Prix Bedeo 2012 de la bande-annonce BD
Le 11 octobre 2012
- Editeur : Soleil
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Tout d’abord je tenais à remercier Laura Iorio pour sa gentillesse et qui s’est rendue disponible pour faire cette interview à ma place (oui mon ami, j’étais agonisante au fond de mon lit avec la grippe, oui nous sommes en été, blablabla, bref, je n’ai pas pu y aller).
Laura a mené cette interview d’une main de maître.
Je remercie également mon “bopapa”qui a traduit ensuite depuis l’italien vers le français (car j’étais toujours agonisante).
Dans l’affaire, je n’ai écrit que les questions….
Merci donc à tous les deux pour cette belle rencontre.
- Le sous-titre pourrait être « chronique d’une mort annoncée » ?
A vrai dire… plutôt non. Parce que la mort de l’héroïne, Elisabeth, n’est qu’un prétexte pour pouvoir affronter en totalité la vraie thématique de END, qui est véritablement la mort, et non pas son propre décès.
-* Qui est Elisabeth ?
Si je révélais l’identité du personnage, je ne crois pas que les lecteurs apprécieraient, car cette question est le point crucial de l’histoire. Je peux seulement dire que c’est un personnage très important pour la survie de tout un chacun.
-* Pourquoi avoir choisi la période victorienne pour cette histoire ? Pour le romantisme un peu noir autour de la mort ?
Tout à fait. La période victorienne était la seule possible pour ce genre de narration.
END est pétri de romantisme et d’onirisme, deux thématiques très exaltées tant par leur philosophie que leurs aspects artistiques à la fin du XIXème siècle. De plus, j’adore l’esthétique mélancolique de cette période. Non, il ne pouvait y avoir d’autre positionnement pour END. Pour être plus précise, je dirais que je me suis largement laissée inspirer par l’idée de la mort telle qu’envisagée par les Décadents. Cette dernière était considérée comme la plus grande expression de la beauté au moment de la la fin de sa propre existence… Donc, la mort est perçue comme l’expression de la beauté maximum.
Quand nous naissons, nous ne sommes qu’une sorte d’enveloppe vide, mais au moment de notre mort, cette enveloppe (notre esprit et / ou notre âme) s’est remplie, rassasiée de souvenirs, d’expériences, et tout cela nous a inévitablement enrichi. L’acte ultime qui vient couronner le sommet de notre splendeur, en fait c’est la mort, quand on y réfléchit bien. Sur le plan graphique, c’est l’Art Nouveau qui nous a profondément inspirées, surtout pour l’architecture et les décors. Ce courant artistique exaltait la nature dans toute sa magnificence : on la retrouve partout, depuis le dessin des sièges jusqu’aux éléments décoratifs des édifices, dans le mobilier, etc. Et dans END, la nature a un rôle fondamental et primordial.
- Quelles ont été vos influences pour cet album ? (Shelley ? Brontë ? Caroll ? Rossetti ? Watherhouse ? Millais ?)
Bien évidemment les Pré-Raphaëlites et les artistes que vous avez mentionnés ont eu un rôle fondamental, mais nos véritables références artistiques sont plutôt à chercher auprès d’illustrateurs aussi importants que Dulac, Bauer et Rackham. Notre réflexion première était de reproduire l’univers des images de Rackham, sa technique et de les réinterpréter au vu de nos exigences plus modernes. Ou aussi des peintres flamands des plus connus comme J. Bosch ou les maniéristes Paolo Uccello ou Arcimboldo Arcimboldi.
En revanche, pour ce qui concerne les écrivains, j’ai une véritable passion pour la littérature sud-américaine : Gabriel Garcia Màrquez, Luis Sepùldeva et Isabel Allende ("auteure" que j’adore et que je recommande chaudement), accompagnés de R. Dahl, F. Kafka et G. de Maupassant.
Si je devais vous dire aujourd’hui ce que je souhaiterais que devienne Barbara Canepa dans dix ans, sans hésiter, je vous dirais une "écrivaine". Je voudrais me consacrer uniquement à l’écriture. Pour moi, les mots sur le papier ont un pouvoir immense, unique, magique… ! En lisant un roman ou un récit, chacun de nous a la possibilité d’imaginer la même histoire de mille et mille façons différentes. Avec la bande dessinée, çà ne peut pas se produire, parce que nous sommes distraits par les belles images qui captent notre imagination. Même si l’histoire n’est pas sublime. Dans ce cas, les images prennent le pas sur l’écriture. Avec un roman, c’est impossible : si le lecteur n’est pas saisi dès les premières pages, il ferme le livre et c’est fini.
Il me semble qu’émouvoir quelqu’un uniquement avec des mots soit une chose vraiment inégalable… Un peu comme avec la musique, un autre art que j’aurais voulu maîtriser et que pourtant j’ai abandonné à l’âge de treize ans (j’étudiais le piano).
-* Pourquoi ce travail à 4 mains ?
Parce que seule je n’arriverais pas à terminer mes ouvrages ! J’exige trop de moi-même, je m’impose toujours d’atteindre des niveaux de qualité trop élevés et souvent je me démoralise, ce qui me bloque. J’ai un besoin permanent de stimulation, d’avoir à côté de moi une personne qui me motive et, de façon tout aussi importante, j’aime communiquer et échanger les points de vue et ce jeu de ping-pong d’informations est vital pour moi, pour tout projet.
- Comment avez-vous travaillé ?
Il est difficile de dire où finit le travail de l’une et où commence le travail de l’autre. Parfois, il arrive que sur la même page, j’ai entièrement travaillé certaines cases et elle les autres…
Bien évidemment, le point de départ est l’histoire, le scénario, mais même cela (la seule partie que j’ai vraiment gérée toute seule) peut être modifié par la vision d’Anna, avec l’addition de nouveaux éléments ou même de scènes de son cru.
Après cette étape, Anna jette les bases des storyboards que je visionne à mon tour, en intervenant parfois, et même en les redessinant ; successivement, on passe au crayonnage proprement dit et à l’encrage (dont Anna s’occupe exclusivement parce que c’est pas vraiment mon truc ! Je hais l’encrage). A ce stade, il ne reste plus que la couleur.
Anna réalise la première version à l’aquarelle, puis m’envoie les planches par la poste (parce qu’elle vit en Italie et moi en France) sur lesquelles j’ajoute d’autres éléments à "l’ecoline", c’est à dire à la main. Puis viennent la numérisation et la vérification des planches et enfin (le plus long), la mise en couleurs avec Photoshop. Chaque page demande au moins 4 à 6 jours de travail à la main et presque autant avec l’ordinateur. Sans compter les imprévus divers que ce genre de travail comporte. Par exemple, que j’ai dû redessiner des pages entières sur l’ordinateur parce que l’encre (verte) utilisée par Anna (bien que très belle et tout à fait particulière) a parfois la bizarre caractéristique de disparaître à la numérisation ! Ou encore, de changer d’avis sur la couleur d’une séquence alors même qu’elle est achevée. Par exemple, la séquence qui commence à la page 44 apparaît au final de nuit, mais initialement tout se déroulait de jour, ce qui fait que, une fois le travail terminé, j’ai repris toute la séquence et je l’ai recoloriée de fond en comble, passant du jour à la nuit…
Vous voyez bien que END est un projet qui demande et a demandé beaucoup de temps. Avant même de commencer le travail matériel sur les pages, Anna et moi avons employé une année entière rien que pour en créer l’univers et les personnages qui en font partie.
Nous nous sommes investies totalement, comme des folles, faisant la tournée de divers cimetières d’Europe, armées de patience et d’un appareil photographique, prenant des photos et nous documentant le plus possible et … dessinant, dessinant !
Chaque cimetière a une "âme" qui lui est propre : aucun cimetière n’est identique à un autre et ce fut dans le cimetière monumental de Staglieno à Gênes que nous avons trouvé ce que nous cherchions pour END. C’est un lieu merveilleux que je conseille vivement de visiter, il s’étend sur les pans entiers d’une colline et c’est le plus grand cimetière victorien au monde.
Ce projet est très important pour moi (nous). Nous l’avons proposé aux Editions du Soleil en 2005, mais où nous n’avons signé qu’en 2007. Le premier tome a demandé deux ans de travail intensif avec des hauts et des bas (entre 2007 et 2008, j’ai été très occupée par le lancement des collections "Métamorphose" et "Venusdea", donc j’ai ralenti le rythme sur END, et pas seulement…). Ceci pour vous dire que le tome 2 n’est pas envisagé avant 2014.
-* Qu’est ce que faire son deuil selon vous ?
Je crois que END est ma façon d’exorciser la peur immense que j’ai de la mort, ou plutôt de la souffrance et de la maladie. Chacun de nous a ses peurs et sa méthode personnelle pour les exorciser. Dans les cas extrêmes, certains en sont poussés à l’autodestruction (dépression qui conduit à l’alcool, la drogue, etc.) et pour nous les artistes s’ouvre parfois la voie de la "création" : l’art. La plupart du temps, nous n’aimons pas le monde dans lequel nous vivons et donc, nous en inventons d’autres qui pourraient devenir le "nôtre".
Ce n’est pas seulement la peur de la souffrance physique qui m’effraie mais le fait de savoir qu’à plus ou moins long terme, ceux que j’aime vont me laisser pour toujours. Même dans les instants de très grand bonheur, j’ai toujours tendance à m’attrister parce que, tôt ou tard, le bonheur est inévitablement destiné à disparaître… La vie est éphémère, comme le plaisir ou la joie.
Pourtant, il faut savoir accepter ses propres peurs et ses propres traumatismes et faire en sorte de vivre avec le plus harmonieusement possible. Moi, avec END, j’ai voulu donner un sens à ma peur la plus profonde et peut-être un jour l’accepter comme inévitable. La mort, un jour ou l’autre, me privera de tout ce que j’aime, elle viendra et mettra un terme à ma vie et de ce fait même, c’est mon devoir du moment de jouir du mieux possible de ce que j’ai. D’une certaine façon, la conscience de la fin de toute vie par la mort rend plus intéressants et plus précieux ma vie quotidienne et mon présent.
Laura Iorio et Michel-Georges Choux
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