Le 1er octobre 2018
Pour ces marivaudages et ses secrets de famille empreints de trahisons, la réalisatrice Valeria Sarmiento brosse le portrait subtil et passionnant d’une Europe de fin de siècle, le XVIIIème siècle, avec la grâce et la délicatesse de Philippe Watteau ou Jean-Honoré Fragonard.
- Réalisateur : Valeria Sarmiento
- Acteurs : Stanislas Merhar, Niels Schneider, Lou de Laâge, Jenna Thiam
- Nationalité : Français, Portugais
- Distributeur : Alfama Films
- Durée : 2h21mn
- Date de sortie : 3 octobre 2018
Résumé : Le récit des aventures, au crépuscule du XVIIIe siècle, d’un couple singulier formé par un petit orphelin aux origines mystérieuses et sa jeune nourrice italienne à la naissance pareillement incertaine. Ils nous entraînent dans leur sillage à travers l’Europe : Rome, Paris, Parme, Venise, Londres... Toujours suivis, dans l’ombre et pour d’obscures raisons, par un Calabrais patibulaire et un inquiétant cardinal, ils nous font côtoyer de ténébreuses intrigues au Vatican, le marivaudage à la cour de Versailles, les affres d’une passion fatale, un funeste duel et les convulsions de la Révolution française.
Notre avis : Quand on aborde une telle œuvre cinématographique, il est difficile de résister à l’évocation de sa réalisatrice. Valeria Sarmiento est d’origine chilienne. Elle est rentrée dans le cinéma par l’intermédiaire de Raoul Ruiz dont elle était non seulement la compagne, mais aussi la monteuse de ses films. Elle terminera même la dernière œuvre de Ruiz, Les lignes de Wellington après la disparition soudaine du cinéaste de génie. Elle cumule ainsi une filmographie impressionnante depuis les années 1972, autant au cinéma qu’à la télévision, où elle alterna séries et téléfilms. Valeria Sarmiento n’en est donc pas à son coup d’essai. Une évidence qui vient immédiatement à l’esprit en visionnant ce Cahier noir tellement l’œuvre se montre aboutie, dans la conduite du récit comme dans son traitement esthétique.
- © 2018 Leopardes Distribution - Alfama Production et Distribution. Tous droits réservés.
Car Le Cahier noir est d’une impressionnante beauté. Pas un plan n’échappe à une réflexion profonde et méticuleuse sur la lumière, la couleur, le son, la photographie et la position de la caméra. La réalisatrice réussit le pari risqué de donner à voir une variété de pays européens, comme la France, l’Italie et l’Angleterre, via le prisme exclusif d’appartements luxueux de personnages riches, de leurs jardins et déambulations en calèches. Le choix est donc fait d’une mise en scène résolument sobre où, par exemple, la Révolution française est montrée, non pas dans une tempête d’effets spéciaux et de figurants, mais dans les passages discrets de quelques soldats ou de citoyens sur les bords des routes. Il n’en demeure pas moins que la violence de la guerre, la cruauté des sentiments parcourent d’un bout à l’autre cette histoire de passion, sans que jamais la réalisatrice n’ait besoin d’en faire la démonstration.
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Nous sommes à la fin du XVIIIème siècle. Le romantisme du siècle à venir affleure lentement à travers les personnages, et notamment celui de la nourrice, interprétée par Lou de Laâge, lumineuse et sensible. Celle-ci incarne la fin annoncée du rationalisme des Lumières et cède à la mélancolie des paysages et le bouleversement des émotions. Même la guerre civile qui brutalise la France est l’occasion d’exprimer le destin d’une héroïne de roman pour cette jeune femme, absolument magnifique, qui s’égare entre une maternité avortée, des amours empêchées et une paternité obscure. Contre toute attente, Stanislas Merhar incarne un cardinal sombre et intriguant. Le fameux cahier noir dont il est mention dans la première séquence devient pour son personnage le témoin de l’histoire des capitales européennes de l’époque, où il tente de se sauver de ses propres démons et de protéger cette fragile nourrice d’elle-même. Il est un caméléon de la noblesse, capable de se transformer en religieux, en marchand et même en révolutionnaire bourgeois.
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On saluera le travail merveilleux qui est apporté à la confection des costumes et des décors. Un film historique ne saurait souffrir d’une pénurie de moyens, sauf à verser dans le mauvais goût. Ici, une attention extraordinaire est donnée aux intérieurs des appartements, aux couloirs napoléoniens, aux jardins à la française ou à l’anglaise, et aux robes que portent les actrices. On perçoit bien l"ambition artistique qui cherche, non pas tant le réalisme historique, que la description de la confusion des sentiments à la façon d’un roman. La réalisatrice s’attache à rendre chaque séquence la plus parfaite possible, jusqu’à cette scène finale où les cheveux de l’héroïne se fondent à l’écorce d’un arbre, symbolisant finalement, qu’en dehors de l’Art et du Beau, les choses sont sans importance.
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FafanLeFanu 9 octobre 2018
Le cahier noir - la critique du film
Merci pour votre critique, sans laquelle je ne serais probablement pas allé voir ce film, privilégiant "un peuple son roi" à la place, plus médiatisé, et surtout plus facilement visible,"le Cahier noir" n’ayant que deux salles à Paris.
Et quelle erreur cela aurait été, de passer à côté de ce film magnifique !
Les plans sont brillamment pensés et éclairés, et de ce point de vue le film est une succession de tableaux somptueux. D’ailleurs sauriez vous comment on obtient cette coloration rosâtre qui intensifie autant les rouges ? Par un étalonnage numérique en post-production ou un filtre ?
L’intrigue est passionnante (même si on ne connaîtra pas l’identité du père de l’enfant au final, ou alors je n’ai pas été assez attentif) et il est agréable de voir se dénouer les fils de l’intrigue, et voir comment tous ceux-ci sont liés par le même thème.
Finalement le manque de moyen permet peut-être de ne pas trop digresser (les figures historiques qui apparaissent sont plus des outils scénaristiques ayant une fonction unique plutôt que des personnages)et de livrer un film, certes plus resserré, mais d’autant plus émouvant.