Le bluff de l’intelligence en images
Le 25 février 2021
Scénariste émérite de The Social Network et Steve Jobs, devenu aujourd’hui réalisateur, Aaron Sorkin démontre bien des talents dans sa construction d’un personnage particulièrement doué et intelligent, interprété ici par une Jessica Chastain toujours resplendissante. Un doublé gagnant, quoi qu’un peu factice.
- Réalisateur : Aaron Sorkin
- Acteurs : Kevin Costner, Idris Elba, Jessica Chastain
- Genre : Thriller
- Nationalité : Américain
- Distributeur : Société nouvelle de distribution (SND)
- Durée : 2h20mn
- Date télé : 25 février 2021 23:25
- Chaîne : Chérie 25
- Titre original : Molly's Game
- Date de sortie : 3 janvier 2018
Résumé : La prodigieuse histoire vraie d’une jeune femme surdouée devenue la reine d’un gigantesque empire du jeu clandestin à Hollywood ! En 2004, la jeune Molly Bloom débarque à Los Angeles. Simple assistante, elle épaule son patron qui réunit toutes les semaines des joueurs de poker autour de parties clandestines. Virée sans ménagement, elle décide de monter son propre cercle : la mise d’entrée sera de 250 000 $ ! Très vite, les stars hollywoodiennes, les millionnaires et les grands sportifs accourent. Le succès est immédiat et vertigineux. Acculée par les agents du FBI décidés à la faire tomber, menacée par la mafia russe décidée à faire main basse sur son activité, et harcelée par des célébrités inquiètes qu’elle ne les trahisse, Molly Bloom se retrouve prise entre tous les feux…
Critique : Et si Aaron Sorkin n’avait pas besoin de réalisateur pour mettre en images ses scénarios ? Après tout, The Social Network, le film qui a fait connaître son nom au grand public, est assurément la moins « fincherienne » des réalisations de David Fincher. Et les longs métrages qu’il a scénarisés par la suite n’ont fait qu’appuyer cette hypothèse selon laquelle son influence rendrait difficile aux cinéastes avec qui il travaille d’imposer leur propre patte.
Sa première réalisation est donc une excellente opportunité d’observer ce qu’est vraiment le « style Sorkin » et donc de mieux comprendre son travail sur ses précédents films. Et justement, dès la scène d’ouverture, il apparaît évident que ce qui l’anime est une illustration minutieuse de ce qu’il a couché sur papier. Le sur-découpage hyper-rythmé et la voix off qui dynamisent cette introduction marquent bien la superficialité explicative que nécessite mécaniquement son écriture didactique. La suite ne va faire que confirmer que celle-ci prend ostensiblement le dessus sur la mise en scène. Fort heureusement, son écriture n’est pas seulement didactique, elle est aussi captivante.
Comme à son habitude, ce que nous raconte Sorkin est le parcours d’une personne particulièrement intelligente, en se donnant pour priorité de rendre limpide cette histoire vraie et complexe, et ainsi donner à ses spectateurs l’illusion d’être temporairement aussi malins que ce personnage. En l’occurrence, son héroïne est Molly Bloom, l’organisatrice de parties de poker clandestines. Le dispositif de la réalisation s’évertue donc à expliquer comment cette ancienne skieuse est parvenue à s’imposer dans un univers qui n’était pas le sien.
- Copyright SND
Dans un souci de fluidité démonstrative, la voix off et le montage parviennent donc à expliquer et développer clairement la mise en place de telles soirées poker. Le pouvoir de simplification sur laquelle Aaron Sorkin bâtit sa mise en scène se traduit, du côté du public, par une inévitable fascination pour la découverte des ficelles de ce monde qui lui paraissait inaccessible.
Qu’il soit ou non amateur de poker, le spectateur a du mal à ne pas se laisser happer par le plaisir de comprendre ses parties et leur organisation clandestine, et évidemment par les sommes d’argent astronomiques qui s’y jouent et l’idée d’y voir réunis des célébrités. L’écriture de Sorkin ne se limite heureusement pas à une vulgaire leçon de jeu de cartes et d’entrepreneuriat illégal. Il réussit également à entrelacer les arcs temporels, faisant du récit principal un long flashback (justifiant ainsi sa dimension explicative), lui-même entrecoupé de retours sur la prime jeunesse de l’héroïne. Cette narration anti-chronologique permet de mieux comprendre sa personnalité ainsi que les enjeux du thriller juridique qui va devenir le cœur du dernier tiers du film.
La véritable bonne idée de Sorkin dans son adaptation des mémoires de Molly Bloom est d’avoir fait de la phrase d’ouverture, selon laquelle « tous les noms ont été changés », le principal enjeu de l’intrigue finale. Toutes les pressions, juridiques et morales qui vont s’abattre sur cette femme, sont en effet autour de l’idée de dissimuler ou non les noms des joueurs qui fréquentaient ses soirées. La présence de stars de Hollywood que Sorkin connaît forcément l’a mené à jouer sur cette question délicate avec un souci de dissimulation qui frôle le méta-film.
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Pourtant, la dernière demi-heure du film, n’étant plus alimentée par le discours explicatif du flashback, souffre alors cruellement de l’absence d’un véritable réalisateur aux commandes. La baisse brutale de rythme n’est en aucun cas contrebalancée par une mise en scène qui saurait faire naître un certain suspense, et la photographie terne signée par la Danoise Charlotte Bruus Christensen devient soudain flagrante.
Mais, au fait, Jessica Chastain, on en parle ? C’est tout de même elle qui tient tout le film sur ses épaules. Bien qu’habituée aux rôles de femmes fortes, jamais elle n’aura su mêler une personnalité aussi complexe à un charme glamour comme elle le fait dans la peau de Molly Bloom. Mais ceci s’avère encore une fois n’être qu’un artifice pour maintenir le spectateur captivé, puisqu’il devient vite une évidence que, dans chacune des scènes où elle partage l’écran avec un des rares personnages secondaires, c’est ce dernier qui lui vole automatiquement la vedette.
Le sex-appeal –appuyé par ses décolletés plongeants– de l’actrice n’est en fin de compte qu’une des bonnes idées, qui semblent avoir été pensées dès la phase d’écriture, permettant de rendre si captivante l’illustration de ce scénario démonstratif. Ainsi, même si un réalisateur plus expérimenté aurait pu amoindrir les défauts de ce Grand Jeu, il ne fait aucun doute qu’Aaron Sorkin lui aurait laissé, encore une fois, une faible marge de manœuvre. Mieux vaut alors pour tout le monde qu’il continue à faire sa tambouille lui-même, le résultat est en fin de compte bien assez plaisant pour faire la fine bouche et regretter qu’il ne soit pas signé par un nom finalement moins bankable que Sorkin.
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Marla 7 janvier 2018
Le grand jeu – la critique du film
Nous sommes beaucoup plus enthousiastes que vous : http://bit.ly/2CRYiNp
mobby 24 janvier 2018
Le grand jeu – la critique du film
Sans vouloir parler du contenu de la critique , on dira que pour la forme, bien rythmée avec des phrases courtes et/ou fermées , vous vous etes bien prétés au jeu ,bien que temporairement 😊.