observateurs.
La musique tient une place très importante dans votre démarche artistique. Comment vous êtes-vous retrouvé à travailler avec la compositrice française Béatrice Thiriet ?
C’est à la chance que je dois ma rencontre avec Béatrice Thiriet ! J’avais déjà rencontré plusieurs compositeurs mais j’hésitais encore… Thierry Lenouvel, mon producteur, est très à l’écoute de ses collaborateurs et parvient à saisir précisément ce qu’ils recherchent, c’est pourquoi il m’a proposé de rencontrer Béatrice en me disant qu’elle saurait comprendre mes attentes. Nous nous sommes donc rencontrés et elle a visionné les scènes essentielles du film. Après cela, elle m’a dit que composer une musique d’accompagnement n’était pas son intention : elle allait composer une musique qui serait l’âme du film. C’était exactement ce que je voulais et c’est ainsi que notre collaboration a commencé.
Enfin, que pouvez-vous nous dire à propos de votre prochain projet ?
Mon prochain film est un projet qui m’enthousiasme énormément, son titre est Mentra - The Song of Scorpions. Mentra pourrait être traduit par « le chant magique », « l’incantation », et raconte l’histoire d’une guérisseuse au Rajasthan qui soigne les gens par le chant. Tout l’enjeu du film sera pour elle de trouver le chant qui pourra la guérir. Irrfan Khan sera à nouveau présent à l’écran et Golshifteh Farahani participera également au film.
Propos recueillis à Paris, le 2 septembre 2014
La critique du film : ICI
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