Alice au pays des merveilles
Le 28 décembre 2014
C’est le 5ème long-métrage de Julie Lopes-Curval : un joli film qui revisite de façon juste et touchante l’éternelle histoire de l’amour entravé par les conventions sociales.
- Réalisateur : Julie Lopes-Curval
- Acteurs : Sergi López, Aurélia Petit, Ana Girardot, Baptiste Lecaplain, Bastien Bouillon, India Hair, Stéphane Bissot, Lawrence Valin, Blanche Cluzet, David Houri, Jean-Alain Velardo, Coralie Jouhier
- Genre : Comédie dramatique
- Nationalité : Français
- Editeur vidéo : Pyramide Video
- Durée : 1h35mn
- Titre original : Le beau monde
- Date de sortie : 13 août 2014
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Sortie DVD : le 6 janvier 2015
C’est le 5ème long-métrage de Julie Lopes-Curval : un joli film qui revisite de façon juste et touchante l’éternelle histoire de l’amour entravé par les conventions sociales.
L’argument : Alice, 20 ans, vit à Bayeux. Elle travaille la laine, crée des teintures, confectionne des vêtements. Elle ne sait que faire de ce talent inné, jusqu’à ce qu’elle rencontre Agnès, une riche parisienne, qui l’aide à intégrer une prestigieuse école d’arts appliqués. Alice laisse tout derrière elle pour aller vivre à Paris. Elle y rencontre Antoine, le fils d’Agnès. Entre eux nait une passion amoureuse. Antoine trouve chez Alice une sincérité et une naïveté qui l’extraient d’un milieu bourgeois qu’il rejette. Alice, grâce à Antoine, découvre de l’intérieur un monde qui la fascine, « le beau monde ». Il lui offre sa culture, elle se donne à lui toute entière. Au risque de se perdre...
Notre avis : Une fille et un garçon s’aiment mais leur amour est impossible car ils viennent de deux milieux différents. C’est une des plus vieilles histoires du monde. Dans Romeo et Juliette (la tragédie matricielle du genre), le milieu était celui du sang qui fonde la lignée. Révolution oblige, désormais la distinction est distinction de classe. Elle est aussi culturelle, mais les deux vont de paire. Après tout, s’il faut en croire Bourdieu, la culture considérée comme supérieure est toujours la culture d’une classe dominante. Imposant des valeurs qu’elle maîtrise mieux (Bourdieu parlait de capital culturel) à toutes les classes de la société via l’école ou les médias, elle garantit ainsi sa perpétuation. On se souvient du final de La cérémonie où les personnages interprétés par Isabelle Huppert et Sandrine Bonnaire dézinguaient à coups de fusils la bibliothèque des bourgeois qu’ils venaient de massacrer : tout un symbole. La culture au lieu de libérer peut donc parfois conforter un rapport de pouvoir. Mais peut-être que toute histoire d’amour sous-tend un tel rapport ? L’amour peut-il s’épurer et dépasser tous les clivages ou alors sera-t-il toujours conditionné par l’arrière plan qui le sous-tend ? Vaste sujet...
- © Pyramide Distribution
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Il faut croire que la question de la contrainte sociale face à l’amour fascine toujours autant les réalisateurs car depuis quelques mois elle a été l’objet de plusieurs films en vue. Dans La vie d’Adèle le désir s’essouffle et la pauvre Adèle finit rejetée du fait de sa classe. Dans le film de Lucas Belvaux Pas son genre, un philosophe aime une coiffeuse, mais il ne se voit pas s’engager avec elle car elle n’est pas à sa mesure. Le beau monde raconte presque la même histoire. Alice est une jeune fille vivant en HLM. Elle tombe amoureuse d’Antoine, un jeune homme issu de la petite bourgeoisie. Il est beau, intelligent et cultivé. Mais Alice a bien du mal à se faire une place dans le beau monde et peu à peu Antoine va se lasser de cette jolie fille qui s’accroche trop à lui. Certains diront que c’est du déjà-vu. Mais la force de l’art tient justement dans sa propension à explorer une histoire mille fois rabâchée sous une perspective toujours renouvelée. Si on ne comprend pas ça, on ne peut pas comprendre pourquoi il y a tant de tableaux religieux passionnants (alors qu’ils ne racontent rien de neuf). Julie Lopes-Curval a un véritable point de vue. Elle filme avec délicatesse l’itinéraire des deux amoureux en privilégiant le regard sur la jeune fille Alice. Le film n’est sans doute pas un chef d’œuvre dans le sens où il n’ouvre pas sur un univers singulier (comme pourrait le faire un film de Rohmer sur l’amour) mais il a la qualité du travail d’un très bon artisan. C’est un peu comme le charme des broderies d’Alice. Elles donnent au monde une note de beauté en mode mineur alors qu’Antoine ne jure que par la beauté des grandes idées. On sourit lorsqu’on l’entend dire que le HLM d’Alice est beau. Cette beauté là est une construction mentale et cadre mal avec la réalité du bâtiment. On dirait que la réalisatrice nous convie à transformer notre regard pour justement mieux cadrer avec les choses. Il y a peut-être plus d’émotion dans la simplicité d’une approche humble de la beauté que dans sa vision intellectuelle et abstraite.
- © Pyramide Distribution
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Il est sans doute là le point fort du film : dans cette capacité de l’auteur à nous faire ressentir des sentiments en creusant le réel, sans avoir recours à des envolées tragico-lyriques ou à des séquences formellement fortes. C’est ce qui le différencie de La vie d’Adèle ou Pas son genre. Le film de Kechiche est traversé par des scènes violentes (violence du désir, violence du rejet) qui lui donnent un côté tragique. Pas son genre a bien l’aspect réaliste qu’on trouve souvent dans des films belges, mais il a des airs de conte (on imagine mal dans la vie réelle une rencontre entre des personnes aussi opposées. C’est dommage mais c’est comme ça) et par ailleurs il a recours à un certain formalisme référencé : on pense aux parenthèses enchantées où Emilie Dequenne chante, qui nous renvoient aux films de Demy. La musique en soulignant les émotions peut exprimer bien des choses mais dans la vraie vie, quand on est triste ou heureux, il n’y a pas de musique. Certes dans Le beau monde il y a une bande son (composée par Sebastien Schuller, on peut aussi entendre une chanson de Françoise Hardy) mais la musique est discrète, jamais envahissante. Julie Lopes-Curval s’en tient donc à l’approche réaliste, et elle le fait vraiment très bien. On croit à l’histoire, on croit aux deux personnages incarnés par des jeunes acteurs prometteurs, Ana Girardot (le fantasme adolescent dans Simon Werner a disparu) et Bastien Bouillon. Et puis il y a de la lumière, de l’espoir, ce qui nous change du pessimisme chic qui est souvent l’apanage des artistes dits « sérieux » (ils ont sans doute trop lu Schopenhauer et ses disciples).
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Car derrière le récit de l’échec d’une histoire d’amour, il y a aussi un récit initiatique. C’est l’histoire d’une personne qui se construit. La douleur mène au-delà des apparences. Elle est peut-être l’ingrédient qui nous éloigne de la beauté de surface pour nous mener à la beauté véritable des choses. Alice sort grandie de son histoire et finalement malgré l’échec un lien entre les deux amoureux peut perdurer. Ce double aspect réaliste et optimiste fait penser à Un amour de jeunesse (Mia Hansen-Love) ou aux films des frères Dardenne, même si les films des deux frangins ont une approche plus métaphysique de l’espoir. En somme, l’air de rien Le beau monde nous fait espérer et nous réconcilie avec la douleur en nous montrant comment elle peut parfois nous rendre plus fort, plus libre. C’est un film salutaire sans tape-à-l’oeil, un presque rien enchanté qui ne fera sans doute pas des millions d’entrées mais qui rassure. Certes il ne changera pas le monde mais il impose sa propre nécessité.
Les suppléments
– Making-of (15mn)
Son :
– Version française - sous-titres pour sourds et malentendants (2.0 et 5.1)
Galerie Photos
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