Le Goût d’Emma - La chronique BD

Après une assimilation plutôt indigeste des nomenclatures de notations du guide au "Bibendum blanc fait de pneus", Emma effectue sa première tournée en France. Chaque jour, deux menus, une nuit à l’hôtel.
Ingurgiter des plats - pas forcément bons -, mijoter son rapport de visite, ne lui fait pas peur. Bouffer du kilomètres en voiture, ne pas savourer une soirée en amoureux à cause de son travail, non plus ... par contre ce qu’elle ne sait pas c’est qu’elle va déguster quelque peu, face à la misogynie du milieu et ses a priori.

Au fil des visites elle se trouve confrontée au stress des chefs, à l’enjeu économique primordial pour ces derniers d’être reconnus par le Guide Michelin, et surtout, surtout... qu’on ne retire jamais leurs étoiles qu’ils ont déjà durement acquises.
Pression et passion (pas le fruit entendons-nous) sont les maîtres mots du quotidien des hommes à la grande toque.
Et notre inspectrice soucieuse des conséquences de son jugement sur les entreprises qu’elle visite doit faire face aux doutes et aux remords, bien qu’elle essaie toujours de rester professionnelle.

Le plus dur pour le lecteur sera de ne pas baver sur les pages de ce roman graphique car il titille nos papilles gustatives grâce aux dessins de la japonaise Kan Takahama. Le réalisme de certains plats est-il dû à un mélange de photos et croquis ? Cependant, on imagine mal un chef français réagir à la façon traditionnelle de personnages mangas - dont c’est le style de l’ouvrage : visage perlé de transpiration, levant les mains au ciel, bouche déformée, yeux exorbités et bégayant à la vue de l’inspectrice du sacro-saint guide culinaire pourpre… engoncés que ces derniers sont dans leur veste blanche de travail, toqué de toute la fierté française les caractérise.

Quelle frustration de ne pas avoir d’échantillon de ce que l’inspectrice goûte, hume, regarde, renifle, mâchouille, déglutie…. Ou pas… mais le parcours d’Emmanuelle Maisonneuve reste exceptionnel et impressionnant.
Avec la complicité de Julia Pavlowitch, elle nous livre un récit passionnant de son voyage à travers un des sens les plus jouissifs de l’être humain et l’on voudrait qu’il ne s’arrête jamais.
Et quand Emma est en vacances, naturellement elle part au pays du Soleil-Levant pour y découvrir... la gastronomie et revenir aux fondamentaux de la culture culinaire.

Dans sa quête de justesse, elle aura à cœur de découvrir une autre cuisine et de faire évoluer les goûts ce qu’elle réussira haut la main lors de son premier passage en commission devant ses collègues pour défendre deux restaurants atypiques du Sud-Est, sous les quolibets de ses confrères masculins … cela va sans dire !
Une question cependant subsiste à la fin de la lecture de cet opus (espérons qu’il y en aura au moins quatre, comme les quatre années de collaboration d’Emmanuelle Maisonneuve au Guide Michelin) : pourquoi diable le monde de la cuisine, qui est plutôt inscrit dans notre ADN comme un héritage maternel, est-il un territoire d’hommes, dans lequel la femme n’a que très peu de place ?