Le 29 mai 2025
– Année de production : 1969


- Réalisateur : Marcel Ophuls
- Genre : Documentaire, Historique
- Nationalité : Français, Allemand, Suisse
- Distributeur : NEF - Nouvelles Éditions de Films
- Durée : 4h11mn
- Date de sortie : 5 avril 1971

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Un documentaire essentiel sur la France collaborationniste sous l’Occupation, longtemps interdit de diffusion à la télévision, et qui est aujourd’hui une référence majeure.
Résumé : En partant de l’étude du cas de Clermont-Ferrand, le film dresse la chronique de la vie d’une ville de province entre 1940 et 1944. Ce film, constitué essentiellement d’entrevues, est la première plongée effectuée dans la mémoire collective française sur la période de l’occupation allemande au cours de la Seconde Guerre mondiale. À une idéologie qui ne faisait pratiquement état jusque-là que des faits de résistance, Ophüls permit de mettre l’accent sur des comportements quotidiens beaucoup plus ambigus à l’égard de l’occupant, voire de franche collaboration...
Critique : Produit par André Harris et Alain de Sédouy, Le chagrin et la pitié est, à l’instar Shoah de Claude Lanzman, un documentaire majeur sur la Seconde Guerre mondiale. Son réalisateur, Marcel Ophüls, était le fils de Max Ophüls. On doit à ce dernier, cinéaste allemand ayant fui l’Allemagne antisémite pour aller travailler aux États-Unis puis en France, des films essentiels du septième art, de Liebelei à Lola Montès. D’abord assistant réalisateur (notamment pour son père) puis auteur de longs métrages de fiction mineurs (Peau de banane), Marcel Ophuls s’est lancé dans ce projet-fleuve ayant impliqué des financements français, ouest-allemand et suisse, le long métrage ayant d’abord été diffusé à la télévision allemande en 1969. Le film évoque une page sombre de notre mémoire, à savoir l’Occupation et le régime de Vichy, à travers des entretiens et des images d’archives qui pour la plupart n’avaient jamais été montrées après la guerre. Sous-titré « Chronique d’une ville française sous l’Occupation », et composé de deux parties, Le film met en avant Clermont-Ferrand, et donne la parole à plusieurs personnalités ou anonymes témoignant de la période : ex-résistants, ex-collaborateurs ou ex-militaires sont au cœur d’entretiens ayant été réalisés pendant la campagne sur le référendum de 1969. Les informations apportées par les protagonistes sont essentielles.
Matthäus Bleibinger, ancien soldat allemand, ne regrette pas de porter ses décorations militaires le jour du mariage de sa fille ; Anthony Eden, ancien politique anglais, éclaire sur les stratégies de Londres pendant la guerre ; les frères Grave, agriculteurs, informent sur les réseaux de Résistance en milieu rural ; Pierre-Mendès France raconte avec dignité son procès et son évasion. D’autres témoins informent sur les compromissions, délations et discours de haine, entre un extrait de l’ignoble Juif Süss de Veit Harlan et des images de spectacles parisiens donnés à l’intention des nazis. Le chagrin et la pitié fut un pavé dans la mare, tant il démystifia l’image, véhiculée depuis la Libération, d’une France unanimement résistante et soudée autour du Général depuis l’appel de Londres. Entre 1940 et 1943, la majorité silencieuse fut pétainiste, et une partie de la population clairement collaborationniste, à la botte d’un pouvoir nationaliste d’extrême droite et antisémite qui cherchait à redorer le blason du pays après la défaite militaire de 1940. Autant dire que Le chagrin et la pitié déclencha des polémiques, dans des milieux de tous bords, par la libération de la parole et de la mémoire qu’il mettait clairement en scène. On peut dire que bien des fictions postérieures n’auraient pas vu le jour sans l’influence du documentaire : on pense en particulier à la France collaborationniste décrite par Louis Malle dans Lacombe Lucien ou Joseph Losey avec (Monsieur Klein). Interdit à la télévision française pendant douze ans, Le chagrin et la pitié n’y fut diffusé qu’en 1981, après l’élection de François Mitterrand à la présidence de la République. Entre-temps, le film avait été nommé à l’Oscar du meilleur documentaire, trophée de gagnera Marcel Ophüls pour Hôtel Terminus (1988), sur l’activité de Klaus Barbie à la Gestapo.