Visionnaire ?
Le 7 avril 2011
Une curieuse anticipation politique réalisée en Autriche en 1924.
- Réalisateur : Hans Karl Breslauer
- Acteurs : Hans Moser, Johannes Riemann, Anny Milety, Gisela Werbezirk
- Genre : Film muet
- Nationalité : Autrichien
- Date de sortie : 25 juillet 1924
- Plus d'informations : http://derstandard.at/1220458463525...
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– Titre original : Die Stadt ohne Juden
– Durée : 1h20mn
Une curieuse anticipation politique réalisée en Autriche en 1924.
L’argument : Dans la république d’Utopia c’est la crise : la spéculation financière entraîne inflation, chômage et manifestations de rue. Autour des chopes de bière dans les bistrots on a trouvé la solution : il faut expulser les juifs. Le chancelier ne tarde pas à se rallier à l’opinion dominante et la loi est votée en un tour de main. Le pays, privé de la plupart de ses forces motrices et de l’argent des investisseurs étrangers, s’installe dans la médiocrité autarcique sans sortir de la crise pour autant. La loi finit par être révoquée.
Notre avis : Au départ il y a un best-seller satirique de l’écrivain Hugo Bettauer publié en 1922. L’auteur, né en 1872 et assassiné en 1925 par un sympathisant nazi, imagine les conséquences possibles de l’antisémitisme régnant en Autriche et particulièrement virulent en cette période de grave crise économique. Quoi de plus simple que de résoudre les problèmes en se débarrassant de ceux que l’opinion publique considère presque unanimement comme responsables de tous les maux : les juifs. Le film semble suivre d’assez près le roman mais, pour atténuer les risques de heurts pendant les projections, l’action a été transposée dans un pays imaginaire nommé tout simplement Utopia. Cependant, toute ressemblance n’est nullement fortuite : le chancelier de la république d’Utopia ressemble par bien des traits à Ignaz Seipel, figure dominante de la vie politique autrichienne de l’entre deux-guerres, les extérieurs viennois sont parfaitement identifiables et toute la typologie des lieux (cafés, intérieurs bourgeois) et des personnages est indiscutablement autrichienne. Cela fait ressortir particulièrement la « normalité » de l’antisémitisme dans l’Autriche de l’époque, d’autant que le film véhicule de nombreux clichés sans réellement les remettre en question. Les personnages, juifs et non-juifs, sont souvent de véritables caricatures.
Le style du film est très composite et son message n’est pas toujours clairement formulé. Le ton général est celui d’une comédie destinée à un large public. Nous rencontrerons donc par exemple le motif du déguisement : le héros, un jeune journaliste juif, change d’identité et porte une énorme moustache pour rester près de sa bien-aimée et oeuvrer pour l’abrogation du décret. Il s’attire les bonnes grâces d’un député antisémite joué par Hans Moser - future super-star comique des pays de langue allemande - qu’il éloigne du parlement au moment du vote décisif en l’endormant à l’aide d’un somnifère. La fiancée, sommée par son père de choisir entre ses deux prétendants - le même en réalité -, déclare, mutine, vouloir prendre « les deux ». Les femmes du monde , privées de mode parisienne - juive bien entendu - sont obligées d’adopter une mode locale parfaitement ridicule...
Tout cela, on le voit, paraît bien léger et inconséquent quand on le met en perspective avec ce qui se passera en Allemagne et en Autriche quelques années plus tard. Le film ne peut donc guère prétendre à une quelconque portée visionnaire. Néanmoins le spectateur d’aujourd’hui ne peut manquer d’être troublé par certaines scènes. Les manifestations de rues semblent être des prises d’actualité et portent en elles une charge documentaire très forte. Les images de l’exode des juifs après le vote du décret d’expulsion sont d’une réelle beauté plastique (colonnes de réfugiés dans des paysages enneigés, gros plans de visages accablés...) et ont un caractère halluciné qui détone avec le reste du film. Il y a même une séquence « caligaresque », parodique certes mais bien imitée, lorsque le député antisémite atterrit dans une clinique psychiatrique où, dans une cellule au décor cubiste, il s’assied sous une guillotine surmontée d’une étoile de David, avant de se réveiller sur une table de bistrot. Tout cela n’était qu’un cauchemar dont il saura tirer la leçon. Oublions les mesquines querelles et réconcilions tout le monde ! Cette fin d’un optimisme naïf est par ailleurs manquante dans la version existante reconstituée par le Filmarchiv Austria à partir d’une copie retrouvée à la cinémathèque néerlandaise.
Le réalisateur Hans Karl Breslauer (1888-1965) qui a réalisé une vingtaine de films entre 1918 et 1924 pour se tourner ensuite vers la littérature, semble être un parfait opportuniste : sioniste en 1924, il s’inscrira à la NSDAP en 1940. Son film ne témoigne d’ailleurs pas d’un sens politique très affirmé et son talent de réalisateur est modeste mais néanmoins réel même s’il ne se manifeste ici que par intermittences.
Il s’agit donc indéniablement d’un document historique de première importance malgré toutes ses limites et dont l’ intérêt cinématographique n’est pas négligeable.
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